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Avec ce court recueil, Camille de Toledo oscille entre la poésie et l'aphorisme. Certains préfèreront sans doute parler de pensées. Une succession de petits textes de quelques lignes, avec pour fil conducteur l'inquiétude engendrée par le mouvement perpétuel de ce siècle neuf : « plus rien ne demeure. Tout bouge et flue. Paysages ! Villes ! Enfants ! ». L'inquiétude d'être au monde tient donc dans le vacillement général des choses. Doit-on pour autant se raccrocher aux souvenirs, aux racines ? Certes pas. L'auteur a dressé contres ces mots un barrage éternel. Racines, origine, terre, pays, nation, autant de fictions qui ne servent qu'à nous donner l'illusion d'être quelque part.

Camille de Toledo appelle à résister contre ceux qu'ils nomment les « promettants », ceux qui nous vendent des solutions provisoires censées nous délivrer du risque, du mal, de la peur et de la mort. La révolution est là. Mettre à bas l'orgueil, « accepter de n'être qu'une espèce parmi les espèces, c'est-à-dire accepter son décentrement. » Les figures tutélaires convoquées pour légitimer le discours me parlent particulièrement. D'un coté Césaire et son Cahier d'un retour au pays natal et de l'autre Stieg Dagerman et son besoin de consolation impossible à rassasier. D'un coté l'universalité, l'exil perpétuel de Césaire et de l'autre « les chants trompeurs de la consolation contre lesquels Stig Dagerman nous mettait en garde. »

Naviguant sans cesse entre l'abattement, la colère et l'exhortation, l'écrivain n'endosse jamais le rôle du donneur de leçon. L'exercice, un brin désuet, est le signe d'une longue fréquentation de la littérature. Toujours brefs et fulgurants, souvent brillants, d'une extrême lucidité, ces paragraphes au lyrisme contenu sont à lire à voix haute pour mettre en valeur la musicalité de l'écriture. Une belle réussite.

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L'Europe s'est détruite en revendiquant trop d'identité - le temps de l'inquiétude est venu, celui où il faut être sans identité, sans racine, sans langue. La vie au XXIème siècle sera-t-elle une vie de fiction, un entre-deux, cet espace entre les langues où il faut se tenir pour ne pas être un antagoniste impérieux et destructeur, sera-t-elle une interrogation permanente sur ce que l'on est, là d'où l'on vient et ce que l'on veut, sans pouvoir le dire, sans le savoir en fait ?
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Au coeur de L''inquiétude face au monde l'inquiétude et le monde se tutoient. Camille de Toledo observe le siècle qui s'achève dans le vertige et ouvre la voie à un 21ème siècle tout aussi inquiétant. Pour scander le mal-être dominant de ce siècle, il choisit de s'exprimer à travers une prose poétique qui épouse au plus près l'inquiétude lancinante des êtres perdus dans un monde recelant quantité de dangers potentiels, qu'il s'agisse de la perte d'un enfant, ou de la folie de ce même enfant capable de massacrer ses camarades comme à Columbine en 1999 ou à Utoya en 2011.



« Qui prépare les enfants à ce temps nucléaire ?

Pour eux, c'est le soupçon qui triomphe.

Ou le romantisme malade de la refondation :

Voyez encore !

Columbine !

Utoya.

(…)

Les gamins savent intuitivement,

Comme des dieux, que l'enseignement

De leurs écoles est inadapté.

Vieille herméneutique du savoir.

Vieilles catégories de l'être.



Penser, classer, écrivait Pérec.

Et comme il a raison.

La pensée occidentale est une névrose d'enfant

à qui l'on répète :

Allez ! Range ta chambre ! » (p.47)



L'inquiétude ronge les êtres et le monde qui ne peuvent trouver d'échappatoire face à ce naufrage progressif. Née des horreurs du 20ème siècle, de la guerre, de la déportation, des politiques démagogiques pernicieuses, cette inquiétude est sans fond car ancrée profondément en l'homme du 21ème siècle.



« Il y eut un autre mot pour le vingtième siècle.

Ce fut la dé-mesure. Dé-liaison,

Dé-litement, dé-lit de l'esprit, qui,

Croyait-on avant, gouvernait la flèche du temps,

Ou peut-être aussi, dé-règlement de la mesure,

Emballement de la raison

Qui, après avoir classé les peuples,

Entre sauvages et civilisés, noirs et blancs,

S'est mis à diviser, couper, entre le soi et le presque soi.

Le dé du déluge, de la démence, le dé du hasard

Et de la fin, s'insinua dans le pli de chaque chose,

Comme l'accident et la catastrophe. » (p. 24)



« C'est l'inquiétude et la peur qui nous livrent à la pharmacie, aux pouvoirs, à tous ceux qui prétendent nous en libérer. C'est l'inquiétude et la peur qui nous poussent à déléguer la charge de l'homme aux prêtres, aux moralistes, aux dogmes et aux milices. (…) Par peur, s'en remettre au commerce de la consolation. C'est-à-dire à l'intoxication : nous voulons être délivrés du risque, du mal, de la pluie qui tombe en été. Nous voulons être délivrés de la peur, de la mort, et finalement, de la vie.» (p. 30)



Que reste-t-il comme espoir au poète si ce n'est celui de charmer ou d'enivrer les Dieux par son chant, tel Orphée devant Hadès. Espoir de « de voir les mots agir sur et dévier l'esprit contemporain de l'Europe ».
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Court et à lire sans reprendre souffle – vers et un corps de texte intercalé – lamento-recherche-d'explication-litanie sur la marche du monde, sur ce qui fait que nous en sommes arrivés à notre inquiétude, nos fermetures, nos enfants qui tirent et tuent.
Apprendre à vivre ainsi et refuser les consolations qui disent nation, appartenance, religion, qui disent ce qui nous faisait croire en notre sécurité, notre différence avec les hommes-cafres, hommes-juifs, tziganes, etc... apprendre que l'on ne sait pas, que le monde n'est pas stable.
Apprendre que nous sommes liés et refuser ce qui sépare.
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Ce chant sur « l'inquiétude d'être au monde » en appelle à notre « SensCritique ». Faisons-lui cet honneur d'une analyse double-face.

Le côté lumineux :
Le côté lumineux est du côté de la poésie : rythme de l'esprit devenu musique, réflexion, diffraction des mots, du mot inquiétude. Mot-monde, mot-serpent.
L'inquiétude se diffracte : de l'angoisse existentielle d'être jeté au monde, incompréhensiblement, le spectre s'ouvre et l'on retrouve l'inquiétude extrême d'être jeté au monde dans les restes du cauchemar éveillé du 20e siècle.
Inquiétude stagnante, brouillard qui envahit le monde : tel est le constat. Et le 20e siècle, et les tueries, les conflits, ne sont que des résurgences de cette impossibilité à accepter l'inquiétude, l'ouverture, le décentrement, l'exil, l'impossibilité d'une « consolation » comme rêvait Stig Dagerman :
« Il n'y a pas de remède à notre inquiétude. Ne cherchons pas dans le monde la parole, le mot, la figure de la consolation. Essayons de nous tenir, dans l'inquiétude, sans nous soumettre. Ne déléguons plus nos vies aux consolateurs. »
L'inquiétude de ne rien reconnaître, vertige des ruines de la pensée, vertige de l'inquiétude contemporaine.
Oui, l'incertitude prend ici les mues serpentines d'une inquiétude nouvelle : nous sommes comme orphelins du monde.
Non. Nous devons accepter d'être cosmopolitiques, ouverts sur le décentrement. Nous devons accepter d'être inquiets. Cela est la matrice. Orphelin du monde, inquiets, toujours, entre la tentation de l'exil, ici incarné par l'appel à Césaire, totem poétique :
« Comme il y a des hommes-hyènes, et des hommes-panthères, je serais un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas… »

Le côté obscur :
La poésie a une force de suggestion, mais porte en elle une force d'assertion dangereuse. Ici la dimension intellectuelle manque des « racines » que fustige l'auteur. Certes, difficile de reprocher à un poème de ne pas être un essai. Mais tout de même.
On a presque envie de renvoyer l'auteur à sa critique du manifeste pour une « littérature-monde » dans « Visiter le Flurkistan… » Car combien de naïvetés sont égrenées dans ce texte, au motif de la pensée poétique !
La poésie et l'inquiétude du monde sont une musique de l'esprit qui a des charmes de sirène. Elle charme au point de faire taire les soubassements idéologiques douteux qui la supporte. Elle qui berce tant la réaction que la révolution, l'impénitence que l'impermanence.

Je ne comprends pas comment on peut écrire que l'inquiétude au monde, le désordre ou la démesure soient caractéristiques de notre temps, tandis qu'auparavant régnait un certain ordre, une certaine mesure, une certaine quiétude. Comment peut-on manquer à ce point de nuance ? Oublier carrément toute la réflexion produite par la tradition philosophique. Ce genre d'opposition binaire peut-elle faire autre chose que sourire, surtout quand elle demeure au seul stade de l'assertion poétique ?
Je ne comprends pas non plus comment on peut faire dater l'inquiétude moderne de la phrase de Pascal sur « les espaces infinis » en oblitérant la mise en scène chrétienne et pascalienne de la formule. Ni de la démesure sans penser aux Grecs, voire à « L'homme révolté » de Camus. du cosmopolitisme sans Kant, Derrida, sans le nomandisme à la Deleuze. de « simulation » (pour Utoya et Colombine) sans passer par la case Baudrillard.
Je ne reproche pas de ne pas en traiter comme un "scholar", mais de ne pas ignorer ces réflexions qui ajoutent infiniment de nuances. L'oubli des "racines" prôné par l'auteur comme décentrement - et l'on sait en effet la teneur barrèsienne, droitière de cette métaphore - semble avoir la funeste conséquence l'oubli des "racines" des penseurs européens. Comment peut-on en appeler à une prise de conscience sans prendre en compte ces grands rhizomes de la pensée européenne ?
Peut-être est-ce trop ambitieux.

N'empêche. Comment peut-on verser dans ce travers littéraire d'écrire :
« Ce fut le 20e siècle !
La flèche inversée de la science et de la technique devenue l'une et l'autre complice de la destruction »
Voilà un accusation banale. Banale haine de la science qui ne prend pas la peine de penser l'histoire des sciences et là encore toutes les variations de D.Lecourt à I.Stengers.
Voilà qui est pour le coup véritablement caractéristique de notre temps… Cela me chagrine quand il s'agit d'un auteur qui enjoint à la culture de jouer un rôle, mais qui, finalement, lui-même répète ce conflit des « deux cultures » dont parlait Charles Snow et s'éloigne de la culture de « l'humanisme ».

En somme : comment ne pas voir, in fine, dans le traitement de l'inquiétude de Toledo voir le même travers qu'il dénonce dans son poème : la nostalgie. Il dit refuser les idéologies de la « consolation » et de la « refondation », qu'il rattache à tort au « romantisme, mais au final il ne produit qu'un mouvement d'illusion lyrique reconduisant à cette distinction passé (antérieur à la 1ere guerre mondiale, disons) / présent qui justifie précisément cette nostalgie et cette refondation. Or il ne peut avoir de refondation et de consolation car il n'y a rien à quoi revenir : cette condition faite d'inquiétude et de démesure sont la nôtre, de notre passé le plus lointain à notre avenir le plus éloigné. Il aurait fallu y insister.

PS : On appréciera cependant l'humour et la nuance. Ainsi dans la déconstruction de "Mind the gap" du métro anglo-saxon, reconverti en appel à penser le gouffre des langues, la fissure, la différance où se joue l'esprit aurais-je envie de rajouter - d'où le titre de cette chronique.

Lien : http://lucienraphmaj.wordpre..
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J'avais repéré Camille de Toledo suite à sa récente publication d'un article dans le Monde où il décochait un manifeste pour une nouvelle Europe poétique. Souhait pour le moins inhabituel – et salutaire – à l'heure où l'on débat sans cesse des modalités de sauvegarde d'une Europe économique tout en évacuant l'impératif d'une Europe politique et d'une Europe culturelle refondées, ou devrais-je plutôt dire à fonder. Dans L'inquiétude d'être au monde, Camille de Toledo se penche sur l'état philosophique politique de l'Europe, qu'il juge très réactionnaire. Il en veut pour preuve la récente tuerie perpétré par le Norvégien Anders Bhering Breivik sur l'île d'Utoya le 22 juillet 2011 (soixante-neuf campeurs chassés et tués de sang-froid), drame que l'on retrouve en filigrane tout au long de la soixantaine de pages de ce livre. En réponse à cet état philosophique européen très dégradé, l'auteur milite pour une meilleure compréhension de l'entre-deux, c'est-à-dire des interstices culturels qui se nichent entre les langues, entre les peuples. L'inquiétude d'être au monde se lit alors comme un (...)
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