— Ach, fous zavez berdu la guerre, petits françouzes, alors, on fa fou le faire bayer cher dans nos kamps *rire sadique*
Ainsi devait parler le feldwebel « Kolosal Konnard » ou tout autre « Kartoffel-Führer », faisant son dikkenek devant les pauvres soldats français qui venaient de se prendre la pâtée en un temps record.
Ne vous en faites pas, nous les Belges, on se croyait tranquilles car neutres…
On s'était tous foutus le doigt dans l'oeil jusqu'au coude et bardaf, ce fut l'embardée.
Tout comme Art Spiegleman l'a fait dans son « Maus »,
Jacques Tardi tente aussi de comprendre son père au travers de la réalisation de cet album où il se met en scène à ses côtés, lui posant « en direct » des questions, le suivant durant son périple en char ou en tant que prisonnier dans le Stalag IIB, en Poméranie.
On sent du
Louis-Ferdinand Céline dans cette haine de René
Tardi ressent contre la société qui n'a pas bougé, contre cette armée française incompétente, dépassée, mais qui se croyait la plus forte, contre ces officiers n'ayant pas évolué depuis 14-18 ou depuis les guerres Napoléoniennes et devant la bêtise incommensurable de la guerre…
Le fils,
Jacques Tardi, a lui aussi les dents qui grincent lorsqu'il parle au début, rappelant à son père qu'il n'aimait pas l'armée, que la SNCF a transporté gratuitement les Juifs pour les livrer… Alors le père lui dit de se taire et d'écouter.
Vu le calvaire traversé durant son incarcération au Stalag, on sent aussi du
Primo Levi (même si les Stalags n'étaient pas des camps d'extermination à proprement parler, ce n'étaient pas non plus des camps de vacances) et, comme j'en parlais plus haut, il y a du
Art Spiegelman dans cette obstination à comprendre ce qu'a vécu son père pour pouvoir enfin se réconcilier avec ce paternel taciturne et colérique.
Si je ne suis pas fan des dessins de
Tardi, ils ne m'ont néanmoins pas dérangés, c'est sobre, réaliste, le tout dans des tons gris, avec de temps en temps des ciels rouge sang.
De plus, j'ai apprécié cette mise en scène de l'auteur qui s'est dessiné sous les traits d'un jeune gamin de plus ou moins 14 ans et qui dialogue avec son père, nous montrant ainsi son passé de conducteur de char (on ne dit pas tank) avant de se retrouver au Stalag, puis dans une ferme en tant qu'esclave bon marché puis de retour au Stalag.
C'est toute la vie des prisonniers dans un Stalag qui se déroule sous nos yeux, avec les soldats français qui font chier les compteurs allemands, bougeant sans cesse, le black market, la bouffe infecte, le travail inhumain, le traitement des prisonniers aussi, la débrouille, la joie, la tristesse, les prisonniers russes encore plus mal lotis qu'eux et les américains comme des coq en pâte.
L'histoire est dure, sans pitié pour personne, que l'on soit un fritz salaud, un prisonnier lâche, cafteur, un travailleur forcé mettant un peu trop d'ardeur à ramasser les patates pour le grand Reich, ou un officier imbécile.
Et puis, comme pour tout le reste, il y a aussi un peu de solidarité entre certains prisonniers, des amitiés fidèles, des officier bosch un peu plus sympa que les autres.
C'est corrosif, avec un peu d'humour parfois, c'est cinglant et sans édulcorants.
Le genre de lecture dont on ne ressort jamais indemne.
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