Nocturne indien

C'était une question simple et pratique, mais je m'embrouillai dans la réponse, parce que je sentis moi aussi le poids de la mémoire, et en même temps son côté inadéquat. Que se rappelle-t-on d'un visage, au fond ? Non, je n'avais pas de photographie, je n'avais que mon souvenir : et mon souvenir était seulement à moi, il n'était pas descriptible, c'était l'expression que j'avais du visage de Xavier.

Le "Quartier des ages" était bien pire que je je ne lavais imaginé. Je le connaissais par certaine photos d'un photographe célèbre et je me croyais prêt à affronter la misère humaine, mais les photos enferment le visible dans un rectangle. Le visible sans cadre, c'est toujours autre chose. Et puis ce visible-là avait une odeur trop forte. Ou plutôt de multiples odeurs.

C'était la première fois que je sentais monter en moi une forte irritation. Cette pièce sombre, fermée, chargée, avec ces bustes de bronze le long des murs et ces vitrines pleines de livres ; cet Indien pédant et prétentieux qui était en train de mener la conversation à son gré ; sa manière d'être à la fois condescendante et trop subtile : tout cela provoquait en moi un malaise qui se transformait rapidement en colère. J'étais venu pour de tout autres motifs, et il les avait négligés avec désinvolture, indifférent à mon inquiétude qu'il avait pourtant dû sentir à travers mes coups de téléphone et ma lettre. Et il était en train de me soumettre à des questions idiotes sur Hermann Hesse : j'eus l'impression qu'il se moquait de moi.