Steinbeck nous livre ici un roman court à la fois contemplatif et intense. L'idée en elle-même est plutôt simple : au coeur de la Seconde Guerre Mondiale, un petit village de Scandinavie se retrouve occupé par une troupe de soldats nazis. En quelques 150 pages, nous suivons l'évolution des sentiments des villageois dont la stupeur et la colère se fondent peu à peu dans l'organisation d'une résistance armée. Mais d'un autre côté, nous pouvons également observer les réactions des occupants face à l'hostilité que leur renvoient les locaux.
À partir de là, que dire ?
Il ne semble pas y avoir ici de vision trop manichéenne de cette guerre dès lors que les soldats sont plutôt présentés comme des hommes aveuglés par la propagande nazie. Certains, entre deux exécutions, offrent des poèmes aux jeunes filles auxquelles ils tentent désespérément de faire la cour, les priant d'oublier la guerre et de ne les voir que comme de jeunes hommes en mal d'amour. Mais est-ce seulement possible ? Derrière la fleur se cache toujours le canon du fusil. Ainsi, comme beaucoup d'autres oeuvres de ce genre, "
Lune noire" laisse entrevoir les hommes sous le casque et l'uniforme, dévoile la faiblesse et la naïveté de jeunes adultes cueillis au sortir de l'adolescence et broyés en tant qu'individus pour mieux servir les ambitions du parti. Quelques gouttes d'huile pour la machine nazie qui écrase tout sur son passage. La narration reste cependant suffisamment concise pour ne pas inviter le lecteur à prendre parti pour les occupants, car c'est, au fond, ce qu'ils sont - des personnes qui oppressent une communauté locale en étouffant toute protestation avec une simple salve de balles.
J'ai beaucoup apprécié l'inversion du rapport de force grâce à la construction de la révolte du côté des habitants, inversion qui apporte également son lot de réflexions : faut-il résister au risque d'assister à des fusillades tous les matins ? pourquoi s'engager dans la résistance au péril de sa vie ? pourquoi tuer le moindre résistant si cela ne fait qu'attiser la colère de ses pairs ?
C'est un récit véritablement poignant et intelligent qui incite à se demander : "qu'aurais-je fait à la place des uns et des autres" ?
Une ode à la liberté et contre le totalitarisme.