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Citations sur Jacques à la guerre (62)

Je regardais encore et toujours sa main droite en train de changer les vitesses, avec ses ongles propres et bien coupés; de temps en temps sa main venait me tapoter la cuisse gauche, j'avais de la peine pour ma cuisse droite.
Et je la sens encore le soir quand je me couche, sa main. Depuis j'ai eu des mouflets, une femme, tout un peuple qui s'est posé sur mes genoux - si on s'avisait à additionner le poids de ce monde là ça ferait des chiffres pas possible à entendre - et pourtant, je la sens encore, cette main.
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La mort a hésité quelques instants. Face à sa gueule écumante de fumées et de gravats, nos cages thoraciques n'étaient plus que des cages d'oiseaux empaillés. Nous étions résignés à mourir, comme des âmes muettes qui s'embrasseraient une dernière fois en silence. Alors le plus aguerri d'entre nous, le docteur Derin, qui avait vécu en colocation avec la mort pendant cinq longues années, a remis la pendule en marche : il a regardé ses collègues accroupis autour de lui et, se voyant seul en position verticale, a lancé :
- Allons messieurs un peu de dignité !
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Et il avait raison mon frère, pour moi qui rêvais de partir, de m'évader autrement, les plantes c'était un bon ticket d'embarquement. Avec elles, rien qu'à travers les noms et provenances, tu voyages. Elles nous apprennent qu'on peut s'acclimater ailleurs, étaler ses branches sous d'autres latitudes, que le soleil est toujours au-dessus, et que c'est ça qui compte. Elles nous font réaliser qu'un arbre n'est ni de droite ni de gauche, qu'il regarde les hommes se bouffer la rate et s'en fout.
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Et il avait raison mon frère, pour moi qui rêvais de partir, de m'évader autrement, les plantes c'était un bon ticket d'embarquement. Avec elles, rien qu'à travers les noms et provenances, tu voyages. Elles nous apprennent qu'on peut s'acclimater ailleurs, étaler ses branches sous d'autres latitudes, que le soleil est toujours au-dessus, et que c'est ça qui compte.
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Pour quelques héros et braves gens par-ci par-là il y a eu de la sale engeance un peu partout ; pas des criminels, juste du merdeux qui profite, du salopard qui abuse, qui parle mal à la misère, qui envoyait promener la femme épuisée, alourdie d’enfants efflanqués, en éructant : « Qu’est-ce qu’elle nous vient quémander encore celle-là ? » J’aimerais retrouver cet officier de police que ma mère m’avait ordonné d’aller voir un jour où j’étais revenu de l’école avec un portefeuille épais, rempli de papiers, de documents d’identité, de tickets de rationnement et d’argent, ramassé dans la rue ; avec une telle trouvaille, je me disais que maman serait contente et qu’on aurait enfin du positif à savourer, du bon à prendre ; perdu pour perdu autant que ça profite à tous ; la guerre nous avait bien volé notre voiture, puis là ce n’était pas du vol. Eh bien, je m’étais fait houspiller, c’était tout juste si je ne ramenais pas la criminalité à la maison ! Et me voilà dehors, direction le commissariat du quartier, pour remettre ma conscience dans le droit chemin. Derrière le guichet une face rougeaude prenait un air occupé ; en face de moi, un jeune homme attendait. Il tenta un clin d’œil mais ses paupières gonflées et bleutées empêchèrent la manœuvre. L’agent me fit comprendre que je pouvais approcher. — J’ai trouvé ça dans la rue en sortant de l’école. — Quelle école ? Comme si connaître son nom était une information primordiale pour la suite de l’affaire ; dedans il y avait le nom de la dame, son adresse, il suffisait de lire, de prendre le portefeuille et de le mettre dans un coin en attendant que la dame vienne le récupérer. Il inspecta la chose, sortit l’argent, les tickets d’alimentation, la carte d’identité. — T’es pas un peu simplet, gamin ? Pourquoi t’as pas gardé ça pour toi ? Il s’adressa au garçon coquardé qui avait suivi la conversation depuis son banc : — Y en a j’te jure… Et je l’ai vu empocher le tout et me faire signe de déguerpir. Une fois sur le trottoir, j’ai eu envie de chialer.
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tout le monde disait que « C’était la France » mais tout le monde n’avait pas le droit à la France. Un brave gars du cru ne pouvait pas espérer monter bien haut : un local, tant que ça tire un pousse-pousse ça va, mais « faut pas abuser ». Et dans l’armée, c’est pareil, les différences sont impitoyables : pas la même solde, pas le même uniforme, pas les mêmes armes alors que le sang qui coule est le même. En face, ils veulent nous virer de leur terre et nous on veut y rester. Ça ne pèse pas pareil dans la balance.
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- On va pas rester là sans rien faire ! ...
J'ai profité de sa sortie pour me lever, ma mère m'ordonna de rester à ma place. Soudain, cette tenue blanche de communion m'était devenue indécente. Il suffisait d'allonger le cou pour voir qu'il y avait sur notre boulevard de quoi faire le bien, tendre une main, soulager des peines, étancher des soifs et serrer des peurs inconnues sur nos propres peurs. Il y avait là, dehors, à bout de cierge, de quoi mettre en pratique tout ce que le père Lamuel nous expliquait d'une voix calme et gourmande. Alors tant pis, j'ai fait comme si ma mère n'avait rien dit, je suis parti rejoindre mon père sur le trottoir....La communion, la vraie, c'est mon père qui l'a célébrée : ma mère était dans la théorie, lui dans la pratique.
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Une autre vacherie de la guerre, à vingt-six ans je me retrouvais pauvre comme Job question carnet d'adresses. La guerre nous avait fait rentrer au plus vite après l'école, pas de sorties ni de vadrouilles, pas de conneries à pédales ni de pêche aux harengs fumés, pas de repérages de voisines à gros seins, juste du terne en famille, de la pénurie et de la carence, du silence et du couvre-feu.
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Cela fait dix jours maintenant que je suis dans ce lit. Et je me sens bien parti pour y rester encore et bientôt basculer de l'autre côté à bord du même rafiot. [...] Les jours se suivent et perdent leurs noms, qui ne servent plus à rien. Ils peuvent s'appeler lundi ou vendredi, peu m'importe ; ce qui compte maintenant ce sont les visages, les têtes qui se penchent dans l'embrasure de ma chambre d'hôpital ; ce qui compte c'est le son d'une voix qui n'ose pas rentrer ; ce qui compte c'est l'air de ma femme qui découvre les arrivants avant moi et fait les présentations, qui s'assure que mes yeux sont disposés à recevoir de la visite. [...] "Regarde Jacques, qui vient te voir ?"
C'est toi mon Pierrot. [...] on va pouvoir se promener encore un peu tous les deux sans rien se dire. [...] Viens t'asseoir près de moi, Pierrot, pour entamer notre dernière promenade ; tu le sais ça n'est-ce pas ? Viens t'asseoir près de moi. C'est con, mais j'aimerais que tu me tiennes la main, mon ami. Et voilà que, naturellement, instinctivement, tu poses ta main propre sur la mienne, noircie du sang qui se répand sous ma peau vitreuse comme des bulles d'air sous la glace, une main bardée de scotch pour maintenir l'aiguille de la perfusion en place.
T'as compris en lisant dans mes yeux, Pierrot : voilà, on y est. Toutes les époques défilent entre nous ; ça se croise ça avance et recule ; c'est le tout pour le tout de la mémoire ce désordre, son bouquet final. Et on va regarder cette apothéose, ce feu d'artifice de souvenirs sans mot dire tous les deux. [...] Viens mon Robic, viens, allons nous asseoir là-haut et contemplons nos vies.
Ma femme nous observe, inquiète de notre silence. "Vous ne vous dites rien", s'étonne-t-elle. Pierrot redresse sa bouille de timide et murmure que ce n'est pas nécessaire : "Pas besoin de se parler, on sait bien ce qu'on a dans la tête".
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J’ai avancé comme je pouvais, j’ai collectionné les levers de soleils, les matins Gauloises Bleues et les sandwichs assis sur trois pneus, je n’ai pas à me plaindre car j’ai travaillé tout le temps, les coups de main, les à-côtés, j’ai fait aussi.
Je n’ai pas bu les pourboires, j’ai tout gardé et j’ai tout donné, c’est votre mère qui comptait et elle a pu compter sur moi ; on a fait attention, on a calqué nos rêves sur nos fonds de poche, je n’ai pas eu de médailles, de rubans, pas de diplômes, hérité de rien, mais j’ai eu trois gosses, trois fils et je le les suis épinglés sur le poitrail à même la peau.
J’ai envoyé promener le bon Dieu, de Gaulle et les ricains, je n’aime pas la jactance, les forts en gueule et les fiers-à-bras, j’aime les gentils, ceux qui disent bonjour avec les yeux avant de le dire avec la bouche, les polis de l’interieur, ceux qu’aiment bien faire trois pas avec moi dans le jardin.
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