Tardi Jacques – "
Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB" (tome 1 : 1940-1945) – Casterman, 2012 (ISBN 978-2203048980) format 32x24cm, 160 pages
Le contenu de cet ouvrage est fort bien synthétisé dans la présentation de l'éditeur : « Avec "Moi, René Tardi, prisonnier de guerre - Stalag IIB",
Jacques Tardi concrétise un projet mûri de très longue date : transposer en bande dessinée les carnets de son propre père, rédigés des années durant sur des cahiers d'écolier, où celui-ci tient par le menu la chronique de sa jeunesse, en grande partie centrée sur ses années de guerre et de captivité en Allemagne ».
Il convient de préciser que cette présentation sommaire est explicitée de façon beaucoup plus complète dans la préface du volume, où l'on trouve des reproductions en fac-similé de quelques pages des carnets de René Tardi. Cette préface elle-même est déjà prenante, non seulement parce que l'on découvre la personnalité de l'auteur des carnets ainsi que celle de son fils, mais aussi parce qu'elle présente en toute honnêteté les limites de ce projet : il s'agit là d'un témoignage de seconde main – l'auteur exploite les carnets laissés par son père – de la part d'une forte personnalité très marquée politiquement et idéologiquement, qui tente cependant de respecter le propos paternel (autant que faire se peut, bien évidemment).
Ce tome 1 couvre donc la période 1940-1945, et rend compte du vécu de cette foule de soldats du rang (plus d'un million !!!) qui furent capturés dès les premières heures de la guerre, en 1940, sans même être en état de se défendre ou de combattre à cause de la grave incurie, incompétence, imbécillité (on ne sait quel mot retenir) du si «brillant» état-major qui mena notre pays une fois de plus au désastre, dans des conditions tellement similaires au désastre de 1914 qu'on a peine à le croire et que l'on ne peut en tout cas aucunement pardonner à ces hauts-gradés.
Cet «épisode» est généralement fort bien dissimulé. Fort peu d'ouvrages y sont consacrés, et les dirigeants d'après-guerre (soucieux de réconciliation nationale) prirent grand soin de ne pas l'évoquer pour ne pas discréditer cet état-major d'incapables (on ne peut que saluer l'effort sur lui-même que fit alors le général
De Gaulle, lui qui prônait dès avant-guerre des théories et plans de défense qui furent rejetés par cet état-major avec un dédain frisant le crétinisme, et qui permirent de remporter la seule petite victoire enrayant de quelques heures seulement la foudroyante avancée des troupes allemandes).
C'est donc un mérite supplémentaire de
Jacques Tardi que de produire un témoignage de toute première importance sur cet effroyable gâchis (qui marqua à jamais la destinée de deux mes grands oncles, dont l'un vécut ainsi les cinq plus belles années de sa jeunesse derrière des barbelés, puisqu'il fut «libéré» par les soviétiques qui le «retinrent» jusqu'à ce qu'il soit atteint de tuberculose).
Le dessin est à la hauteur et dans le ton de l'histoire, dans le style de
Jacques Tardi aussi (né en 1946), tout en respectant au plus près le témoignage laissé par René Tardy. En lisant et regardant cette BD, je pense à la chanson «La petite juive», de
Maurice Fanon (né en 1929) :
« On nous a fait chanter pour un ordre nouveau / D'étranges Marseillaises de petite vertu / Qui usaient de la France comme d'un rince cul / Et s'envoyaient en l'air aux portes des ghettos » (à écouter sur Youtube)…
Une lecture indispensable à mes yeux.