Comme je n'ai pas honoré, à mon sens, mon challenge pour l'opération, les matchs de la Rentrée Littéraire organisée par Price Minister en ne finissant pas
Freedom de
Jonathan Franzen, j'ai lu avec plaisir celui-ci, reçu en cadeau de “marrainage”. Je remercie Rémi Gonseau de PriceMinister et les Editions
Actes Sud pour cet envoi.
Il est des écritures qui s'insinuent en nous au point qu'on ne voudrait jamais finir le livre. On le déguste comme un mets délicat et au rythme nonchalant des mots qui bercent et envoûtent…
Thomas, le narrateur, guide touristique de son métier mais peintre underground ailleurs va chercher Anaïse, une étrangère “urbaine” à l'aéroport pour l'amener à Anse-à-Fôleur, ce village de pêcheurs hors du temps, du monde et des cartes touristiques. Vingt ans plus tôt deux maisons voisines identiques appelées “Les Belles Jumelles” ont brûlé dans un incendie dont l'Enquêteur dépêché sur place n'a pas trouvé s'il était criminel ou pas. Mais peu importe ! C'est l'histoire des deux personnages qui les habitaient que nous conte en partie le narrateur car l'un des deux, Robert Montès était le grand-père d'Anaïse dont le père, disparu trois jours après la nuit de l'incendie, est mort quand elle avait trois ans. Dans un long monologue, de la capitale au village, pendant sept heures environ il explique à Anaïse (que l'on devine à l'arrière du taxi) ce qu'est vraiment Haïti et comment les choses s'y passent vu d'un regard non condescendant. Avec les clichés que ramènent les touristes en quête d'exotisme, avec la corruption qui a gangrené le pays et au milieu, des innocents magnifiques qui n'ont que des chants, des mots, de la peinture aussi et de la tendresse à offrir dans leurs mains vides qui envolent des cerfs-volants les jours de fête en regardant les pêcheurs rentrer au crépuscule. Thomas dénonce l'arrogance des grands Etats (et en filigrane, certaines ONG bien-pensantes), explique encore qu'elle ne trouvera pas les réponses qu'elle est venue chercher, qu'elle doit plutôt se poser la question universelle de “l'usage de notre présence au monde” et entrer sur le chemin qui mène à “
la belle amour humaine”, chemin où tous “n'ont pas leur place, ni vivants, ni morts” comme ce fut le cas pour le grand-père et son ordure d'ami de la maison jumelle, l'ignoble Colonel, Pierre André Pierre. Mais que “chacun y tient sa place”. Il fait parler son oncle peintre devenu aveugle mais dans cet oncle, n'y a-t-il pas un peu de cet auteur haïtien,
Jacques Stephen Alexis, auteur disparu sous la dictature Duvallier et qui a donné son titre à ce livre ?
Tout commence par le vacarme de la capitale qui est reconnaissable à ce signe distinctif : “Ce n'est pas comme ici où la vie a peur du silence. Ici, si au réveil on ne s'est pas préparé à partir au combat, on n'a pas la vie devant soi. le pain ça se chasse comme le gibier et vu qu'il n'y en pas pour tout le monde, le bruit a remplacé l'espoir”. Puis viennent des réflexions sur les différences de civilisation, de couleur, les idées fausses avec lesquelles les touristes arrivent…et repartent, persuadés d'y avoir découvert l'âme du pays. le tourisme sexuel aussi. Mais il ne met pas Anaïse dans cette case et s'en excuse élégamment : “Concernant l'étalon, j'aurais peut-être pas dû te le proposer. C'est vulgaire. Pardonne-moi. Comme dit Justin en matière de paroles, si l'excuse est sincère, elle répare l'injure et vaut bien le pardon.”
Anaïse découvrira Anse-à-Fôleur qui signifie “parce que les flibustiers y cachaient leur butin” et dans ce merveilleux voyage où le narrateur/auteur déroule des mots toujours justes, elle prend la parole dans la deuxième partie : “ Non je ne peux pas te dire que j'ai trouvé ce que j'étais venue chercher, mais dans la question relative à l'usage de sa présence au monde se pose aussi celle de la place de l'absent. Les absents, on les reconstitue toujours : ceux qu'on laisse partir et ceux que l'on ramène. Ce sera ça mon père : je ramène avec moi au pays d'où je viens des bouts d'enfance triste et une belle nuit d'amour”. A Anse-à-Fôleur, avec Solène qui danse dans les forêts et sur les plages, Justin qui créée des lois pour imposer le bonheur, Thomas qui sait d'où il vient et des enfants qui chantent, elle va toucher des yeux et du coeur “
la belle amour humaine”, faite de riens mais qui emplit tout, ses chants grégaires qui soudent les hommes qui se sont reconnus d'instinct. ” Malheur à l'homme qui, oubliant son devoir de merveilles, a, par voeu de puissance ou par avidité, trahi la main tendue et le rite de partage. Mais honneur à ceux qui vont et viennent et partagent avec l'autre la douceur de la halte”.
Car s'il s'agit d'une route où défilent des pans de l'histoire d'Haïti, de son quotidien, du racisme ordinaire, c'est aussi la halte au bout du voyage où nous communions entre humains qui se ressemblent dans un éternel partage sans lequel la vie n'aurait pas de sel. Et j'ai voulu laisser sciemment la parole à cet auteur splendide, où la prose se fait poème allégorique, qui semble enrouler les mots, même les plus terribles comme on trempe sa cuillère dans un pot de miel. Une humanité dévorante mise en images dans un langage universel et fort, celui de l'amour salvateur ! Ce fut un coup de coeur !
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