Citations sur Une vie à soi (52)
À quoi bon écrire si c'est pour arpenter les territoires connus ? À quoi bon écrire si on ne se jette pas dans le vide ?
( p.161)
J'entends ma mère dire qu'elle a peur et je sens la peur glisser hors de moi, s'en aller rejoindre la peur de ma mère, l'étreindre en silence.
( p.97)
Moi aussi, j'ai voulu passer des frontières. Faire tomber des cloisons.
En 2001, je donne naissance à une petite fille, quelques mois après la mort de ma mère. Je suis propulsée, tout à la fois, dans la perte de celle qui m'a donné la vie et dans la vie de celle que je mets au monde. Je suis propulsée, tout à la fois, dans l'absence et la présence.
(...)L'écriture fait tomber des cloisons à terre.
( p.111)
Quelques mois plus tôt, Diane, tu écrivais à Allan:" J'ai tant à apprendre sur comment vivre.Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pendant ces quarante sept ans? "
( p.179)
Je lui souris. Je l'embrasse. Elle ne sait pas que dans mon cœur, c'est la nuit.Je ne lui ai rien dit.Les nuits, parfois, ne peuvent se dire.On est trop loin. Loin des autres, loin de soi, loin des mots.Il n"y a plus de sens.Le sens a coulé. Le sens à implosé.
( p.148)
J'avais la sensation que nos chairs se touchaient : je trouvais tant de résonances entre nos vies.Pas seulement dans nos vies d'artiste, mais aussi nos vies de femme, nos vies de mère. Reconstituer la cohérence de la vie de Diane m'apparaissait si aisé , moi qui avais le sentiment de ne plus parvenir à reconstituer la mienne. Grâce à Diane, soudain, les choses m'apparaissaient limpides : elle me donnait aussi des yeux pour " voir" ma vie, elle me m'offrait en miroir.
( p.122)
J’aime ne pas parler. Ne pas parler, c’est comme écrire : c’est rejoindre les mots dans le silence. Les déterrer, ça me rend vivante. Comme lorsque je me promène seule dans ce parc, et que je sens tout si vivant en moi, si violemment vivant, si violemment vivant que j’ai envie de pleurer, si violemment vivant que c’en est une jouissance.
Et soudain, Diane Arbus, morte il y a plus de quarante ans, était violemment présente en moi, violemment vivante. Ça ressemblait à une étreinte. Je m’accrochais à elle, de toutes mes forces.
Je ne sais jamais, le matin, ce que l'écriture va faire advenir, où elle va m'emporter-" presque chaque jour surgit un nouvel émerveillement " et je sais que je n'irai jamais au bout.Il n'y a pas de bout.Il faudra toujours chercher à aller plus loin, à s'enfoncer davantage. (...) Rien n'est plus vaste que l'humain.
( p.91)
Ma mère, inquiète encore malgré les yeux clairs de mon père. Nous trois silencieux.
Si longuement silencieux. (...)
Qui de nous trois avait compris ce
jour-là que quelque chose avait pris fin à jamais ?
Que je les quittais.
Qu'en partant écrire, je m'en allais vivre.
Je m'en allais vivre ailleurs.Dans un autre monde que le leur.
( p.67)