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4,06

sur 425 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Le comte Alexandre Ilitch Rostov, ce 21 juin 1922 est jugé au Kremlin pour avoir commis un poème-pamphlet qui a déplu au régime en place.
La sentence est tombée : « Aussi le comité a-t-il décidé de vous renvoyer dans cet hôtel auquel vous êtes tellement attaché. Mais ne vous méprenez pas : si vous mettez ne seraitce qu'un pied à l'extérieur du Metropol, vous serez exécuté surle-champ. »
Ce roman est partagé en cinq livres, j'ai considéré les deux premiers comme un labyrinthe, dans lequel le comte essaie d'organiser sa nouvelle vie. Il a dû abandonner sa suite pour une chambre au cinquième étage sous les combles. Renoncement à mille choses ne veut pas dire pour lui ne plus vivre. Comme il s'est toujours bien comporté avec le personnel dans ce palace, il trouve vite des complices pour que sa vie ne soit pas terne.
Grand amateur de belle littérature et de philosophie, il n'a aucun doute sur le fait qu'il doit réagir. « Reconnaissant qu'un homme devait maitriser le cours de sa vie s'il ne voulait pas en devenir le jouet, le conte songea qu'il serait avisé de réfléchir à la manière d'atteindre ce but quand on a été condamné à passer sa vie, enfermé. »
Ses tribulations sont une suite de scènes cocasses, burlesques qui cachent la profondeur du propos.
Finalement si lui ne peut sortir de ce palace, beaucoup y entrent, s'y installent et c'est la vie du monde entier qui vient à lui.
Nina une petite fille perspicace et souvent impertinente l'aborde et égaye ses journées, puis elle s'en va, et revient.
C'est à travers Nina que le lecteur suit l'évolution du pays.
Il y a aussi Anna, actrice.
Avec le chef du restaurant Emile, lyonnais et Andreï qui lui est de Minsk, il forme un triumvirat de bons vivants, sachant profiter de chaque moment autour de mets délicieux accompagnés des vins les plus fins et d'une conversation haute en couleurs.
En somme il vit, ce gentleman de part son éducation, son érudition, son sens inné de la vie trouve sa place et montre que l'homme peut s'adapter.
Si les scènes cocasses sont comme des ricochets sur la surface de l'eau, les faits historiques sont bien présents : l'opération Barbossa, Staline, Kroutchev et l'émergences des centrales nucléaires montrent que la vie continue, partout.
Le quotidien se complique lorsque Nina fait un passage éclair après plusieurs années de silence, pour lui confier la fille qu'elle a eu, Sofia. Elle lui confie pour quelques semaines qui se transforment en années.
Difficile de vous faire un résumé en quelques lignes d'une fresque qui s'étend sur trois décennies, où les péripéties sont si nombreuses.
Cependant l'âme russe habite totalement ce livre et la maîtrise narrative est puissante. L'écriture fine, élégante et subtile permet au lecteur de renouer avec une épopée véritablement romanesque.
© Chantal Lafon - Litteratum Amor 22 septembre 2018.
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J'ai pris un plaisir incontestable à la lecture de ce roman à la fois intelligent, drôle et émouvant.
Le comte Alexandre Rostov, personnage principal est un homme extraordinairement attachant de par ses multiples facettes. Il a le don de faire face à l'adversité avec beaucoup de dignité et une grande sagesse. Pourtant soumis à rude épreuve tout au long du récit, il transforme chaque coup du sort en opportunité de vie meilleure en grand adepte de la résilience et de la philosophie positive.
Les personnages dits secondaires ne le sont pas tant que ça ! Chacun d'entre eux joue un rôle déterminant dans la vie du comte. L'auteur parvient si bien à dresser leur portrait (physique et/ou psychologique) qu'ils en deviennent presqu'aussi attachants que le comte lui-même.
Ce livre est également l'occasion pour le lecteur de (re)découvrir l'histoire de la Russie durant une époque tumultueuse (des années 1920 à 1950).
La magnifique plume de l'auteur parvient avec brio à traiter de sujets graves avec autant de légèreté que d'humour. Elle réussit également à créer la surprise chez le lecteur en l'interpellant de façon subtile avant de le replonger dans les aventures du comte.
Je terminerai en accordant deux mentions spéciales.
La première : à la couverture qui, à l'image du roman, invite au rêve et au voyage.
La seconde : à l'originalité des notes de bas de page, qui m'ont fait sourire plus d'une fois !
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Ce roman est un récit lent et profond.
Ce roman nous raconte la vie d'un homme coincé dans un hôtel mais prêt à vivre sa vie.
Ce roman est une ode à la Russie, ce qu'elle a été, ce qu'elle est devenue.
Ce roman est fait de rencontres, de liens et de boucles.
Ce roman vous surprendra si vous acceptez son rythme lent et doux, proche de l'introspection, qui vous laissera un petit goût d'aventure !
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Le comte Alexandre Illitch Rostov, gentleman autoproclamé est condamné par un tribunal bolchevique,non pas à mort mais à une assignation à résidence dans l'hôtel Métropol où il avait une suite. Son crime: être aristocrate (et avoir écrit un poème).Ses relations lui évitent la mort. Il devra quitter sa suite pour une sorte de chambre de bonne sous les toits mais il continuera à bénéficier de tous les avantages de l'hôtel luxueux. Un incident plutôt drôle lui fait perdre une moitié de moustache, ce qui amuse une gamine de neuf ans: Nina qui va devenir une amie; adulte, elle partira rejoindre son mari en Sibérie et confiera sa fillette Sofia, 5 ou 6 ans au comte pour quelques temps qui vont tellement durer qu'oncle Alexandre devient "Papa". le comte est bien maladroit avec cette jeune enfant mais la petite est sage...au moins au début car en prenant de l'âge, elle devient un peu chipie.
De l'humour et de l'ironie dans le regard du comte sur une trentaine d'années de régime soviétique.
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Début des années 1920, la monarchie des tsars s'écroule en Russie et le comte Alexandre Ilitch Rostov est condamné par un tribunal bolchévique à vivre en résidence surveillée dans le luxueux hôtel Metropol de Moscou. Sa vie de reclus va prendre un nouveau tournant lorsqu'il va rencontrer Nina, 9 ans, jeune fille espiègle et pleine de ressources.
J'ai apprécié l'écoute de ce livre (la voix de Thibault de Montalembert est toujours aussi agréable), j'ai ri / souri plus d'une fois mais j'ai trouvé ça un peu long par moments, ce n'est donc pas un coup de coeur. le côté historique de l'ouvrage est très intéressant.
En bref : un bon moment de tendresse.
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Moscou 1922. le comte Alexandre Rostov est assigné à résidence à l'hôtel Metropol par les Bolcheviks avec interdiction d'en sortir sous peine d'être exécuté. Il va y rester trente ans sans rien changer à ses manières raffinées d'aristocrate, à son exquise politesse, à son urbanité, à sa patience.
Il va tenter de donner un sens à sa vie de reclus, en vase clos en savourant tous les menus plaisirs que lui offre son séjour : il visite l'hôtel Metropol dans ses moindres recoins accompagnée d'une petite ukrainienne, Nina, qui changera sa vie, il rencontre une flopée de gens, visiteurs, habitués ou employés de l'hôtel, il apprécie mets recherchés (bar au fenouil, bouillabaisse...) et grands crus. Il devient même serveur en chef au sein de l'hôtel sans aucune nécessité économique.

Lorsque j'ai commencé la lecture de ce roman, encensé par la critique, à la magnifique couverture sensuelle au toucher, je m'attendais à vivre une belle expérience littéraire ; ce ne fut pas exactement le cas ; certes l'écriture est ciselée, l'ironie mâtinée d'humour, le style élégant comme le comte, la découverte de l'âme russe à travers ses écrivains les plus prestigieux et de tout un pan de l'histoire russe après la révolution est intéressante, la fin amène son lot de surprises mais je dois avouer que je me suis ennuyée à la lecture de ces 573 pages même si la relation d'Alexandre Rostov avec Nina puis sa fille Sofia a su réveiller mon intérêt et mon émotion.
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Les lectures en service de presse sont parfois décevantes, mais elles permettent aussi de découvrir de petits bijoux. C'est le cas avec ce roman d'Amor Towles, dont j'ai eu la chance de lire en avant-première la traduction en français, qui sera publiée cette semaine, le 22 août précisément.

Le résumé m'avait tout de suite attiré :

Au début des années 1920, le comte Alexandre Illitch Rostov, aristocrate impénitent, est condamné par un tribunal bolchévique à vivre en résidence surveillée dans le luxueux hôtel Metropol de Moscou, où le comte a ses habitudes, à quelques encablures du Kremlin. Acceptant joyeusement son sort, le comte Rostov hante les couloirs, salons feutrés, restaurants et salles de réception de l'hôtel, et noue des liens avec le personnel de sa prison dorée – officiant bientôt comme serveur au prestigieux restaurant Boyarski –, des diplomates étrangers de passage – dont le comte sait obtenir les confidences à force de charme, d'esprit, et de vodka –, une belle actrice inaccessible – ou presque –, et côtoie les nouveaux maîtres de la Russie. Mais, plus que toute autre, c'est sa rencontre avec Nina, une fillette de neuf ans, qui bouleverse le cours de sa vie bien réglée au Metropol.

Trois décennies durant, le comte vit nombre d'aventures retranché derrière les grandes baies vitrées du Metropol, microcosme où se rejouent les bouleversements la Russie soviétique.
La promesse, parcourir la Russie soviétique des années 1920 à 1950 par l'intermédiaire d'un aristocrate assigné à résidence dans un grand hôtel moscovite, était tentante. Je ne vais pas ménager le suspense plus longtemps : la promesse est largement tenue.

Le roman oscille entre humour très fin, réflexions intéressantes sur la société, critique de la bureaucratie soviétique, et fresque pseudo-familiale, puisque le comte Alexandre Rostov n'a plus de famille biologique mais construit la sienne au fil des années au sein du personnel et des clients de l'hôtel Metropol où il est condamné à rester.

Le roman est assez long, avec près de 600 pages, mais il est passionnant et bien rythmé dans l'ensemble, malgré quelques longueurs peut-être inévitables au milieu du récit. Quand on l'ambition de raconter trois décennies de l'Histoire de l'Union Soviétique, on n'échappe pas à quelques moments de flottement mais cela vaut largement le coup car le résultat est à la hauteur : captivant, parfois émouvant, souvent drôle, et intelligent dans sa façon d'aborder les choses.

J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, et je ne peux pas m'empêcher de vous laisser avec quelques citations qui m'ont marquées pendant la lecture et qui vont permettront sans doute de goûter au style, à l'humour et à l'intelligent du propos de l'auteur :

Sur l'aristocratie et la bourgeoisie :

L'histoire a démontré que le charme est l'ambition ultime de la classe des rentiers.

Sur l'importance des duels dans la Russie tsariste :

Pourquoi donc notre pays s'est-il autant passionné pour le duel ? demanda-t-il à la cage d'escalier sans espérer de réponse.

Certains auraient sans doute répondu par facilité que le duel était un dérivé de la barbarie. Étant donné les longs hivers cruels de la Russie, sa familiarité avec la famine, son sens approximatif de la justice et ainsi de suite, il était naturel à l'aristocratie du pays d'adopter comme moyen de résoudre les conflits un acte d'une violence absolue.

Or selon l'opinion mûrement réfléchie du comte, si le duel avait emporté les faveurs des gentlemen russes, c'était uniquement en vertu de leur passion pour tout ce qui était éclatant et grandiloquent. Certes, par convention, les duels avaient lieu à l'aube dans des lieux isolés afin de garantir l'anonymat des gentlemen impliqués. Mais se déroulaient-ils pour autant derrière un tas de cendres ou dans une décharge ? Bien sûr que non ! Ils se déroulaient dans une clairière recouverte d'une fine couche de neige au coeur d'une forêt de bouleaux. Ou bien sur la berge d'un ruisseau sinueux. Ou encore en lisière d'un domaine familial sous les fleurs des arbres agitées par la brise… En d'autres termes, dans des décors qu'on n'aurait pas été surpris de découvrir au deuxième acte d'un opéra. En Russie, quel que soit le spectacle, tant que le décor a de l'éclat et le ténor de la grandiloquence, il trouvera son public.

De fait, au fil des années, à mesure que les lieux de duels gagnaient en pittoresque et les pistolets en raffinement, les hommes les plus distingués affichèrent une disposition à défendre leur honneur pour des offenses de moins en moins graves. Si bien qu'en 1900 la tradition du duel, qui était peut-être bien née en réponse à des crimes de la plus haute gravité – traîtrise, trahison, adultère –, avait peu à peu abandonné toute raison, et l'on se battait pour l'inclinaison d'un chapeau, l'insistance d'un regard, ou l'emplacement d'une virgule.

Sur le destin et les amitiés inattendues :

Les deux jeunes gens paraissaient donc peu voués à devenir amis. Pourtant, le destin n'aurait pas la réputation qu'on lui prête s'il ne faisait que ce à quoi on s'attendait.

Sur l'évolution technologique, spirituelle et politique des civilisations :

En tant qu'archéologue, lorsque Thomsen divisa l'histoire de l'humanité entre âge de la pierre, du bronze et du fer, il le fit tout naturellement en se fondant sur les outils physiques qui définissent chaque époque. Mais quid du développement spirituel de l'humanité ? Et de son développement moral ? Crois-moi, ils ont progressé dans le même sens.

À l'âge de la pierre, l'homme des cavernes avait les idées aussi rudimentaires que sa massue, aussi basiques que le silex d'où il tirait des étincelles.

À l'âge du bronze, lorsque quelques petits malins découvrirent la science de la métallurgie, combien de temps leur fallut-il pour fabriquer des pièces, des couronnes, des épées ? Cette trinité impie à laquelle l'homme du peuple s'est ensuite retrouvé asservi pendant mille ans. Michka se tut un instant, les yeux au plafond, avant de reprendre.

Ensuite vint l'âge du fer, et avec lui la machine à vapeur, la presse, le fusil. Une trinité complètement différente, en effet. Car si ces outils ont été mis au point par la bourgeoisie afin de servir ses propres intérêts, c'est à travers la machine à vapeur, la presse et le fusil que le prolétariat a commencé à se libérer de l'exploitation, de l'ignorance et de la tyrannie.

Michka commenta cette trajectoire historique – ou peut-être ses propres tournures de phrase – d'un signe de tête appréciatif.

– Eh bien, cher ami, nous conviendrons je pense qu'un nouvel âge a commencé : l'âge de l'acier. Nous avons maintenant la capacité de construire des centrales électriques, des gratte-ciel, des avions.

Puis, se tournant vers le comte : – Tu as vu la tour Choukhov ?

Le comte répondit que non.

– C'est un bien bel objet, Sasha. Une spirale en acier de deux cents mètres de haut depuis laquelle nous diffusons les toutes dernières nouvelles et informations – mais également, eh oui, les mélodies sentimentales de ton cher Tchaïkovski –jusque dans chaque foyer, dans un rayon de cent soixante-dix kilomètres. Et à chaque fois, la morale russe progresse au même rythme que ces avancées. Il se peut que nous assistions de notre vivant à la fin de l'ignorance, de l'oppression et à l'avènement de la fraternité des hommes.

Sur les révolutions :

Un soulèvement populaire, des troubles politiques, le progrès industriel – la combinaison de ces trois facteurs peut faire évoluer une société si rapidement qu'elle sautera des générations entières, balayant ainsi des aspects du passé qui autrement auraient peut-être survécu plusieurs décennies. Et il ne peut qu'en être ainsi lorsque les hommes nouvellement arrivés au pouvoir se méfient de toute forme d'hésitation ou de nuance et placent les certitudes au-dessus de tout.

Sur l'exil en Russie :

Oui, l'exil était aussi vieux que l'humanité. Mais les Russes furent le premier des peuples à maîtriser la notion d'exil dans leur propre pays. Dès le XVIIIe siècle, les tsars, plutôt que de chasser leurs ennemis du pays, choisirent de les envoyer en Sibérie. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient décidé qu'exiler un homme de la Russie comme Dieu avait exilé Adam du jardin d'Éden ne constituait pas un châtiment suffisamment sévère ; car dans un autre pays, un homme peut se jeter à corps perdu dans le travail, construire une maison, fonder une famille. En d'autres termes, recommencer une nouvelle vie.

Mais lorsque vous exilez un homme dans son propre pays, il lui est impossible de recommencer à zéro. Pour l'exilé intérieur – que ce soit en Sibérie ou à travers la Moins Six –, l'amour du pays ne sera jamais flou ou dissimulé par le brouillard du temps qui passe. En fait, comme notre espèce a, au fil de l'évolution, appris à accorder la plus grande attention à ce qui se trouve hors de sa portée, ces exilés rêveront des splendeurs de Moscou selon toute probabilité plus que n'importe quel Moscovite qui peut en profiter librement.

Sur le cinéma américain comme instrument de propagande :

Mais les films américains, dit-il, méritaient de leur part un examen soigneux, pas simplement en tant que fenêtres offrant une perspective sur la culture occidentale, mais également en tant que mécanismes inédits de répression de classe. Car avec leur cinéma, les Yankees avaient semblait-il découvert comment calmer une classe ouvrière tout entière pour la modique somme de cinq cents par semaine.

Leur Dépression, expliquait-il. Elle a duré dix ans en tout. Une décennie complète, pendant laquelle ils ont laissé le prolétariat se débrouiller tout seul en fouillant dans les poubelles et en mendiant à la sortie des églises. S'il y a bien une période pendant laquelle les travailleurs américains auraient dû secouer le joug, c'est celle-là. Pourtant, ont-ils rejoint leurs frères d'armes ? Ont-ils pris leurs haches et défoncé les portes des grandes demeures ? Jamais. Tant s'en faut. Ils se sont traînés jusqu'au cinéma le plus proche, où on a fait miroiter sous leurs yeux la dernière fantaisie en date.

Tel un scientifique chevronné, Ossip disséquait froidement ce qu'ils venaient de regarder. Les comédies musicales ? Des « pâtisseries conçues pour calmer les pauvres avec des rêves de bonheur inaccessible ». Les films d'horreur ? Des « tours de passe-passe dans lesquels les ouvriers voyaient leurs peurs supplantées par celles de jolies jeunes filles ». Les comédies légères ? de « grotesques narcotiques ». Et les westerns ? La pire propagande qui soit. Des fables dans lesquelles le mal était représenté par des masses criminelles et voleuses de bétail tandis que le bien apparaissait sous les traits d'un individu solitaire qui risquait sa vie pour défendre le caractère sacré de la propriété privée. En somme, « Hollywood est la force la plus dangereuse qui soit dans toute l'histoire de la lutte des classes ».

Sur les différences entre les modèles américain et soviétique :

Comme le Faucon maltais. Qu'est-ce que cet oiseau noir, sinon un symbole du patrimoine culturel occidental ? Cette sculpture d'or et de pierres précieuses façonnée par des chevaliers des croisades pour rendre hommage à un roi, c'est un emblème de l'Église et des monarchies – ces institutions rapaces sur lesquelles toute la vie artistique et intellectuelle de l'Europe s'est construite. Qui sait, peut-être leur amour de ce patrimoine est-il tout aussi peu judicieux que celui que le Gros porte à son faucon ? Peut-être est-ce cela précisément dont il faut se débarrasser pour que leurs peuples puissent espérer progresser.

« Les bolcheviques, poursuivit Ossip d'une voix adoucie, ne sont pas des Wisigoths, Alexandre. Nous ne sommes pas des hordes de barbares fondant sur Rome pour détruire tout ce qui est beau, simplement par ignorance et jalousie. Bien au contraire. En 1916, la Russie était un État barbare. La nation la plus illettrée d'Europe, dont la majorité des habitants vivaient en quasi-servage, travaillaient les champs avec des charrues en bois, battaient leurs femmes le soir à la chandelle, s'effondraient sur un banc ivres de vodka, avant de se lever à l'aube pour se prosterner devant leurs icônes. En d'autres termes, vivaient exactement comme leurs ancêtres cinq cents ans auparavant.

Notre vénération pour toutes ces statues, cathédrales et institutions antiques ne pourrait-elle pas justement avoir été cela même qui nous empêchait d'avancer ?

Et au fait, où en sommes-nous maintenant ? Jusqu'où avons-nous avancé ? En mariant le tempo américain et les objectifs soviétiques, nous sommes près d'atteindre le taux d'alphabétisation maximum. Les endurantes femmes russes, elles aussi esclaves autrefois, ont été élevées au rang d'égales. Nous avons construit de nouvelles cités, et notre production industrielle dépasse celle de la majeure partie des pays européens.

– Mais à quel prix ? Ossip frappa du plat de la main sur la table.

– À un prix exorbitant ! Vous pensez que les réussites des Américains – que le monde entier leur envie – ne leur ont rien coûté ? Demandez un peu à leurs frères africains ! Vous pensez que les ingénieurs qui ont conçu leurs illustres gratte-ciel ou construit leurs routes ont hésité une seconde avant d'aplatir les charmants petits quartiers qui leur barraient le chemin ? Je vous garantis, Alexandre, qu'ils ont posé les bâtons de dynamite et appuyé sur le détonateur eux-mêmes. Comme je vous l'ai déjà dit, les Américains et nous serons les nations dirigeantes de ce siècle parce que nous sommes les seules nations à avoir appris à balayer le passé plutôt que de nous incliner devant lui. Seulement eux ont agi de la sorte au nom de leur cher individualisme, alors que nos efforts à nous sont au service du bien commun.

Sur les grands hôtels internationaux :

Certains pourraient s'étonner que deux hommes se considèrent comme de vieux amis alors qu'ils ne se connaissaient que depuis quatre ans ; mais la solidité d'une amitié ne se mesure pas au passage du temps. Ces deux-là auraient eu l'impression d'être de vieux amis même quelques heures après s'être rencontrés. Cela était dans une certaine mesure dû au fait qu'ils étaient âmes soeurs – le genre à se découvrir au cours d'une conversation parfaitement fluide de multiples points communs et des raisons de rire. Mais il s'agissait aussi très certainement d'une question d'éducation. Élevés dans de grandes demeures au sein de villes cosmopolites, sensibilisés aux arts, jouissant de longs moments d'oisiveté et exposés aux plus beaux objets, le comte et l'Américain, pourtant nés à dix ans et six mille cinq cents kilomètres d'écart, avaient plus de choses en commun l'un avec l'autre qu'avec la majorité de leurs compatriotes respectifs.

C'est pour cette même raison, bien sûr, que les hôtels prestigieux des capitales du monde se ressemblent tous. le Plaza à New York, le Ritz à Paris, le Claridge à Londres, le Metropol à Moscou – construits dans la même période de quinze ans : eux aussi étaient des âmes soeurs, les premiers hôtels de la ville équipés du chauffage central, de l'eau chaude et du téléphone dans les chambres, avec la presse internationale à disposition des clients dans le grand hall, une cuisine cosmopolite et des bars américains juste à côté de la réception. Ces hôtels avaient été construits pour des gens comme Richard Vanderwhile et Alexandre Rostov, afin qu'ils puissent lors de leurs voyages dans des villes étrangères se sentir tout à fait chez eux, en compagnie de gens de leur milieu.

Sur la mort de Staline :

Pourquoi, se demandèrent maints observateurs occidentaux, un million de citoyens étaient-ils prêts à faire la queue pour voir le cadavre d'un tyran ? Certains désinvoltes expliquèrent que c'était pour s'assurer qu'il était bien mort. Mais une telle remarque ne rendait pas justice aux hommes et aux femmes qui attendaient en pleurant. de fait, ils furent des millions à pleurer la perte de celui qui les avait menés à la victoire dans la Grande Guerre patriotique contre les forces hitlériennes ; et ils furent tout aussi nombreux à pleurer la perte de l'homme qui avait de manière aussi résolue hissé la Russie au rang de puissance mondiale ; tandis que d'autres sanglotaient simplement en comprenant qu'une nouvelle ère d'incertitudes commençait.
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A l'image de son héros, ce roman recèle infiniment de charme. Confiné dans un hôtel de luxe de Moscou ( plût à Dieu que les peines infligées par les Bolchéviques à tous ceux qu'ils considéraient comme des dangers pour l'épanouissement de leur Révolution eussent été aussi clémentes ! ), microcosme que les événements historiques effleurent avec délicatesse, le comte Alexandre Ilitch Rostov se laisse porter avec douceur et bonne humeur par les événements qui s'imposent à lui. Jusqu'à ce qu'enfin, il décide dans un dénouement aussi prévisible qu'intattendu de forcer la main du destin. Hommage à la littérature et déclaration d'amour à ces aristocrates russes qui nous séduisent tant à travers les oeuvres de Tolstoï ou de Tchékov, ce roman se déguste comme un petit bonbon. Lentement, il s'éclipse ne laissant sur la langue qu'une saveur sucrée, délicieuse mais légèrement inconsistante.
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Comme je le disais en introduction, on suit dans les presque 17 heures que dure ce CD (le roman fait 576 pages) la vie quotidienne du conte Alexandre Illitch Rostov, condamné à résidence dans le palace Metropol, non plus dans sa suite mais dans une chambre de bonne sous les combles. Sa vie quotidienne. Qui se répète d'un jour à l'autre, puisqu'il essaie de conserver un maximum de ses habitudes, même si il doit aussi se mettre à gagner sa vie…
Sa vie quotidienne. Par moments, j'avais un peu l'impression d'écouter le film Un jour sans fin. Vous savez, là où Bill Murray revit sans fin un seul et unique jour de sa vie… J'ai repris espoir avec l'arrivée de Nina, fillette qui débarque dans sa vie sans crier gare, et pour une fois bouscule ses habitudes ! Mais rapidement, ils vont installer une nouvelle routine à deux.
Il est très intéressant de découvrir la vie quotidienne d'un palace dans la période post révolution bolchevique, mais j'aurais aimé en découvrir plus, et pas seulement à travers les yeux de Rostov.
Heureusement que le talent de Thibault de Montalembert remet un peu de dynamisme dans le roman, parce que sinon, il aurait pu m'aider à vaincre les insomnies passagères qui m'arrivent de temps en temps.
Si vous aimez les romans contemplatifs, les belles descriptions, l'Histoire Russe, ce livre est sans doute fait pour vous. Si vous avez besoin d'action et de dynamisme, passez votre chemin, il y a suffisamment de textes, y compris en audio, qui pourraient vous plaire plus.
J'ai reçu la version CD de ce roman car je fais partie des membres du jury du Prix Audiolib 2019. Merci à Audiolib pour la découverte.
Lien : https://leslecturesdesophieb..
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Ce roman m'a tout de suite intriguée. Je me suis demandé comment l'auteur avait pu créer des événements dignes d'être racontés concernant un homme assigné à résidence. Certes, cela peut sembler ennuyeux, mais cela ne veut pas dire que le comte ne côtoie personne, puisqu'il est dans un hôtel. C'est justement ce qui arrive: il se fait même des amis aussi disparates qu'une enfant de neuf ans, une couturière, le chef cuisinier, le maître d'hôtel, une actrice... Sa vie est très loin d'être ennuyeuse, j'ai même souri lorsque l'auteur narre des moments où le comte, lui, s'ennuie. Je ne pourrai le blâmer d'avoir renoncé à lire «Les essais» (c'était la cause de son ennui), même si ce livre faisait partie des favoris de son père, et même si plus tard, Alexandre sera confronté à quelqu'un qui redonnera à ce livre une place plus prestigieuse que celle de caler le bureau.
[...]
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