Citations sur Une vie à soi (52)
Je reste silencieuse. L'amour de l'amour, je ne sais plus très bien ce qu'il signifie, mais l'amour de l'amitié, je le ressens, ce soir, dans toute sa force.On est seul, mais sans l'autre, sans son regard, on serait à terre depuis longtemps.
( p.150)
Toi aussi, à mon âge, tu traversais tout ça : difficultés financières, angoisses de création, rupture sociale. Revenant d'au-delà de la mort et me chuchotant à l'oreille celle que tu avais été, tu me murmurais que je n'étais pas seule.
( p.119)
Elle ( Diane Arbus) porte cette jupe à carreaux et ce chemisier blanc que j'ai déjà vus sur elle, sur une photo, et elle marche très lentement. Elle regarde autour d'elle.Elle regarde les arbres, elle regarde les visages, elle regarde la lumière. Elle regarde.
Depuis que tu aimes, tu " vois" le monde.Comment dire ça simplement ? Tu vois le monde enfin. Tu vois comme chaque chose est " unique".
Cet arbre, son feuillage.Cet autre arbre.La lumière qui le traverse.Depuis la grande crise de 1929, le parc est à l'abandon, les pelouses ne sont plus entretenues, l'ancien réservoir du Belvédère est devenu un bidonville, et toi tu regardes tout, tu as soif de tout regarder, d'entrer par ton regard, à l'intérieur des choses, à l'intérieur du monde.
( p.81)
Mais Diane sait ce que sont les vies placées sous le signe de l'argent et de la réussite sociale.Ces vies-là, elle les connait.Elle les connaît du plus profond d'elle.Elle sait dans quelle fausseté elles peuvent vous enfermer
Vous emmurer vivantes.
( p.61)
Elle ne sait pas que dans mon coeur, c'est la nuit. Je ne lui ai rien dit. Les nuits, parfois, ne peuvent se dire. On est trop loin. Loin des autres, loin de soi, loin des mots. Il n'y a plus de sens. Le sens a coulé. Le sens a implosé.
On n'est pas toujours debout. On est parfois à terre. On est parfois hurlant. En mille morceaux. Oui, la vie est immense, ouverte sur des abîmes. Ouverte sur des espaces. La vie est bien vivante.
Dans mon film, Diane et Allan se voient et se revoient, et chaque fois le désir monte, le désir envahit le corps, la tête, le désir fait exploser des images derrière les yeux qui se ferment, le désir donne la mesure du temps, la mesure de l’attente, et elle sent ça, si nouveau en elle. Son corps s’ouvre, fleur humide et odorante. C’est une lente naissance, violente comme toutes les naissances, mais si douce. Ils se voient en secret, et face à Allan le voile de brume se déchire et un monde apparaît. Derrière le voile de brume, elle entrevoit autre chose, qui n’a rien à voir avec ce qu’elle connaissait. C’est quelque chose auquel elle pourrait enfin se cogner, se frotter. Quelque chose qu’elle pourrait toucher, éprouver. De l’autre côté du corps d’Allan c’est le réel qui pourrait entrer dans sa vie. Le réel, la vie, la sève.
C’est ton regard à nouveau qui me frappe, ton regard craintif, soumis, tandis que celui de ton frère me paraît fier et rempli d’assurance.
Ton regard, qui m’attrape et ne me lâche plus.
Ton regard, qui vient se nicher au plus profond de moi.
Qui vient s’y tapir, blottir, comme s’il était chez lui.
Car il y a des rencontres qui sauvent. Elles vous saisissent au corps, elles vous soulèvent du sol auquel vous êtes englué, elles vous font passer de la nuit à la lumière.
Je ne savais pas, auparavant, la joie que c’était d’être vivant.
Une joie si violente qu’elle crée en moi une morsure douloureuse.
Je ne le savais pas. Je ne savais pas que j’aimais tant être en vie.