La pičce d'András Sütő reprend plusieurs épisodes de la vie d'Alexandre le Grand: son couronnement, la mort de Darios, celle de Parmenion et bien entendu les mariages de Suse, l'unité d'action en quelque sorte. Aprčs plusieurs centaines de critiques sur Babelio, dont beaucoup sur des oeuvres de
littérature roumaine, c'est donc, il me semble, la premičre fois que je croise la minorité hongroise. Comme les autres minorités (germanophone, juive, tzigane) et la tendance ŕ rétrécir mais reste, avec plus d'un million de représentants sur les 20 millions d'habitants de la Roumanie, une composante ethnique et politique importante. D'un point de vue littéraire, elle n'est pas négligeable non plus.
La biographie d'András Sütő vaut que je m'y arręte un peu, dans la mesure oů c'est sa seule traduction disponible dans une langue qui me soit accessible, et donc que je n'y reviendrai probablement pas. Il était communiste, un vrai, donc: membre de l'assemblée du peuple, de l'union des écrivains (plus ou moins éminents) et nombre de ses pičces sont classées aujourd'hui "réalisme socialiste", aspect un peu occulté par la biographie du livre. Mais au fil des années, il devint un dissident, notamment ŕ cause de la roumanisation sous Ceaușescu et de l'extinction de l'usage de la langue hongroise en Roumanie. Je me permets ici une brčve digression pour me souvenir d'un membre éloigné de la famille qui m'éblouissait par sa façon de passer soudainement, en de rares occasions, dans cette langue mystérieuse pour l'enfant que j'étais. Je me dis également que les familles qui comptent en leur sein des Hongrois sont probablement plus nombreuses qu'on ne le pense.
En 1990, ŕ Târgu Mureș, il perdit un oeil dans les violences interethniques et finit sa vie en Hongrie. Ses pičces connurent un grand succčs… au sein de la minorité hongroise de Transylvanie.
L'allégorie politique est un peu cousue de fil blanc: les Perses, c'est la minorité hongroise, qui est en train d'ętre rabaissé par la perte de sa langue, Alexandre le dictateur roumain. Elle devient plus subtile pour l'autoportrait de l'auteur, qui se sentait probablement assiégé : je dirais que Betis est le portrait de l'artiste, ŕ la fois résistant obstiné et impuissant, mauvais stratčge, Parmenion est l'homme politique, finalement exécuté. La traduction n'est probablement pas l'oeuvre d'un anglophone, mais cela se voit assez peu. La page de copyright renvoie au département d'études américaines de l'université de Szeged en Hongrie. Dans l'ensemble, la typo tient la route, ŕ quelques détails prčs. Dans ses meilleurs moments, la tragédie a des accents shakespeariens, avec par exemple l'usage de moments comiques, ou d'allusions sexuelles (Demetrios rappelle Mercutio en moins sympathique, mais aussi explicite). le sujet est original et la pičce se clôt sur un événement historique inattendu. Question style, des aphorismes, les métaphores énigmatiques d'Eanna et Parmenion, dans l'ensemble Sütő s'inscrit plus ou moins dans ce qu'on appellerait par chez nous le "nouveau classique" (
Jean Anouilh,
Jean Giraudoux) : pas d'anastrophes, d'antimétaboles, de symploques intempestives ou autres expérimentations, usage du langage contemporain, parfois familier. La traduction en anglais a le grand mérite d'avoir porté l'oeuvre ŕ ma connaissance et, compte tenu de la pičce, assez solide, il aurait été vraiment dommage de rester dans son ignorance.