Un roman qui pourrait s'écrire à n'importe quel moment de l'histoire de l'humanité, en tout cas depuis qu'un lot minoritaire d'hommes a compris qu'il pouvait asservir la masse de ses semblables, en utilisant divers stratagèmes : l'inéluctabilité du progrès, le recours au crédit, l'imposition de valeurs morales (le travail comme seule source d'épanouissement, la honte d'être débiteur, etc.)
C'est l'histoire des victimes de la technologie, des changements climatiques, de l'avidité des hommes à exploiter la nature sans tenir compte du renouvellement des sols. C'est l'histoire de l'exploitation de l'homme par l'homme, sous couvert des erzatz du libéralisme : la Société Anonyme, par exemple, qui permet à l'élite de diluer les responsabilités puisque le petit patron est remplacé par un agglomérat d'actionnaires. Dans les années 1930, les paysans américains de l'Oklahoma sont voués à l'exode, ceux qui restent vivent d'expédients et en sont réduits à manger des rats et des lapins, à dormir dans des trous sur les terres dont ils ont été dépossédés. Et puis autour de la misère grouille la vermine affairiste, comme les revendeurs de voitures pourries mais bien maquillées. A cette époque, la mythique route 66 est le chemin des fugitifs ; 250 000 personnes dans des tacos délabrés : vive l'Amérique !
Ces paysans abandonnent tout en pensant se refaire en Californie, trouver un emploi ou une terre à exploiter. Mais in-fine se sont eux qui se font exploiter : la quantité importante de main d'oeuvre fait baisser les salaires… « D'ici peu, nous serons revenus au temps des serfs » écrit Steinbeck : l'a-t-on vraiment quitté ? Les grandes sociétés foncières sont aussi propriétaires des conserveries et du réseau de distribution : ça ne vous rappelle rien ?
Ce grand roman formateur, écrit avec la précision descriptive de
Zola et la gouialle d'un
José Bové, est un cri de rage mais aussi un hymne à la solidarité, voire à l'amour de son prochain : les premiers camps auto-gérés d'Amérique, l'entraide et le dévouement, comme cette femme qui vient de perdre son nouveau-né et qui offre son lait à un mourrant de faim : il n'y a pas de meilleure conclusion.
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