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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avec Nous qui n'étions rien, Madeleine Thien plonge son lecteur dans cette Chine populaire qui nous a inquiétés, choqués, scandalisés, fait rêver parfois, affolés aussi au cours du XXe siècle, tout cela sur un fond musical d'une richesse et d'une érudition extrêmes.
Le livre, comme l'auteure, base son point de départ au Canada, à Vancouver, où des familles chinoises ont trouvé refuge, fuyant un régime niant toute initiative individuelle et qui embrigadait son peuple. Jiang Kai, le père de Marie Jiang ou Jian Li-ling, la narratrice, était un pianiste célèbre mais on apprend qu'il s'est suicidé à Hong-Kong, en 1989. Déjà, sont évoquées les manifestations tristement célèbres de la place Tian'anmen, à Pékin, la même année.
Marie Jiang part ainsi à la recherche des membres de sa famille, compare les caractères, signale qu'on ne parle pas tout à fait la même langue d'un lieu à un autre de cet immense pays et remarque : « Sur la table, les papiers de mon père ressemblaient à de l'écume surgissant à la crête d'une vague prête à exploser sur le tapis. »
C'est l'arrivée d'Ai-ming, le 16 décembre 1990, une Chinoise qui a fui son pays par le Kirghizistan, sans passeport, qui va précipiter les choses mais la quête sera très longue et passera pas des allers-retours pénibles entre le présent et un passé d'une densité folle et compliquée entre de nombreux personnages. Certains ont gardé leur nom chinois mais pour d'autres on a francisé et c'est ainsi que l'on fait connaissance avec Pinson, Grand-mère Couteau, Vrille sa soeur, Wen le rêveur son mari, Ours volant… la liste serait trop longue. D'ailleurs, il a été nécessaire de mettre un petit arbre généalogique au début du livre et je m'y suis reporté de temps à autre.
Ce roman est une gigantesque fresque durant laquelle, je l'ai dit, la musique revient sans cesse. Si Jiang Kai était pianiste, Pinson était compositeur, Zhuli une formidable violoniste et le conservatoire de Shanghai où ils habitent, est le centre de nombreux événements jusqu'à ce que la Révolution culturelle de sinistre mémoire ravage tout.
J'ai trouvé lassant cette analyse constante de la musique ou alors, j'aurais bien aimé pouvoir entendre en même temps les oeuvres signées Bach, Prokofiev, Beethoven, etc… même comme c'est si bien écrit : « La musique accompagnait les naissances, les rituels, le travail, les défilés, l'ennui, les affrontements et la mort ; la musique et les histoires, même en des temps comme ceux-là, étaient des refuges, des passeports, partout. »
Dans ce beau livre des éditions Phébus découvert grâce à Babelio, le Livre des traces sert de trame romanesque. Il suffit de remplacer les noms imaginaires par leurs noms réels pour connaître l'histoire de la famille.
Enfin, c'est lorsque débutent les manifestations des étudiants rejoints par les ouvriers dans Pékin et sur la place Tian'anmen comme dans d'autres villes du pays, que le roman prend toute son envergure. Ai-ming, la fille de Pinson, raconte. Elle est au coeur de ce qui se passe avec Yiwen, son amie, et c'est passionnant, bouleversant et tellement important pour ne pas oublier ce qu'ont vécu tous ces gens qui ont démontré un courage extraordinaire

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Une jeune femme, Marie, née au Canada de parents chinois, essaie de reconstituer son passé, ses racines chinoises. Elle est en quelque sorte guidée par une jeune fille, Ai-Ming, qui passe quelques temps chez eux. Ai-Ming fuit la Chine en 1989, après les événements de la place Tian'anmen, son père Pinson ayant été très proche du père de Marie, Kai. Ai-Ming raconte à la petite fille qu'est Marie, la vie de sa famille, de sa grand-mère Couteau, son grand-père Ba, de Vrille sa grand-tante...Après le départ de Ai-Ming, Marie voudra et ne pourra la retrouver, mais à travers des lettres, des témoignages, des objets, des rencontres et voyages, elle va reconstituer la vie de la famille de Ai-Ming et aussi un peu de celle de son père, mort jeune. Une histoire soumise aux vicissitudes de l'Histoire de la Chine du XXe siècle, guerre civile, les Cent fleurs, le Grand bond en avant, la Révolution culturelle, Tian'anmen … Une histoire cruelle, dans laquelle personne n'a été épargné, tout le monde devient victime à un moment ou un autre.

Nous suivons successivement les vies mouvementées des personnages, avec en contrepoint le regard de Marie. La famille d'Ai-Ming est une famille de musiciens, qui vivent passionement leur rapport à cet art, pour qui elle est source de bonheur, qui pourrait être une consolation. Mais même l'art peut devenir suspect et dangereux dans un régime qui veut tour régenter, y compris les pensées. Tous les personnages auront à faire à un moment des choix, même si au final, il en n'en existe pas de bons.

Madeleine Thien tisse petit à petit une vaste fresque polyphonique, donnant voix à des multiples personnages, en brossant sans doute à travers eux un tableau du peuple chinois dans son ensemble, pendant ces années difficiles, dans cette histoire tourmentée. Comme un musicien, elle construit plusieurs mouvements, des motifs qui reviennent, des leitmotivs, des sonorités disparates qui se rejoignent. Des moments de violence sont précédés de moments joyeux ou tendres, la tristesse cède la place à la sérénité. Ce n'est pas un résumé d'événements historiques précis et détaillé on y croise pas vraiment de personnages célèbres, il s'agit plutôt d'évoquer les résonances de ces événements sur des gens ordinaires, qui y ont participé bien malgré eux, qui ont été entraînés, parfois détruits par l'onde de choc. L'humain, le sensible, sont ici au premier plan, plutôt qu'une analyse historique à proprement parlé. C'est émouvant sans trop tirer vers le pathos et l'émotion facile.

L'approche est poétique, il y a des ellipses, des métaphores, des symboles. Comme celui de ce livre, que plusieurs personnages du roman recopient par morceaux tour à tour, en les inventant, en y opérant des changements, en participant à sa création ininterrompue. Un livre qui n'aura pas de fin, comme nous ne connaîtront pas le destin dAi-Ming. La fin demeure ouverte, c'est au lecteur, et à l'histoire future de continuer à raconter la suite.

Un grand merci à Babelio et aux Editions Phébus (décidément l'un de mes éditeurs préférés) de m'avoir proposé ce merveilleux livre, que je n'aurais peut-être pas lu sans cela, ce qui aurait été dommage, tant j'ai passé un beau moment en sa compagnie.
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Puissant et très émouvant ! Musique et persécutions rythment la vie d'une famille chinoise, de la guerre sino-japonaise à la répression de Tian'anmen. Ils aiment et jouent (très bien) Bach, Beethoven, Prokofiev et Ah Bing (que je viens de découvrir avec beaucoup de plaisir grâce à ce roman). Une famille de musiciens que nous suivons sur trois générations. Trois générations sacrifiées sur l'autel d'une idéologie qui voulait créer un Homme Nouveau et qui n'aura réussi qu'à en massacrer cruellement plusieurs dizaines de millions.
Le titre anglais (ne pas dire que nous n'avons rien) en dit plus que sa version française. Les personnages sont dans l'impossibilité de se plaindre des misères et de l'injustice qui leur sont faites. Non seulement, ils doivent souffrir en silence, sans pouvoir clamer leur innocence, mais on les force à avouer des fautes qu'ils n'ont jamais commises. Ceux qui refusent sont exécutés ou poussés au suicide. Au fil des pages, à travers le destin tragique de ces modestes et attachants personnages, qui ne souhaitaient qu'aimer leur famille et travailler le don dont ils avaient hérité, mais qui seront tous brisés par cette effroyable mécanique, l'auteure règle le compte du Maoïsme, effroyable usine à malheur et à cruauté, tapie derrière des grands mots poétiques dont la Chine a le secret : Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution Culturelle. C'est fort !
Commençons par la musique, à la fin des années 40 : « C'était une époque de chaos, de bombes et d'inondations, où les chansons d'amour coulaient des radios et sourdaient dans les rues. La musique accompagnait les mariages, les naissances, les rituels, le travail, les défilés, l'ennui, les affrontements et la mort ; la musique et les histoires, même en des temps comme ceux-là, étaient des refuges, des passeports, partout. »
« A l'époque, un village pouvait changer de mains toutes les deux ou trois semaines, un jour dans celles des communistes, l'autre dans celles des nationalistes, et le lendemain, des Japonais… Mais dans les salons de thé, tout le monde pouvait partager quelques chansons. Les gens savaient que la famille et les liens du sang étaient réels, racontait Mère Couteau. Ils savaient que la vie ordinaire avait déjà existé. Mais personne ne pouvait leur dire pourquoi, du jour au lendemain et sans raison valable, tout ce qui leur était cher avait été réduit en poussière. »
Vous avez raté l'évolution politique de la Chine sur les soixante-dix dernières années ? Ce roman vous remettra à jour d'une façon que vous n'oublierez pas.
Ils n'ont que la solidarité familiale et la musique pour affronter les cataclysmes qui vont s'abattre sur eux pendant soixante-dix ans. Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution culturelle. Jusqu'à l'espoir noyé dans le sang de la place Tian'anmen (Paix Céleste !). En guise de fleurs ou de bonds en avant, il n'y a que dénonciations, spoliations, séances d'autocritiques, seuls face à la foule haineuse et violente, défilés en ville pour subir insultes, crachats, coups pendant de longues heures, déportations, camps de travail et de « rééducation », exil à l'autre bout du pays sans espoir de revoir ses proches, famines effroyables, obligation de dénoncer les propres membres de sa famille.
« (Zhuli) allait apercevoir les pancartes qui séchaient sur la table de la cuisine. Da Shan et Ours Volant avaient été forcés de critiquer Zhuli, Vrille et Wen le Rêveur. Ces dénonciations seraient affichées au matin. Traitez-la de fille de sale droitiste, leur avait ordonné Ba Luth. Il le faut. Allez écrivez. Ne me regardez pas comme ça. Ce n'est rien, seulement des mots. Da Shan, si tu ne dénonce pas Zhuli, ce sera encore pire pour elle. Ils reviendront en disant qu'elle est un démon, qu'elle s'est infiltrée dans nos vies. Laissons-les nous humilier, si c'est ce qu'ils veulent. Mieux vaut être humble, tu ne crois pas ? Tu ne voudrais pas que ton pauvre père, que tes frères perdent la vie ? L'adolescent trempa son pinceau en tremblant. Avec soin, il traça le nom de Zhuli.»
La fin du roman est d'une telle intensité, les personnages tellement émouvants qu'on finit par tourner les pages à la vitesse d'un bon polar. Que peut-on accepter de faire pour continuer à vivre lorsqu'on est déjà un survivant ? Jusqu'où peut-on s'oublier et tendre la main à celui qui est en danger?
A lire absolument, si possible en écoutant de la musique traditionnelle chinoise qui, avec erhu, dizi et pipa, accompagne tellement bien ce voyage aussi éprouvant que poétique.
Mes remerciements à Babelio et aux éditions Phebus qui m'ont permis de découvrir en avant-première ce magnifique roman.
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Un récit magnifique, puissant, intense, qui nous plonge dans la Chine de la Révolution culturelle, jusqu'aux manifestations de la place Tian'anmen. Il ne s'agit pas d'un livre d'histoire centré sur les faits mais plutôt d'un livre d'ambiance centré sur les gens. On prendrait grand plaisir à le lire, même s'il s'agissait d'une pure fiction. Je vous le recommande très chaudement !

Je suis dépité à l'idée de rédiger un commentaire qui ne sera pas à la hauteur de ce que ce livre mérite. Car je l'ai lu dans de mauvaises conditions: non seulement j'étais fort fatigué et en plus, mon temps de lecture à été morcelé par divers imprévus. Bref, à mon grand regret, je n'ai pas pu donner toute l'attention qu'il m'aurait fallu donner.

Je me suis laissé bercer par le texte, mélangeant parfois les personnages, oubliant parfois certains faits. Mais, c'est remarquable, le livre autorise aussi cette lecture-là. Je veux dire que j'ai pris plaisir à apprécier les portraits de musiciens se retrouvant à travailler en usine, ou des portraits de militants, des portraits de jeunes étudiants, des portraits de personnes plus âgées…

J'ai pris plaisir à me sentir plongé dans une sorte de rêve poétique où la musique a une place prépondérante. Plusieurs personnages du récit sont des artistes passionnés. On les voit chercher à tout prix à poursuivre leur travail de composition, on les voit prendre plaisir à écouter ou à interpréter des compositions européennes, malgré toutes les embûches semées par le régime politique. Voir ces gens guidés par leur passion est pour moi une source d'énergie d'une grande valeur.

L'auteur excelle également à faire ressentir combien la Révolution culturelle a été vécue différemment dans les grandes villes par rapports aux campagnes.

Ma connaissance de cette période de l'histoire de la Chine se réduit à peau de chagrin. Je ne m'aventurerai pas à porter le moindre jugement sur la valeur historique du livre. S'il dépeint fidèlement la réalité de l'époque, tant mieux. Mais si ce n'est pas le cas, peu importe: sa valeur littéraire est une raison suffisante pour en entamer la lecture. Une lecture d'hiver, dirais-je, une lecture pour s'installer bien au chaud et s'évader de longues heures dans un autre monde.

Je remercie les éditions Phébus de m'avoir fait découvrir cet ouvrage et son auteure dans le cadre d'une opération Masse critique de Babelio. Je suis déjà curieux d'entamer d'autres ouvrages de Madeleine Thien.
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Madeleine Thien, l'auteure de Nous qui n'étions rien, est née à Vancouver. Ses parents appartiennent à l'importante diaspora chinoise installée en Colombie-Britannique, sans doute à la fin du bail emphytéotique de Hong Kong. Elle s'est probablement inspirée de la vie, des épreuves et de l'exil de ses proches pour créer sa galerie de personnages, tous très complexes, attachants pour la plupart, sensibles ou apparemment indifférents, prétendument forts ou extrêmement fragiles.
***
Li-Ling (Marie) vit à Vancouver avec sa mère. Kai, son père, est retourné à Hong Kong (1989) où il s'est suicidé au plus grand désarroi des deux femmes qui s'interrogent sur le motif de son acte. Alors que Marie a dix ans, malgré leurs difficultés financières, sa mère accueille Ai-Ming, une jeune réfugiée sans passeport, obligée de fuir la Chine après les événements de la place Tian'anmen à Pékin (1989). En fait, il s'agit de la fille de Pinson, qui a parrainé Kai, le père de Marie, au conservatoire de musique de Shanghai dans les années 60. Marie, grâce à Ai-Ming et au Livre des Traces, va pouvoir reconstituer une bonne partie de la vie de sa famille et, partant, de l'histoire de la Chine. le Livre des Traces voyage secrètement de main en main et de lieu en lieu depuis la génération des grands-parents de Marie. Au fil du temps, il est modifié, codé, et comme son nom l'indique, il pose des jalons qui sont autant d'indices qui permettront de remonter jusqu'à son origine. Marie n'obtiendra pas toutes les réponses à ses questions, mais elle découvrira certaines choses qu'elle aurait sans doute préférer ignorer…
***
J'ai eu de la difficulté à entrer dans ce magnifique et ample roman. Non que les sauts dans le temps m'aient dérangée, j'y suis habituée et ce type de construction me plaît à cause des variations qu'elle induit et des liens qu'elle fait souvent ressortir, ce qui est presque toujours le cas dans cette oeuvre. Qu'un personnage porte plusieurs noms m'a déroutée, d'autant plus que mon manque de connaissance de la culture chinoise ne me permettait pas de savoir qui était une fille et qui un garçon. L'arbre généalogique qui se trouve au début du texte m'a été très utile, même si un seul des noms de chaque personnage y apparaît, et je l'ai consulté plusieurs fois. Presque tout dans ce roman a un lien avec la musique, que ce soit la musique occidentale ou chinoise. Pinson est un compositeur doué, Kai un pianiste reconnu, Zhuli une violoniste exceptionnelle. Ils vouent une passion à Glenn Glould, le génial pianiste canadien dont les interprétations de Bach continuent à être une référence. Les personnages de Madeleine Thien sont devenus tellement vivants au fil de la lecture et tellement intégrés à la dramatique trame historique que, à plusieurs reprises, je n'ai pas pu m'empêcher de déplorer un tel gâchis : tant de morts, tant de disparus, tant de talents brisés, tant d'espoirs anéantis par des politiques absurdes et absurdement récurrentes ! Une magnifique et tragique histoire qui, je le sais, devait m'émouvoir autant, voire plus, quand je relirai ce beau roman.
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Merci à BABELIO et aux Editions PHEBUS pour cette découverte.

Il est des romans si denses, si profonds, soulevant des questions existentielles qu'ils ne peuvent être lus rapidement ou alors on a l'impression de passer à côté de quelque chose.

« Nous qui n'étions rien » fait partie, pour moi, de ces romans.

La jeune Marie, adolescente d'origine chinoise, est née et vit à Vancouver. Sa mère accueille en leur domicile, Ai-Ming, étudiante à Pékin devant fuir la répression consécutive à la rébellion de la place Tian'anmen.

Apparemment la jeune fille serait la fille du meilleur ami du père de Marie, récemment disparu à Hong-Kong. Marie ne connaît rien de la Chine qu'elle va découvrir à travers l'histoire qu'Ai-Ming va lui raconter : celle de la famille de son père.

Pinson, c'est ainsi qu'on l'a surnommé dès l'enfance, naît après la Révolution Culturelle dans une famille où la musique a toujours tenu une très grande place. le statut de son père, héros de la révolution, lui permettra d'étudier et d'enseigner au Conservatoire.

Mais, la contre-révolution dans les années 1960 et son lot de violence viendra chambouler sa vie : il deviendra ouvrier dans une usine de fabrication de transistors. C'est ce qu'on appelle alors la rééducation par le travail. Pendant des années, Pinson ne pourra plus écouter ses compositeurs favoris (Chostakovitch, Bach et Beethoven), ni même composer.

Le désir de liberté, initié par les étudiants, qui se met à souffler sur la Chine à la fin des années 1980 laisse espérer un renouveau. Les espoirs seront bien vite brisés.

Il y a deux choses qui ont retenu mon attention dans ce roman :

la dictature faite au nom du Peuple qui a conduit à la famine, à la misère du plus grand nombre, à l'éradication des intellectuels et des artistes, à la terreur engendrant elle-même des dénonciations et des exactions, au rejet de l'individualité et à l'impossibilité de toute vie privée : « La vie était comme ça à l'époque, a-t-elle fini par dire. Les gens se perdaient du vue. On pouvait vous envoyer à cinq mille kilomètres de chez vous sans espoir de retour. Tout le monde connaissait tellement de gens dans cette situation, des gens qu'on avait envoyés ailleurs (…) Les gens n'avaient tout simplement pas le droit de vivre où ils voulaient, d'aimer qui ils voulaient, d'exercer le métier qu'ils voulaient. le Parti décidait de tout. (…) Tant de gens avaient été envoyés dans des camps de travail comme Ba Luth, arrêtés comme Vrille et Wen, réassignés dans des provinces lointaines comme Ling et Mère Couteau ; ces gens avaient été privés d'une liberté fondamentale : le droit d'élever leurs propres enfants. »
D'où mon questionnement, le Peuple a-t-il toujours raison ? Les actes commis en son nom ne sont-ils parfois pas plus terribles que ceux d'un pouvoir soucieux du respect des institutions ? Je trouve que cela résonne particulièrement avec ce que nous vivons actuellement en France (ceci n'est que mon opinion personnelle).

le pouvoir de la musique classique. J'ignorais que les musiciens cités plus haut avaient été largement étudiés, joués en Chine avant l'arrivée de Mao au pouvoir. La musique tient une si large place dans ce roman que je suis allée emprunter à ma médiathèque préféré les oeuvres citées.
» Nous qui n'étions rien » est un roman à découvrir car il permet de découvrir l'Histoire de la Chine à travers celle de Pinson, Mère Couteau, Vrille, Da-Wei et Quatre Mai, sans oublier Zhuli la jeune violoniste passionnée.

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Grâce à Babelio et aux éditions Phébus, que je remercie, j'ai fait la connaissance de Madeleine Thien avec son roman « Nous qui n'étions rien », ou plutôt « Ne dites pas que nous n'avons rien », ce qui serait la traduction littérale du titre anglais original.
Il m'a fallu beaucoup de temps pour lire ce livre, non pas parce que je ne l'ai pas aimé, mais parce qu'il est très dense, et que le récit n'est pas linéaire : il est morcelé sur trois périodes : la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne chinoise des années 60 – 70, les événements de la Place Tian'anmen en 1989, et la période contemporaine. le récit est également réparti entre différents personnages, chacun d'eux apportant une partie de l'histoire. Ces différents acteurs ne sont pas très nombreux, une dizaine tout au plus, cependant il m'a été nécessaire, surtout au début, de me reporter à l'arbre généalogique qui est heureusement proposé en tête du volume.
Le point de départ se situe dans la communauté d'origine chinoise établie à Vancouver. Nous découvrons le personnage de Jian Li-ling, la narratrice principale de ce roman choral. Dès le début apparaissent quelques thèmes qui sous-tendent l'oeuvre : Li-ling, qui s'appelle aussi Marie Jiang dans son « identité canadienne », s'interroge sur ses origines chinoises qu'elle connait mal car elle n'est pas née en Chine. Elle s'interroge aussi sur son père, qui a quitté sa famille brusquement pour aller se donner la mort à Hong-Kong, sans donner aucune explication sur son geste.
Puis apparaît dans la vie de Li-ling une autre jeune fille, Ai-ming, envoyée par sa mère se réfugier au Canada après les événements de Tian'anmen. Or les pères de Li-ling et de Ai-ming étaient amis en Chine, avant d'être séparés par ce qu'on pourrait appeler les tourbillons de l'histoire. Aidée par sa nouvelle amie, ainsi que par un mystérieux manuscrit, le « Livre des traces », que lui a transmis sa mère, Li-ling reconstitue peu à peu, à travers différents personnages qu'elle découvre, l'histoire de sa propre famille. Curieusement Li-ling n'est pas du tout aidée dans sa quête par sa mère, qui communique très peu avec elle. (C'est aussi un des thèmes du livre : la communication des jeunes avec leurs parents).
Dans le coeur du livre, nous découvrons un groupe de personnages qui ont presque tous en commun l'amour de la musique classique occidentale. Il y a en particulier Kai, pianiste, le père de Li-ling, Pinson, compositeur et père d'Ai-ming, et Zhuli, jeune fille violoniste, nièce de Pinson. Ces musiciens m'ont particulièrement intéressé, car je me suis souvent posé deux questions :
- Comment de fait-il que des Chinois ou des Japonais, par exemple, puissent interpréter de manière magistrale des oeuvres de musique occidentale, que ce soit du baroque, du romantique ou du moderne, alors que je ne connais aucun musicien occidental qui soit reconnu comme bon interprète de musique traditionnelle d'extrême –orient ? Est-ce que « notre » musique serait plus universelle que la « leur », ou est-ce qu'ils l'appréhendent selon d'autres mécanismes que nous ?
- Qu'est-ce qui fait la puissance de la musique sur l'esprit humain ? Comment peut-on consacrer sa fortune ou même vie à la musique, quitte à braver les interdits socio–culturels en vigueur ?
Une partie des réponses se trouve au fil de ces pages, mais je n'ai pas trouvé (heureusement ?) d'explication complète à tout.
L'émotion est forte, dans un autre domaine, quand on lit les pages décrivant les abus de la Révolution Culturelle : pour prouver que vous êtes bon citoyen, vous devez vous livrer régulièrement à une autocritique publique ; mais à tout moment, cette autocritique peut être reprise contre vous pour vous faire déclarer ennemi de la Révolution, et vous faire expédier en « rééducation » à l'autre bout du pays, tandis que vos propres parents ou enfants n'ont pas d'autre choix que de vous dénoncer également. Il est bien difficile de pratiquer sereinement la musique classique dans ces circonstances, et pour pouvoir le faire, un des protagonistes choisit de se ranger du côté des gardes rouges et de provoquer la déchéance de ses amis.
Il est curieux de constater, au passage, que les trois compositeurs le plus souvent cités par les héros du livre sont Bach (cela s'explique probablement par une certaine « universalité reconnue » de ce musicien), mais aussi Chostakovitch et Prokofiev, lesquels ont été pendant une bonne partie de leur vie en butte aux persécutions du Parti Communiste…

Lorsque arrive la fin du livre, le puzzle est peu à peu reconstitué : le suicide du père de Li-ling s'explique, et une justice indirecte est rendue au compositeur Pinson, qui a été trop longtemps muselé par la Révolution Culturelle.
Mais l'ouvrage ne se résume pas simplement à cette « saga familiale ». Il contient une multitude de courtes descriptions, de réflexions, de traits d'humour même, qui donnent souvent envie de revenir en arrière, de relire tel ou tel passage pour le savourer. J'ai noté au fil de la lecture douze « citations » que je vais retranscrire sur le site de Babelio, mais j'aurais pu en collecter bien plus si je ne craignais pas de monopoliser trop d'espace…
Les précisions historiques sont également intéressantes, et m'ont permis par exemple de mieux comprendre les circonstances exactes des manifestations de Tien'anmen : à l'époque (il y a trente ans) j'avais connu ces événements par l'intermédiaire des media occidentaux, l'éclairage donné par Madeleine Thien est assez nettement différent.

En conclusion, je recommande ce livre à tous les membres de Babelio, mais avec une précaution particulière : prévoyez du temps pour le lire, ne croyez pas que vous allez le dévorer en deux ou trois jours, et n'hésitez pas à revenir de temps en temps en arrière, pour « recadrer » les personnages, ou simplement pour le plaisir de relire un beau passage.
Ah, puis encore un détail : une fois la lecture terminée, je me suis aperçu qu'il y avait à la fin du volume quelques pages de notes … qui ne sont pas signalées dans le texte ! (un oubli de l'éditeur ?). Ce n'est pas gênant pour la compréhension de l'intrigue, car il s'agit surtout de précisions sur les ouvrages dont certaines phrases sont citées dans le récit.
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A Vancouver en 1990, la narratrice, Marie Jiang (ou Jian Li-ling selon son prénom chinois) a 10 ans. Elle vit seule avec sa mère, depuis le tragique suicide de son père, quelques mois auparavant. Kai avait décidé de les quitter pour retourner en Chine alors que lui-même, étant réfugié politique, n'en avait plus la nationalité. Il résidait à Hong-Kong lorsqu'il s'est jeté de la fenêtre de son hôtel, un geste resté inexpliqué pour toutes les deux...Jiang Kai était un pianiste célèbre.
Toutes deux accueillent chez elles une jeune fille qui a fui la Chine par le Kirghizistan, après les événements de Tian'Anmen. Elle s'appelle Ai-Ming, n'a que 19 ans et est très éprouvée par son long voyage solitaire, loin de sa propre famille. Elle a perdu son père, elle-aussi, durant les manifestations et sa mère a préféré la savoir loin d'elle, mais en vie. Elle n'a pas de papier et n'ose pas sortir de la maison. Elle est accusée d'avoir participé aux événements et elle est donc activement recherchée par le gouvernement de son pays.
Peu à peu Ai-Ming va s'intégrer dans la famille et Marie va s'apercevoir que leurs deux familles se connaissent depuis fort longtemps. Elle voudra en savoir plus, d'autant plus qu'elle découvre que le vieux carnet calligraphié intitulé "le livre des traces" qu'elle et sa mère ont découvert dans les affaires de Kai, a été écrit de la main même de Pinson, le propre père de Ai-Ming...un des compositeurs parmi les plus réputés de Shanghai, qui comme tant d'autres a été obligé, à la fermeture du Conservatoire et suite à la destruction des 500 pianos, de travailler dans une usine.
Ai-Ming se décide à raconter à la petite Marie L histoire de sa famille. Une famille qui a vécu tout un pan de l'histoire du pays, de la fin de la seconde guerre mondiale aux événements récents...
Marie découvre que des liens puissants et indestructibles réunissent leurs deux familles et que, leurs pères ont été très proches, et ont partagé un amour démesuré pour la musique jusqu'à ce que Kai fuit la Chine dans les années 70.
Elle découvre aussi, un père qu'elle n'a pas eu le temps de connaître, sa jeunesse, ses projets et ses rêves brisés par la Révolution Culturelle.

Mais un jour Ai-Ming les quitte pour tenter de passer au USA. Au bout de quelques temps, elle ne donnera plus jamais signe de vie...
Des années après, alors que sa mère est sur le point de mourir, Marie lui promet qu'elle ne cessera jamais de la chercher.
A 27 ans, elle partira en Chine sur les traces d'Ai-Ming et, en marchant dans les pas de Pinson et de sa famille, ce sera sa propre histoire qu'elle va découvrir...

C'est à la fois une saga familiale durant trois générations et un poignant récit d'une partie de l'histoire de la Chine, racontée du point de vue de plusieurs membres de la même famille.
Les personnages sont attachants d'autant plus que l'humain est au centre de l'écriture et que le lecteur entre dans l'intimité et le vécu des familles. Les citer tous seraient beaucoup trop long.
(...)
C'est un roman intense mais complexe et très érudit, donc parfois difficile à lire que l'on ne peut découvrir d'une seule traite car il demande de nombreuses pauses. La parole est donnée le plus souvent à Marie. Mais le lecteur ne s'ennuie pas car les événements s'enchaînent et nous font passer des moments joyeux et paisibles aux drames : tout est raconté du point de vue de l'individu.
Vous vous en doutez, l'histoire de la Chine est omniprésente et n'est pas simple. de plus les prénoms chinois se ressemblent beaucoup et c'est parfois difficile de les distinguer. Heureusement pour se retrouver parmi les membres des deux familles, un arbre généalogique est proposé.
Les amoureux d'histoire retrouveront donc les principaux événements ayant eu lieu dans le pays durant le XXe siècle.
(...)
Cela dit ce n'est pourtant pas un roman historique. Il ne décrit jamais les faits bruts mais nous les fait vivre, à travers le vécu des différents personnages, ce qui rend ce roman totalement poignant.
J'ai aimé les passages poétiques, les descriptions des paysages et des situations, et aussi les pages où l'auteur intègre les idéogrammes chinois et leur signification.
Les mélomanes adoreront l'importance de la musique qui imprègne tout le récit car il n'y a pas une page qui ne se passe sans musique, sans création, sans partition, sans Prokofiev, Bach ou Beethoven et autres compositeurs célèbres...la musique est le lien entre les hommes, leur refuge, ce qui les maintient en vie, leur donne envie de poursuivre, encore et toujours, leur quête de liberté. Les pages sur la musique font partie des plus belles du roman...
Et à chaque page, les liens familiaux ou amicaux, l'amour, la solidarité sont les plus forts, traversant les années, même si parfois ils ne suffisent pas à maintenir en vie les personnages, auxquels le lecteur ne manque pas de s'attacher...et qu'il regrette de quitter sans savoir ce qu'ils vont devenir.
C'est un roman remarquablement écrit et un moment de lecture très fort, inoubliable, un roman qui me poursuit alors que je l'ai refermé depuis plusieurs jours et qui, j'en suis certaine, marquera mon année de lecture.
Merci à Babelio et aux éditions Phébus de m'avoir sélectionné pour participer à cette Masse critique exceptionnelle. Ils m'ont permis de découvrir ce merveilleux roman qui a déjà reçu plusieurs prix littéraires.

Ma critique est encore plus développée sur mon blog ci-dessous...
Lien : http://www.bulledemanou.com/..
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Ce roman est prodigieux ! Il s'agit d'une gigantesque épopée qui se déroule sur près de soixante-dix ans, le temps que la Chine populaire de Mao Zedong évolue vers la dictature libérale de Xi Jinping, mais ce n'est pas un essai historique tant s'en faut. Toute cette période de l'Histoire se découvre par le truchement d'une fantastique saga familiale qui transporte le lecteur au coeur d'événements les plus exactement racontés tout en le faisant cheminer dans les pas des personnages, tous plus attachants et vivants les uns que les autres.

Et puis il y a, en contre-point, la Musique, la musique classique occidentale, qui subit l'ostracisme des diktats des membres éminents du parti communiste, celle de compositeurs aussi brillants que Bach, Haendel, Beethoven et les compositeurs russes eux aussi victimes du communisme tels Chostakovitch, Prokofiev ; les Variations Goldberg de Bach, jouées par Glenn Gould constituent la ligne mélodique de tout ce roman. La musique, crainte par les dirigeants, désirée aussi comme une preuve de réussite du pouvoir en place, la nécessité de faire composer des hymnes, des symphonies grandiloquentes à la gloire des dirigeants, de leurs idées, la volonté de trouver des titres galvanisant les masses. le contraste entre ces deux approches de la musique renforce la violence des exactions menées lors de la Révolution culturelle.

Enfin, comme un fil rouge qui conduit Marie au coeur de cette légende familiale aux arcanes innombrables et imbriqués, le “Livre des traces”, extraordinaires prémices des amours des personnages, roman dans le roman, qui offre des lectures multiples après que des noms et des lieux secrets s'y sont glissés.

Voici un roman foisonnant, passionnant, fascinant, qui commence lorsque Ai- Ming, la fille de Pinson, s'enfuit de Chine après le massacre sur la place Tian'anmen le 4 juin 1989. Elle se réfugie chez la femme d'un ami de son père, Kai, qui habite à Vancouver au Canada. Leur fille, Marie (Li-Ling de son prénom chinois) qui n'a que dix ans à l'époque. Devenue adulte et retrouvant des souvenirs à la mort de sa mère, Marie nous racontera l'histoire de cette famille bouleversée, déportée, éclatée, comme une quête de sa propre identité, elle qui s'est vécue canadienne pendant près de trente ans, désireuse alors de comprendre qui étaient vraiment les siens.

Pinson est un des personnages clés de ce roman, il est compositeur, complètement habité par la musique, qui s'écrit dans tout son être, fanatique de ces compositeurs occidentaux qu'il enseignera un temps à l'université de Shangaï. Victime de la Révolution Culturelle, déporté vingt ans dans une province reculée, obligé de travailler dans une usine, contraint aux auto-critiques permanentes, Pinson ne composera plus durant tout ce temps et peu à peu deviendra pour sa fille “l'oiseau de silence”, jusqu'à une réhabilitation partielle qui conduira la famille à Pékin, au moment où démarre le mouvement des étudiants, intellectuels et ouvriers chinois qui dénoncent la corruption du pouvoir. Impossible de raconter tous les méandres de cette histoire complexe, qui s'étend sur tout le territoire chinois et convoque les événements terribles qui ont conduit à la Chine actuelle où le parti communiste maintient sa prééminence permanente.

J'ai adoré ce roman ! Cinq cents pages de pur bonheur de lecture. Une traduction magnifique de Catherine Leroux, au service d'une écriture à la fois précise et poétique, mélodique et ferme, imagée et lumineuse. Un immense merci à Madeleine Thien que je viens de découvrir grâce à “Nous qui n'étions rien”.
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