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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Jacques Tardi donne la parole à son père René et lui prête sa plume pour illustrer le sort réservé aux soldats français par le III Reich.
Témoignage d'une grande force, René se livre sans retenue sur ces années noires, prisonnier dans un Stalag en Poméranie. Il montre la barbarie nazie, mais n'occulte pas aussi la lâcheté de certains détenus. René rêve de s'évader, supporte tant bien que mal sa captivité, la privation de nourriture lui tenaille les tripes, la colère, aussi. Colère contre l'armée française, contre le régime Vichyste, contre ces geôliers, contre certains de ces camarades. C'est peut-être elle qui l'empêche de lâcher prise ?
De plus, J. Tardi rajoute une idée brillantissime, faire partie intégrante du récit et du dessin. Les échanges entre le père et le fils, entre le témoin et le passeur donne une force supplémentaire à ce roman graphique. Passionnant, instructif, aux dialogues brillants (parfois amusants entre le père et le fils), formidablement mise en valeur par le trait singulier de Jacques Tardi, un premier tome tout simplement remarquable. A faire passer à nos jeunes générations, pour ne jamais oublier.
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On dit pas tank, on dit char! Et ne m'emmerdez pas. Lorsque je me suis engagé en 35, je souhaitais me battre. Pas moisir dans un camp pourri de ce coin pourri de Poméranie. Cinquante-six mois dans le Stalag II B, ça change la vision de l'homme. Forcément. La colère au ventre reste, barbouille la tête, aigrit les tripes plus que la dysenterie.
René, amer, honteux, toujours coléreux meurt en 1986 après avoir donné la vie a un fils dessinateur de talent et quelques cahiers d'écolier. Il a ressassé, a lassé le rejeton. Jusqu'au jour où Tardi fils, Jacques de son prénom, se plante dans le Stalag paternel.
Et putain, ça déménage.
Oh, il y en a eu des récits sur ces foutus camps mais pas ainsi, pas comme cela. Là, ça mesquine entre prisonniers, ça fait dans la lâcheté. le prisonnier est vil, petit. le paysan PG (prisonnier de guerre) rivalise avec l'Allemand pour la récolte de la sacro-sainte Kartoffel destinée à nourrir le nazillon. C'est l'appel de la terre qu'il dit. Il en oublie qu'il nourrit le fridolin, le con. René crache, méprise.
Ca barbote les nippes qui sèchent, ça va où le vent est moins froid, le PG. Il a surtout faim, le PG. Jusqu'au délire. La faim justifie l'ignominie.

Planté aux côtés de son père, Tardi fils en culottes courtes questionne, ironise. On imagine les conversations familiales chez les Tardi, les repas dominicaux. Jacques dessine au plus près du récit paternel. Et lorsque le récit est muet, il ne dessine pas.
ll y a du Bardamu chez René (ah oui, mes sublimes éditions de Voyage au bout de la nuit et de Casse-Pipe sont illustrées par Tardi!). le matricule 16402, sous-officier engagé frôle l'anar, épingle l'officier français qui ne copine pas avec le seconde pompe. Il snobe, l'aristocrate galonné. Il se fait même laver ses frusques par son ordonnance dans l'Oflag. René éructe contre un état-major incompétent responsable de la défaite honteuse, contre les futurs profiteurs du marché noir, contre le curé voleur de charcuterie, contre la France.
René ne décolèrera plus.

Moi René Tardi n'est pas une bande dessinée. C'est beaucoup plus.
Il y a le récit. Il y a le parti pris littéro-graphique ou graphico-littéraire (Le fils à venir campé dans les vignettes sombres). Il y a cet expressionnisme tatillon assombri par le rouge des drapeaux. Il y a L Histoire charnelle parce que vue du côté de l'histoire individuelle.
Il y a une catharsis familiale (le fils dessine, son épouse préface, la petite-fille colorie, le petit-fils se documente) et l'hommage à ces soldats déshonorés d'avoir été vaincus avant que de se battre.
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Ce tome est le premier d'une série de 3 dans laquelle l'auteur met en bande dessinée les souvenirs de son père René Tardi. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs, dont la première édition date de 2012. Elle a été réalisée par Jacques Tardi pour le scénario et les dessins, les couleurs ayant été réalisées par Rachel Tardi. le tome commence par une introduction de 4 pages rédigée par Dominique Grange, la fille de Jean Grange lui-même vétéran de la guerre de 39-45, et qui deviendra l'ami de René Tardi après la guerre. Elle évoque son grand-père vétéran de la guerre de 14-18, et sa condescendance pour le militaire que fut son fils honteusement défait au combat à ses yeux. Elle conclut sur le devoir de mémoire nécessaire pour les prisonniers de guerre qui peuplèrent des années durant les quelque 120 camps, disséminés à travers l'Allemagne et la Pologne. Suit une introduction de 4 pages rédigée par Jacques Tardi évoquant le fait qu'il avait demandé à son père d'écrire toutes ses anecdotes de prisonnier de guerre qui l'a fait 40 ans après les faits, et remerciant les personnes qui l'ont aidé dans ce projet.

Le jeune Jacques Tardi tout juste adolescent marche au milieu d'une large avenue, avec des voitures défoncées, des carcasses de char (pas des tanks), une fumée noire noircissant le ciel dans le lointain : il se trouve dans les souvenirs de son père. Celui-ci commence à raconter son histoire : nos chefs magnifiques nous avaient donné l'ordre de découvrir l'ennemi et de le détruire. Ça au moins, c'était du limpide même pour les plus limités d'entre nous ! C'était de l'avoine pour les bovins : C'était du militaire ! René revient quelques années en arrière : l'année de ses 18 ans, Adolf Hitler arrive au pouvoir. Il évoque rapidement les conditions très contraignantes de la première guerre mondiale, pour les allemands, sa mère Dame de la Poste, son père cordonnier vétéran de la guerre de 14-18, sa propre inscription à la préparation militaire où il obtient son brevet de conducteur de char, sa rencontre avec Henriette, pupille de la nation (père mort pour la France lors de l'offensive de la Somme le 17 novembre 1916). Puis il s'engage dans l'armée. Ses souvenirs d'un affrontement pendant la guerre entre son char et 2 chars allemands reprennent le dessus. Il explique qu'on appelle ça des chars et pas des tanks, il explique également la différence entre ceux équipés d'une mitrailleuse (les chars femelles) et ceux équipés d'un canon (les chars mâles).

René Tardi finit par indiquer à son fils que son combat entre son char et les deux chars allemands ne s'est pas exactement passé comme ça. Il reprend son histoire chronologiquement : son incorporation au 504e régiment de chars de combat à Valence en 1935, et ses classes pour devenir caporal. Puis il se marie le 07 septembre 1937, et le couple emménage à 300 mètres de la caserne. le petit Jacques s'étonne que son père ait si volontiers accepté les ordres dans une structure militaire, car ça ne lui ressemble pas. René revient sur le Traité de Versailles de 1919 qui avait installé, en Allemagne, tous les éléments favorables à l'avènement d'un sauveur national, d'humiliation en inflation, de chômage en amertume. Il passe ensuite aux accords de Munich de 1938, l'invasion de ce qui reste de la Tchécoslovaquie, puis l'invasion de la Pologne, et enfin la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne. La drôle de guerre se passe, et enfin la compagnie de René Tardi se met en marche : le train part dans la nuit avec 50 chars et le matériel d'accompagnement.

Les deux introductions explicitent clairement la nature du récit : les souvenirs du père de l'auteur, mis en image par son fils, le besoin d'accomplir un devoir de mémoire pour les 1.600.000 soldats capturés envoyés en Allemagne, sur un total de 1.800.000 soldats capturés. La nature du récit dicte sa forme : chaque page se compose de 3 cases de la largeur de la page, chacune occupant environ un tiers de la page. Il y a généralement un seul phylactère assez copieux dans lequel René Tardi raconte sa vie quotidienne en s'adressant à son fils, incorporant son avis ou son ressenti sur ce dont il parle. de temps à autre, Jacques enfant intervient pour poser une question, ou pour se moquer d'une situation ou d'un avis. René et les autres prisonniers militaires arrivent au Stalag II B en page 80. Les auteurs commencent donc par resituer le contexte de la seconde guerre mondiale, du point de vue du sous-officier qu'est René, mais aussi de manière un peu plus large avec la mention de l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler, du Traité de Versailles, de la préparation insuffisante de la France pour juguler les volontés expansionnistes de l'Allemagne, que ce soit au niveau du gouvernement, au niveau militaire. Ils continuent ensuite avec les premiers jours de guerre de René commandant son char qui ne comporte comme équipage, qu'un mécanicien, jusqu'à ce qu'il soit fait prisonnier et emmené jusqu'au camp.

Le récit consacre ensuite un peu plus de 100 pages aux 4 ans et 8 mois passés au camp de prisonniers. Les auteurs rentrent dans le détail du quotidien : les poux, les colis, la mafia de la Poste, le curé et les messes, les rafles de travailleurs, les colis de la Croix Rouge, les porteurs de pommes de terre, la collecte des excréments, les sportifs, les posten, les joueurs de cartes, les radios pour capter la BBC, la politique du maréchal Pétain, les accords de Vichy, la bouffe toujours la bouffe, les poêles occupés, le manque de savon, le typhus, la prison, l'infirmerie, l'évolution de la guerre, les collaborationnistes, la faim, les clopes, le travail obligatoire, etc. du début jusqu'à la fin, le lecteur n'éprouve aucune sensation d'ennui : le père et le fils évoquent concrètement les aspects pragmatiques du quotidien, dormir (en trouvant un casier où s'allonger), manger (jamais assez), se laver (en essayant de dégoter du savon), aller aux toilettes, la promiscuité, la résistance passive contre les soldats du camp, les coups et les brimades, et bien sûr le marché noir organisé par les prisonniers. de plus, René Tardi se porte volontaire pour aller travailler dans une exploitation agricole, ce qui le fait changer de lieu, d'occupation, et de d'organisation carcérale pendant quelques temps. En outre, ils intègrent le fait que les prisonniers ont réussi à disposer de radios, et qu'ils se tiennent informés de l'évolution de la guerre, et qu'ils perçoivent en quoi les défaites des allemands augmentent la dureté de leur traitement, et dans le même temps amènent des prisonniers de nationalité différente au Stalag II B.

Le lecteur se rend vite compte qu'il commence chaque case en lisant le texte, ne jetant qu'un coup d'oeil distrait au dessin. Il est sous le charme de la personnalité de René Tardi qui transparaît dans ses jugements de valeur, et dans ses tournures de phrase incorporant quelques mots d'argot. Il apprécie la question de Jacques pour obtenir une phrase d'explication sur un terme technique ou contextuel come pupille de la nation, cinquième colonne, Noël Roquevert (1892-1973, acteur), AOF & AEF, bouteillon, charbon de Belloc, gummi, kréoline, la relève. Il se rend compte que la violence des traitements, la déshumanisation, les privations sont exposées, mais avec une réserve et une pudeur toutes masculines qui n'étalent pas au grand jour la souffrance physique et psychologique, ce qui rend la lecture finalement agréable car René Tardi semble tout supporter sans se plaindre (à part pour la faim), et en gardant un espoir que tout cela connaîtra une fin, sans subir l'angoisse de la mort. Ce qui n'empêche pas qu'il constate le décès de ceux physiquement plus faibles, des camarades ayant eu un mot de trop ou un regard malencontreux, des polonais race honnie par les allemands, des soldats sénégalais, des russes, etc. du coup, il finit par se demander ce que lui apporte les images.

Après tout, les dessins ne sont que descriptifs, mais c'est déjà leur première qualité. Chaque case constitue une reconstitution historique d'une grande qualité donnant à voir les uniformes, les chars, les uniformes des soldats des différentes armées, les barraques de prisonniers, les châlits, la boue, la promiscuité, les effroyables conditions sanitaires, etc. Par exemple, le père explique le rituel de la distribution du pain chaque soir, en indiquant : il fallait respecter la distribution du pain, c'était une véritable cérémonie, une messe un pataquès extrêmement sérieux. le dessin montre un groupe de 5 prisonniers se livrant au rituel de peser chaque tranche pour s'assurer que chacun ait exactement la même part : le souvenir s'incarne, avec l'extraordinaire capacité de l'artiste à donner vie à des individus avec des bouilles expressives. le second effet direct des dessins est de rappeler au lecteur à chaque case la réalité du lieu : le camp d'emprisonnement, l'intérieur des barraques, les toilettes, la soupe, les barbelés, la boue, les conditions climatiques, le rituel de l'appel et du comptage, etc. Jacques Tardi réussit à faire en sorte que chaque case, chaque séquence soient visuellement différentes, tout en rappelant régulièrement la présence des barbelés, des conditions de vie, en montrant les prisonniers se côtoyer. Il met tout son savoir-faire de bédéaste au service des souvenirs de son père, laissant le texte de ce dernier au premier plan, conduisant la narration jusqu'à faire paraître les dessins presque superfétatoires. Cependant, il s'agit bien d'une bande dessinée, et les informations visuelles viennent en complément du texte pour faire exister chaque personne, chaque lieu, sans jamais se retrouver redondantes avec ce que disent les mots.

Ce tome constitue une expérience de lecture singulière : une bande dessinée où les dessins semblent superflus, des mémoires de 1.680 jours d'un prisonnier de guerre, durs sans être pesants, une reconstitution historique minutieuse sans être pédante, une immersion dans un quotidien impossible à imaginer. À la lecture, il devient évident que le fils Jacques a effectué un travail extraordinaire de narration, rendu invisible pour être fidèle à la parole de père René. Il s'agit d'un récit dense, cru sans être vulgaire, terrifiant sans être déprimant, un devoir de mémoire très vivant, rendu savoureux par la personnalité de René Tardi qui ne se considère pas comme une victime passive et qui pointe du doigt les coupables de cette défaite de la France, les comportements mesquins et odieux des collaborationnistes qu'ils soient dans la France occupée, à Vichy, ou dans le camp Stalag II B. le tome 2 retrace le retour en France de René Tardi, et le tome 3 sa vie après la guerre.
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Sous le trait brut de René Tardi, en noir et blanc, avec quelques nuances de gris en aplat, et de très rares notes de rouges, pour marquer des moments forts, uniquement pour colorer le ciel au début de l'histoire, et les drapeaux par la suite. On découvre la vie dure, morne et triste dans les camps de prisonniers de guerre, les fameux Stalags de la seconde guerre mondiale en Allemagne. Il y a tout un travail sur l'ambiance, bien rendu par ces tons austères. Jacques discute avec son père, qui a passé toute la seconde guerre dans ces camps, Jacques est représenté dans presque chaque image, dialoguant avec René, son père, on voit donc Jacques déambulant dans ces camps, posant des questions à son père qui lui, est mis en situation dans ces camps. le propos est édifiant, c'est encore un travail remarquable et nécessaire, un témoignage fort et efficace, à la hauteur de ce qu'il a fait sur la première guerre mondiale.
Personnellement, mon grand père a aussi passé 5 années de sa vie dans ces camps, il n'a jamais voulu nous en parler, il est revenu usé, édenté par le scorbut, mais n'en a jamais parlé à ces petits enfants. Pour moi, cette lecture est une découverte cruelle, bouleversante, et je remercie Jacques Tardi de nous avoir éclairé sur cette page d'histoire avec talent, sans spectaculaire superflu. Je trouve que ce talent s'exprime encore mieux dans le témoignage que dans la fiction, pourtant, Tardi est déjà très bon avec la fiction.
Comme avec ”Putain de Guerre”, j'ai envie de dire que tout le monde devrait le lire.
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Je suis un inconditionnel de Tardi. de Léo Malet à Adèle Blanc-Sec, je suis fan. Impossible donc d'être objectif, surtout quand il entreprend un truc inimaginable... dessiner les années de guerre de son père, au front, en déportation puis en "résidence" au Stalag IIB.

Il présente le tout de manière très vivante, comme un dialogue entre lui et son père. Quels enfants n'ont pas essayé de cuisiner leurs parents sur les années de guerre? Je fais partie d'une génération qui n'a pas réellement eu la Seconde Guerre mondiale au programme des cours d'Histoire. C'était trop proche. Et mes propres parents, passés par ces années de douleur, ne voulaient pas en parler, "car on ne remue pas ces choses-là". Cela dit, à force de ne pas les remuer, "ces choses-là" refont surface un jour ou l'autre.

Et le dialogue entre Tardi père et fils s'agrémente de Jacques Tardi apparaissant dans les cases, faisant quelques remarques, quelques pointes d'ironie. Notamment au sujet de plans d'évasion...

C'est dur. C'est concret. C'est servi de manière incroyable par ce trait qui semble hésiter, marque de fabrique de Tardi. le noir et blanc, à peine entrecoupé du rouge des drapeaux nazis et d'une fulgurance de bleu pour le drapeau français, cela fonctionne à merveille. Carton plein en ce qui me concerne.

J'envie Tardi et ses semblables de pouvoir entrer de plain-pied dans L Histoire par le biais d'histoires de famille. Témoigner, raconter, éduquer, voilà une belle oeuvre. Que d'émotions transpirent de ces cases. Que d'horreurs également.
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Moi, fan de Jacques Tardi depuis les albums d'Adèle Blanc-Sec, en passant par les quatre tomes du Cri du peuple, les adaptations des romans de Céline, Léo Malet, Daniel Pennac ou Jean-Patrick Manchette … je ne pouvais passer à côté de cette oeuvre en forme d'hommage à son père René, jeune engagé dans l'armée à la veille de la seconde guerre mondiale, dans laquelle comme tant d'autres il allait être « fait aux pattes » en mai 1940, exactement comme mon père, mon héros à moi …

Car c'est bien dans le même camp, ce Stalag IIB, entre Stettin, Hammerstein et Stragard en Poméranie que Jean Mens, mon père, passa sa captivité telle qu'il la raconta, lui aussi, sur des feuilles d'écolier.

Avec René – et Jacques – je visualise le cadre atroce de cet entassement de jeunes hommes, des années durant, dans le froid, la neige et un régime alimentaire minimal. La faim … C'est le mal absolu, la violence aussi, les poux, la pelote, mais aussi l'amitié et la débrouille, le troc, l'indiscipline qui met les « Schleuhs » hors d'eux.

A la différence de René Tardi, Jean mon père n'a eu de cesse de s'évader. Dès le premier jour. Il a dû s'y reprendre à trois fois, la troisième étant enfin la bonne puisqu'il passa la ligne de démarcation à Loches le vendredi 13 février 1942, pour se lancer aussitôt à nouveau dans le combat. Ses souvenirs étaient moins sombres, mais jamais il ne nous en a parlé, lui non plus …

Ce que j'ai aimé dans le livre de Tardi, c'est le parti-pris de réalisme, encore très en-dessous de la réalité certainement, mais décrit avec beaucoup de justesse : l'accablement, le sentiment de la défaite, la colère immense devant l'incompétence des chefs, la désorganisation de l'armée française face à une stratégie allemande bien plus efficace. Qu'on se souvienne du récit de Marc Bloch « L'étrange défaite ». Cinq ans enfermés sans savoir quand ce cauchemar pourrait cesser … il y a de quoi vous changer un homme pour la vie. On pense aussi à "Maus" d'Art Spiegelman, la référence en la matière ... mais ici, tout sonne tellement plus français !

Il y a aussi la tendresse figurée par l'omniprésence de ce fils que René n'a pas encore eu et qui lui pose des tas de questions techniques ou fondamentales : comment tout ceci pouvait-il être possible, tant d'hommes parqués sans réagir … Un livre qu'il faut transmettre à de jeunes adolescents parce que cette vision de la guerre, nul ne la communique comme ça. A la différence des jeux vidéos, c'est moche, c'est triste, c'est vrai …

Avec comme toujours, les visages typiques de Tardi, reconnaissables entre mille, le ciel plombé, la reconstitution minutieuse du sinistre décor, des mécaniques et des uniformes. On sentirait presque l'odeur de la chambrée en fermant les yeux. Et, finalement, une certaine retenue politique, ce qui n'est pas si fréquent chez Jacques Tardi, le révolutionnaire !

Vivement la suite !
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— Ach, fous zavez berdu la guerre, petits françouzes, alors, on fa fou le faire bayer cher dans nos kamps *rire sadique*

Ainsi devait parler le feldwebel « Kolosal Konnard » ou tout autre « Kartoffel-Führer », faisant son dikkenek devant les pauvres soldats français qui venaient de se prendre la pâtée en un temps record.

Ne vous en faites pas, nous les Belges, on se croyait tranquilles car neutres…

On s'était tous foutus le doigt dans l'oeil jusqu'au coude et bardaf, ce fut l'embardée.

Tout comme Art Spiegleman l'a fait dans son « Maus », Jacques Tardi tente aussi de comprendre son père au travers de la réalisation de cet album où il se met en scène à ses côtés, lui posant « en direct » des questions, le suivant durant son périple en char ou en tant que prisonnier dans le Stalag IIB, en Poméranie.

On sent du Louis-Ferdinand Céline dans cette haine de René Tardi ressent contre la société qui n'a pas bougé, contre cette armée française incompétente, dépassée, mais qui se croyait la plus forte, contre ces officiers n'ayant pas évolué depuis 14-18 ou depuis les guerres Napoléoniennes et devant la bêtise incommensurable de la guerre…

Le fils, Jacques Tardi, a lui aussi les dents qui grincent lorsqu'il parle au début, rappelant à son père qu'il n'aimait pas l'armée, que la SNCF a transporté gratuitement les Juifs pour les livrer… Alors le père lui dit de se taire et d'écouter.

Vu le calvaire traversé durant son incarcération au Stalag, on sent aussi du Primo Levi (même si les Stalags n'étaient pas des camps d'extermination à proprement parler, ce n'étaient pas non plus des camps de vacances) et, comme j'en parlais plus haut, il y a du Art Spiegelman dans cette obstination à comprendre ce qu'a vécu son père pour pouvoir enfin se réconcilier avec ce paternel taciturne et colérique.

Si je ne suis pas fan des dessins de Tardi, ils ne m'ont néanmoins pas dérangés, c'est sobre, réaliste, le tout dans des tons gris, avec de temps en temps des ciels rouge sang.

De plus, j'ai apprécié cette mise en scène de l'auteur qui s'est dessiné sous les traits d'un jeune gamin de plus ou moins 14 ans et qui dialogue avec son père, nous montrant ainsi son passé de conducteur de char (on ne dit pas tank) avant de se retrouver au Stalag, puis dans une ferme en tant qu'esclave bon marché puis de retour au Stalag.

C'est toute la vie des prisonniers dans un Stalag qui se déroule sous nos yeux, avec les soldats français qui font chier les compteurs allemands, bougeant sans cesse, le black market, la bouffe infecte, le travail inhumain, le traitement des prisonniers aussi, la débrouille, la joie, la tristesse, les prisonniers russes encore plus mal lotis qu'eux et les américains comme des coq en pâte.

L'histoire est dure, sans pitié pour personne, que l'on soit un fritz salaud, un prisonnier lâche, cafteur, un travailleur forcé mettant un peu trop d'ardeur à ramasser les patates pour le grand Reich, ou un officier imbécile.

Et puis, comme pour tout le reste, il y a aussi un peu de solidarité entre certains prisonniers, des amitiés fidèles, des officier bosch un peu plus sympa que les autres.

C'est corrosif, avec un peu d'humour parfois, c'est cinglant et sans édulcorants.

Le genre de lecture dont on ne ressort jamais indemne.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Magnifique hommage de Jacques Tardi à son père que cette BD qui retrace ses années de prisonnier de guerre. Face au péril nazi, celui-ci s'engage dans les chars et part combattre en 1939 dans l'Est de la France. Pris par les Allemands, il est convoyé en train pendant plusieurs jours dans des conditions terribles jusqu'en Pologne près de la mer Baltique. Il arrive au Stalag IIB et il y restera jusqu'en 1945 ! Cinq ans de mauvais traitements, de nourriture insuffisante, de froid, d'insalubrité, de solidarité aussi et de camaraderie sans faille.

Jacques Tardi s'est servi des carnets de son père pour écrire cette BD qui change de ses dessins sur la première guerre. Ici il se met en scène dans les dessins comme pour accompagner son père et l'interroger (l'armée, tu l'aimes ou tu la détestes ? pourquoi tu ne t'évades pas ?). Il faut dire que son père revient de ces cinq années ravagé, en mauvaise santé, et en voulant au monde entier de ce qui s'est passé. Entre les rescapés des camps de concentration et les résistants, les prisonniers de guerre ne trouvent pas leur place. On les accuse presque d'avoir passé cinq ans de « camp de vacances ». Or, même si les conditions n'étaient pas comparables aux camps de concentration, un grand nombre sont morts des mauvaises conditions de vie et aussi de l'excès de zèle des gardiens. Et quel début de vie difficile pour ces jeunes hommes enfermés pendant cinq ans !

Pour des raisons familiales, j'étais particulièrement intéressée par ce sujet et j'ai trouvé l'approche de Tardi pertinente, à l'écoute de son père tout en posant beaucoup de questions (tout comme Spiegelman dans "Maus"). Un volume vient ensuite, « Mon retour en France », très intéressant aussi, qui relate la longue marche que doivent faire les prisonniers pour revenir en France avec l'encadrement de gardiens pris en tenaille entre les Alliés qui arrivent et les Russes qui avancent.
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Tardi fait du Tardi et c'est superbe, intelligent.... du Tardi quoi ! Idée géniale dans la narration : mettre en scène l'auteur enfant accompagnant son père, l'interrogeant pour mieux comprendre la situation, les propres contradictions de son père entre le jeune-homme militaire engagé et le père anti-militariste. Cette scénarisation de l'auteur enfant permet de donner du recul à l'histoire, de mettre en abîme le soldat René Tardi, le père René Tardi racontant à son fils sa guerre, l'enfant Jacques Tardi l'interrogeant, cherchant à comprendre et Jacques Tardi l'auteur s'interrogeant toujours au fil de l'écriture de l'album, interrogations parfois sans réponse car posées trop tard.
C'est magistral, le dessin comme toujours est magnifique, la mise en couleur splendide, notamment les perspectives du camp en hiver. Avec de l'humour, des clins d'oeil et de vrais réflexions Tardi nous donne à (re)découvrir une page de notre histoire.
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Comme quoi, tout n'est pas encore dit sur cette saloperie que fut la Deuxième Guerre Mondiale. Assez peu d'ouvrages de témoignages ou d'études sur les prisonniers de guerre français de 1940 existent. La honte semble souvent les réduire au silence. Celle de la défaite, celle de l'armistice. D'avoir dû se rendre sans presque s'être battu. Parfois celle d'avoir dû travailler pour les "Boches".
Avant qu'il ne meurt, Jacques Tardi demanda à son père de mettre cette partie de sa vie par écrit. 30 ans plus tard, le fils en tira un BD exemplaire par le dessin et le respect historique et surtout révoltante sur les conditions de détention, qui furent celles des camps de concentration, l'extermination en moins. Brutalités, appels, baraques surpeuplées, exécutions arbitraires mais aussi combines et marché noir ; tout cela est rendu plus atroce encore par la présence du petit Tardi en culottes courtes, à qui son père raconte son "séjour".
Le tome s'ouvre sur deux préfaces : celle de Dominique Grange, épouse de Jacques Tardi et fille de prisonnier de guerre et celle de Tardi. Deux hommes fauchées en pleine jeunesse, qui n'ont pu suivre leurs aspirations jusqu'au bout. L'ouvrage se clôt sur la préparation de l'évacuation du camp en janvier 45.
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