Professeur d’histoire romaine, Giusto Traina explore l’instrumentalisation de l’Antiquité dans l’histoire récente et oppose humour et érudition à ses plus viles captations.
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Comme le prêche à juste raison Edgar Morin, philosophe au bon sens rassis qui a vu passer saison après saison, la culture humaniste est un antidote efficace contre la barbarie de notre temps. Et c'est, à plus forte raison, le cas des études classiques. Mais attention : des barbares les menacent, et les plus menaçants ne sont pas les soudards assoiffés de destruction chers à un Moyen Âge façon heroïc-fantasy et jeux vidéo, et encore moins les actuels tãlebãn fanatisés et obscurantistes. Il s'agit de barbares tout aussi occidentaux que vous et moi, et donc en apparence civilisés : spécialistes de sciences « dures », irréductibles contemporanéistes, voire humanistes à demi-savants, menant chacun sa guerre privée contre la poussiéreuse antiquaille. Voici quelque temps, en Italie, un économiste, forcément distingué, a entrepris de démontrer la supposée inutilité du liceo classico, le lycée classique, spécialité nationale transalpine caractérisée par la place qu'y occupent les humanités elles aussi classiques. Pour ce faire, il a lancé quelques-uns de ces slogans appelés aujourd'hui punchlines, dont celui-ci : "Moins d'aoristes passifs et plus de mitochondries ".
Position sans doute défendable en soi, mais susceptible d'avoir des effets secondaires aussi indésirables qu'imprévisibles.
Nous sommes en pleine Société du Spectacle, et désormais professorone, « grand professeur », est devenu une insulte, tout comme l'était « cher professeur » dans la bouche d'un ministre de la Défense français au temps de la guerre d'Algérie. Aussi de telles attitudes aboutissent-elles à légitimer la démolition des études humanistes, et à ouvrir des avenues à des personnages affamés de visibilité, ou de buzz. Comme tel autre économiste qui, voici peu, s'est illustré de l'autre côté des Alpes par son opposition « libéral-libertaire » au confinement, et avait quelques années plus tôt proposé l'abolition de ce même liceo classico et de "son modèle du monde où l'efficience et le changement doivent toujours céder le pas à la tradition " dans un esprit très proche de celui des futuristes, qui voulaient détruire les musées en exaltant "la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques » et "les locomotives au grand poitrail qui piaffent sur les rails tels d'énormes chevaux d'acier bridés de longs tuyaux".
(INCIPIT)
Au total, la connaissance du monde antique est importante, et même fondamentale, mais mieux vaut être prudent et se tenir à distance d'une certaine façon de l'étudier. En particulier parce que l'héritage des Anciens a été manipulé au nom d'idéologies et de souverainismes variés, c'est-à-dire simplifié et distordu pour différentes raisons, littéraires, commerciales ou pédagogiques.
Mais si pour les antiquisants l'usage abusif d'un passage d'un auteur ancien cité hors contexte relève du péché mortel, les politologues sont plus indulgents envers eux-mêmes. Il faut se faire une raison : comme la « paix carthaginoise », le « piège de Thucydide » est devenu une formule pour professionnels des relations internationales, et elle a son existence propre... mais sans grand rapport avec le texte de Thucydide ou le contexte de la guerre du Péloponnèse.
Giusto Traina dresse l'histoire de la mauvaise réception de l'Antiquité, traquant et commentant avec malice interprétations fantaisistes et orientées, récupérations politiques, élucubrations discutables et autres affirmations erronées.
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