Il est toujours compliqué de commencer une chronique lorsqu'on adore l'auteur, de peur d'user de superlatifs à en dégoûter le lecteur. Je veux juste suggérer ici que
Lyonel Trouillot soit dans toutes les bibliothèques.
Alors,
La belle amour humaine, c'est entre le monologue, le roman sur la route, la chronique locale et bien d'autres choses encore. C'est un long récit, un peu comme une mélopée scandée par Thomas, le chauffeur qui emporte Anaïse de Port-au-Prince à Anse-à-Fôleur, le village familial qu'elle a quitté très jeune pour aller vivre loin de l'île, on ne sait où, mais dans une grande ville occidentale, c'est sûr.
La plus grande partie du récit est donc ce monologue de sept heures environ durant lesquelles Thomas raconte l'histoire de ce village de pêcheurs, la tradition, les rapports humains, les coutumes, les rapports à la collectivité, mais surtout l'enquête à propos de l'incendie de deux villas jumelles dans lequel deux hommes ont perdu la vie, le grand-père d'Anaïse et son ami. Vingt ans après, le mystère reste entier, l'enquêteur dépêché sur place par le ministre n'est pas arrivé à le percer… mais quelqu'un le veut-il vraiment ?
Toutes les hypothèses sont permises, car ces deux hommes dénotaient vraiment dans le village, un ancien colonel et un homme d'affaires qui ne se mélangeaient pas aux autres, voire les évitaient avec un peu de mépris. Les deux villas jumelles en tout point que ces deux hommes avaient fait construire avaient mystérieusement brûlé, les emportant dans le même trépas, comme pour gommer leur différence, leur déférence envers les autres.
Les kilomètres défilent et Thomas évoque l'enquêteur qui a démissionné, l'oncle, peintre devenu aveugle et qui, depuis, passe ses journées assis sur une chaise face à la mer, et tous les autres figures marquantes. le fond de l'enquête n'est que prétexte pour dresser une galerie de portraits des habitants du village, leurs relations, leur rapport à la famille, à la mer, la fraternité qui les lie. En fait, les deux portraits des personnages décédés sont posés en miroir pour faire ressortir la vie modeste et harmonieuse, l'occasion de poser la question “Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?”.
Au bout de ces longues heures, Anaïse est prête à pénétrer ce village autrement qu'en étrangère, un peu comme si elle savait déjà, facilitant son séjour éphémère auprès des adultes et des enfants en toute simplicité de l'être. Comme si les mots entendus l'avaient aidée à ôter les couches superficielles de sa personnalité pour mieux s'intégrer instantanément aux habitants d'Anse-à-Fôleur.
Durant la dernière partie du livre, c'est au tour d'Anaïse de livrer son impression sur ce court séjour, qui ressemble à un long voyage, et l'on ressent bien l'effet des mots de Trouillot/Thomas, tout en sagesse et en sérénité…
Lyonel Trouillot, peur ceux qui ne le connaîtraient pas, c'est avant tout une poésie d'écriture, des phrases dont on se délecte, une douceur qui nous berce.
Si, au départ, cette histoire peut sembler ordinaire à certains, le lecteur peut se laisser prendre par cette mélopée au mouvement circulaire qui nous enveloppe l'esprit, tout en suggestions, en images allusives, et que le lecteur pourra colorer à sa façon, selon son humeur…
Je connaissais
Lyonel Trouillot grâce à
le doux Parfum des temps à venir, un texte magnifique sur la transmission d'une mère à sa fille pour qu'elle devienne femme, mis en scène par
Christine Matos au festival d'Avignon et dans d'autres villes en 2019. J'en profite pour la remercier de m'avoir conseillé
La belle amour humaine…
Je ne sais pas si
Lyonel Trouillot est étudié en classe, mais autant pour le fond humaniste que pour sa prose poétique, la profondeur de ses textes accessibles à tous, il permettrait d'éclairer l'esprit des enfants vers un monde meilleur…
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