Nous n'avons pas le temps -
Nous n’avons pas le temps de creuser nos pensées
Nous n'avons pas le temps de peser nos paroles
Qui trahissent notre destin tortueux
Trop de fruits sont tombés sur notre champ caillouteux
On y glisse
On y tombe
Le surplus nous dévore
Oui, les fleurs sont les mêmes
Et les champs demeurent labourés comme jadis
L'écume du ciel mange l'horizon gris
Et le vert de l'herbe me pénètre jusqu'au coeur
Quand j'oublie qui je suis
Tout est là
Rien ne bouge
[...]
Nous n'avons pas le temps d'ouvrir nos paupières
Sur tant de beauté surhumaine
Qui nous fuit
Plus de rire, plus de larmes, plus de chant
Le soleil est trop pâle et mon cœur est trop chaud
Pour la vie.
Contre moi
Il n’y a pas de remède
Il n’y a pas de règle
Pour sombrer
Chacun porte son vide
Où il peut
Une grande époque
Fait ses monstres hors mesure
A la cime des gloires
Les vautours font leurs nids
Les poètes aboient
La poésie passe
On ne traverse pas intact
Une forêt de paroles
Tout au bout de la nuit
La même nuit recommence
Ma mémoire est criblée
De poèmes hérissons
Tout poème souverain
Est tributaire de l’enfance
Toutes les petites choses
Nous implorent de rester parmi elles
Ces menus objets qui nous gardent
Les cuillères les assiettes et les bols
Ont tant besoin de nos mains
Je suis dépassé par mon ombre
En moi
Coulent des fleuves et des torrents puissants
Tous ils se jettent dans la mer morte
Chaque larme
Me rapproche de la mer
La nécessité
Est une maîtresse de choix
Le poète
N’a qu’une seule dimension
Prendre sur soi
L’homme entier
Entre quatre murs de paroles
Protéger ses oublis
Scier distinctement
Le vieux tronc qui nous porte
Sombrer consentant
Dans l’abîme du futur
La parole qui me porte
La parole qui me porte
Est l’intacte parole
Elle ignore la gloire
De la décrépitude
La parole qui me porte
Est l’abrupte parole
Elle ignore le faste
De la sérénité
La parole qui me porte
Est l’obscure parole
Dans ses eaux profondes
Ma lumière se noie
La parole qui me porte
Est la dure parole
Elle exige de moi
L’entière soumission
La parole qui me porte
Est une houle de fond
C’est une haute parole
Sans frontière et sans nom
La parole qui me porte
Me soulève avec rage
Le Voyant
Etre lucide
C’est perdre connaissance
Etre libre
C’est perdre l’équilibre
Etre vengeur
C’est terrasser la vengeance
Etre intact
C’est traverser l’évidence
Etre aux abois
C’est passer au-delà
Invincible est la détresse
De celui qui voit
Le Silence
Quand le silence envahit mon domaine
Il crève mes vitraux
Il crève mes trumeaux
Il crève mes tympans
Et se répand dans mon crâne
Comme dans une cathédrale
Une compilation des « Chemins de la connaissance », par Pierre Drachline, diffusés du 18 au 22 mai 1987 sur France Culture. Présences : Yvonne Vineuil, Dominique Labarrière, Guy Benoit, Patrice Repusseau et Irène Omelianenko.