La chevauchée des steppes : 3000 kilomètres à cheval à travers l'Asie centrale

Laideur superbe de ces paysages qui finissent, dans le triste déploiement de leur hideur, par développer une esthétique tragique. Triste destin que d'échouer en ces lieux déshérités où l'horizon du ciel et l'horizon de vie butent sur la même perspective : un grand mur gris donnant sur le désert.

Gazli est l'une de ces installations minières soviétiques posées sur la steppe, hérissées d'antennes et de cheminées, reliées aux oasis par des oléoducs et des gazoducs, et qui ne doivent leur existence qu'aux ressources minières enfouies sous ses fondations.

La ville de Gazli est encore plus loin que nous le pensions. Théorème universel : une étape difficile n'est jamais plus courte que ce que l'on prévoyait. Très loin dans la nuit, entre l'horizon et le socle du ciel, nous apercevons les lumières qui ne s'approchent jamais, qui ne grossissent pas, qui semblent même reculer.

Rien n'échappe à nos trois compagnons. Ils remarquent le moindre mouvement à des centaines de mètres à la ronde. Ils sont sensibles à des modifications de leur environnement si subtiles qu'un cheval domestique n'y prêterait pas la moindre attention. Cette vigilance portée au détail est une arme efficace dans l'hostilité aride des déserts. Nous interprétons chacune de leurs réactions et apprenons à leurs côtés à acquérir cette acuité de perception, à scruter sans répit les modulations de l'horizon, à recourir à notre sixième sens pour évoluer en ces étendues.

Au cours de notre lente avancée au milieu des monotonies, le moindre événement prend une ampleur considérable : la gerboise qui fuit à notre approche, le bruissement d'un saksaoul accroché à la pente d'une dune, l'agitation fébrile d'un lézard fouissant dans le sable.

La steppe défile à 5 ou 6 kilomètres à l'heure, sans que rien vienne rompre la fantastique uniformité du désert. Régulier déroulement du paysage comme la molle fuite d'un tapis roulant sous les yeux engourdis.

Secret de pèlerin : avancer sans hâte mais sans aucun répit, à pas comptés, avec obstination, tout au long du jour, pour abattre de considérables distances.

Les montures que nous avons surprises encore couchées ne comprennent pas pourquoi la brosse caresse déjà leur robe, si tôt avant le jour, alors que la lune n'a pas même pâli et que les étoiles restent encore cloutées au sommet de la nuit.

La lune dessine des chemins de lait dans les canaux.

Goulam est croyant. Du genre fervent avec les yeux injectés. Il nous explique que c'est Allah qui commande chacune de ses actions et que c'est à Lui de recevoir nos gratitudes.