J'étais curieuse de découvrir l'oeuvre de Tananarive Due. Après tout, j'aime l'horreur, j'aime trouver des autrices peu connues en France… Alors cette spécialiste de la Black Horror était tout indiquée.
My soul to keep a, en plus, une histoire prometteuse, qui parle d'Immortalité, d'Amour et de violence. Alors, qu'en ai-je pensé ?
Je sais à peine par où commencer cette chronique. Nous suivons David / Dawit, un homme qui semble jeune pour son âge, charmeur, cultivé, multilingue… mais également un être immortel qui parcourt le monde depuis des siècles. Il s'est marié, contre les règles de son ordre, avec Jessica, une journaliste ambitieuse et pugnace. Comment vivre au quotidien avec un secret aussi lourd ? Avec l'idée qu'un jour, sa femme et sa fille mourront quand Dawit continuera de vivre sur terre encore pour des siècles et des siècles ? le mari parfait doit faire face à cette question quand son passé risque de refaire surface et se rapproche de plus en plus du métier de sa femme. S'ensuit un jeu dangereux entre chasse, violence et mensonges. Que ce soit de la part de Dawit pour se protéger ou protéger sa famille, mais aussi de par le retour de ses frères immortels, qui semblent vouloir mettre un terme à sa villégiature mortelle. On se retrouve donc avec deux questionnements : que feriez-vous si votre compagnon / compagne était en réalité un immortel qui vous a manipulé pendant des années ? Comment l'immortalité affecte-t-elle les humains ?
Le premier questionnement installe une ambiance inquiétante, notamment car on alterne entre deux personnages qui ont une connaissance très asymétrique des événements. En tant qu'Immortel membre d'une secte éloignée du monde, qui a déjà vécu des relations prohibée avec des femmes par le passé, Dawit a une vision très particulière du monde. A un niveau personnel, il ne semble pas faire grand cas des autres humains en dehors de sa femme et de sa fille. Sous prétexte de les protéger, il prend des décisions, parfois violentes, qui les blessent plus qu'autre chose, car il fait ce qui lui semble le mieux pour elles. Il ne souhaite pas que Jessica soit sa propre personne, n'approuve pas sa carrière, lui propose de quitter la région pour se protéger. A moins que ce soit pour protéger son illusion de Paradis isolé ? Car la famille de Jessica, notamment sa soeur, a des doutes sur le soi-disant parfait, mais si possessif, David. Ensuite, en tant que noir né en Éthiopie, mais immortel, il a vécu aux États-Unis contre l'avis des siens, en pleine période d'esclavage. Il en sera une victime à de multiples reprises, ce qui rend sa vision de l'Amérique moderne pour le moins partagée, complexe et ambivalente.
L'autrice prend le temps de poser son ambiance, lente, avec une montée graduelle vers le surnaturel. Certains passages sont difficiles, car on part dans des recoins sombres. L'écriture est particulièrement fluide et prenante, mais attendez-vous à une histoire patiemment construite, avec un retournement de situation qui change les perspectives en milieu de roman. Les échanges de points de vue permettent de construire une histoire avec de multiples couches. Comme je l'ai écrit plus tôt, il y a une asymétrie des connaissances entre les protagonistes qui créent, tout au long du récit, une forme de tension. Même du point de vue de David / Dawit, tout n'est pas partagé et des mystères demeurent. Si on se demande quand Jessica va se douter quelque chose cloche, on se questionne également sur la façon dont Dawit va cacher son existence à ses Anciens Frères, ou justifier leur présence. Tananarive Due fait preuve d'une certaine finesse dans la mise en place des personnages.
Comme dans beaucoup de livres qui choisissent de mettre en scène des personnages humains, peu sont totalement attachants. David apparait vite comme froid, détaché et arrogant dans de nombreuses situations, à cause des connaissances accumulées durant sa longue vie. Si Jessica apparait comme une femme ambitieuse et déterminée, son attachement aveugle à la religion et son déni face à des preuves évidentes ne plaident pas en sa faveur. On se demande même comment elle a attiré l'attention d'un immortel centenaire à la sagesse et à la culture infinies. Elle fait preuve de beaucoup de jugement envers sa soeur aînée, non mariée. Ainsi, les seuls personnages que j'ai trouvés agréables étaient la soeur justement, Alex, qui semble avoir les pieds sur terre, et le meilleur ami de Jessica. Peter est son collègue, et un soutien précieux de la jeune femme. le roman repose donc beaucoup sur les mécaniques du relationnel, mais aussi sur la place du passé, historique comme familial, sur notre façon de faire face au monde.
J'ai donc trouvé ce roman unique et intelligemment mené. le rythme ne plaira pas à tout le monde, pas plus que le duo principal. Mais ce n'est pas le propos du roman, qui pose la question de la place de l'étrangeté qui envahit le quotidien, doucement, jusqu'à ce que les secrets deviennent insoutenables. Peut-on éternellement échapper à son passé ? Comment faire face à un secret énorme de la part de sa moitié ? Tananarive Due construit une horreur d'ambiance lancinante, traversée de moments sanglants. Elle pose également la question de la place du contrôle dans le couple, symbolisée par les points de vue asymétriques,
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