Comment peindre les passions, si on ne les connaît pas ?
C'est dans ce siècle de passions, et où les âmes pouvaient se livrer franchement à la plus haute exaltation, que parurent tant de grands peintres : il est remarquable qu'un seul homme eût pu les connaître tous si on le fait naître la même année que le Titien, c'est-à-dire en 1477. Il aurait pu passer quarante ans de sa vie avec Léonard de Vinci et Raphaël, morts, l'un en 1520, et l'autre en 1519; vivre de longues années avec le divin Corrége, qui ne mourut qu'en 1554, et avec Michel-Ange, qui poussa sa carrière jusqu'en 1563.
C'est en Italie que ce phénomène éclate dans toute sa splendeur. Quiconque aura le courage d'étudier l'histoire des nombreuses républiques qui en ce pays cherchèrent la liberté, à l'aurore de la civilisation renaissante, admirera le génie de ces hommes, qui se trompèrent sans doute, mais dans la recherche la plus noble qu'il soit donné à l'esprit humain de tenter. Elle a été découverte depuis, cette forme heureuse de gouvernement; mais les hommes qui arrachèrent à l'autorité royale la constitution d'Angleterre étaient, j'ose le dire, fort inférieurs en talents, en énergie et en véritable originalité aux trente ou quarante tyrans que le Dante a mis dans son enfer, et qui vivaient en même temps que lui vers l'an 1300.
Vers l'an 900, les villes d'Italie, profitant de la position du pays que la mer environne, tentèrent un peu de commerce avec Alexandrie d'Egypte et Constantinople. A peine les Italiens eurent-ils quelque idée de la propriété, qu'on les vit aimer la liberté avec la passion des anciens Romains. Cet amour s'accrut avec leurs richesses, et vous savez que, pendant les douzième et treizième siècles, tout le commerce d'Europe fut entre les mains des Lombards. Tandis qu'ils s'enrichissaient au dehors, leur pays se couvrait d'une foule de républiques.