Je sais.
Tu sais que je sais.
Je sais que tu sais que je sais.
Tu sais que je sais que tu sais que je sais.
On pourrait voir dans ce livre une banale histoire de sexe organisée autour du triangle archi-classique: la femme, le mari, l'amant. Un récit centré autour du désir, de l'érotisme. Ou encore, une description de la société japonaise, coincée entre 'tradition et modernité', pour employer une expression devenue lieu commun.
Eh bien, de mon côté, je le comparerais volontiers à un thriller d'espionnage, du meilleur
John le Carré (celui des débuts). Un jeu de dupes dont le lecteur est lui-même une des victimes. Ce couple dont chacun des membres écrit un journal, et manipule l'autre.
Superbement bien écrit, sans aucune scène de sexe explicite. On n'est pas chez
Virginie Despentes, ni chez
Catherine Millet. Et en la matière, Tanizaki sait aussi bien éviter les clichés éculés que les métaphores pseudo-romantiques. Sur une construction au final très simple, l'alternance des voix de l'homme et de la femme, l'auteur a fait preuve d'une grande maîtrise et d'un excellent sens de l'observation. En témoignent notamment ces moments où l'épouse commence à prendre son mari en grippe, non pour ce qu'il fait (ou ne fait pas), mais pour un petit détail: un poil de barbe trop dru, une peau trop luisante. Tout en continuant à coucher avec lui, car comme le mari le dit lui-même, elle peut le repousser en pensée alors même qu'elle aime se donner à lui.
Bref, une vision désespérée, mais lucide, des rapports de couple. Un jeu complexe où chacun a ses secrets, et essaie de manipuler l'autre. Ce jeu est-il pervers pour autant? À chacun de juger, mais pour moi, il est normal - et même salutaire - que chacun garde une partie de son âme secrète... tout en essayant de satisfaire l'autre. N'est-ce pas exactement ce qui se passe dans cette histoire?