Installé sur sa chaise en plein été, le narrateur lit le Livre de l'Intranquilité du poète portugais
Fernando Pessoa. Il entend alors des voix lusophones s'adresser à lui. Il leur répond dans leur langue, cette langue que
Tabucchi aimait et maîtrisait au point d'écrire tout un livre en délaissant son italien natal. A ses voix intérieures (issues des images mélancoliques de sa lecture, mais aussi de son passé), il attribue des visages, des lieux, et reconstitue ainsi un
Lisbonne fantasmé, au fil de rencontres successives dans une hallucination qui emprunte à la fois au début et à la fin du vingtième siècle.
Ainsi, les personnages dont il est ici question sont parfois désuets, voire anachroniques, à l'image de cette vielle bohémienne chiromancienne, qui établit un diagnostic implacable : le narrateur oscille entre rêve et réalité. Au fil de son errance, il emprunte les histoires (et les recettes de cuisine) de ses personnages, en sautant souvent du coq à l'âne. Ou plutôt d'une recette de cocktail à une ekphrasis de Jérôme Bosch. Gourmet et gourmand,
Tabucchi goûte aux plats et à la compagnie de ces autres imaginaires. de ces mélanges (alcoolisés ?) résulte sans doute l'absence de guillemets et de tirets dans les dialogues, totalement mêlés au flux narratif, de même que le narrateur est mêlé à l'auteur.
Dans sa postface,
Tabucchi révèle que cette histoire lui a été inspirée par un rêve où son père lui parlait dans un portugais qu'il ne connaissait pas de son vivant. La scène est présente dans le roman, et on peut aussi noter que lors de son apparition,
Pessoa (père spirituel ?) cabotine avec des interjections en anglais (langue qui lui était chère). Toute cette petite famille dérive hors des barrières entre les langues, à la recherche d'une parole permettant de se retrouver malgré l'absence.
Bien que
Tabucchi n'ait jamais eu l'occasion de connaître l'auteur du Livre de l'intranqulité, il devient donc son interlocuteur à distance, dans le monde des rêves. Exactement comme
Pessoa aimait concevoir ses relations avec les autres.
PS : merci Bookycooky pour cette sympathique découverte.
PPS : je n'ai pas encore vu l'adaptation de ce roman par
Alain Tanner, mais elle doit être intéressante, tant il était en phase avec l'univers pessoien (cf son film « Dans la ville blanche »).