Depuis plus de trente ans que l'auteur des aventures de Blake et Mortimer est mort (en 1987), ses deux héros, contrairement à Tintin, poursuivent leur petite vie, sans le génie de leur créateur, certes, mais avec un talent indéniable. Rien de comparable, en effet, avec le piège diabolique ou La Marque jaune, deux excellents albums de la main d'
Edgar P. Jacobs.
Ce dernier opus revient aux origines de ce célèbre duo composé du Gallois (le capitaine
Francis Blake) et de l'Écossais (le professeur Philip Mortimer). le dernier Espadon ressort ainsi l'avion de guerre submersible inventé par Mortimer pour vaincre l'empereur Basam-Damdu. On retrouve évidemment le colonel Olrik, aussi élégant que perfide et qui ne connaît que sa morale propre, au point d'éveiller la méfiance de ses commanditaires eux-mêmes.
L'intrigue fait ressurgir une vieille histoire dont l'Angleterre s'est longtemps servie pour attester de la malfaisance de l'IRA (Irish republican Army) qui luttait alors – et durant de nombreuses années ensuite – afin que l'Irlande recouvre la totalité de son territoire, à savoir l'Ulster, toujours aux mains du Royaume-Uni.
Avec un certain manichéisme, les auteurs de cette aventure s'appuient sur une réalité historique pour brosser un portrait très simpliste des indépendantistes irlandais. Effectivement, l'Ira a fricoté jadis avec le régime nazi, en proposant notamment un soutien en hommes à ce dernier en vue d'une attaque de l'Ulster. Car l'Allemagne et l'IRA avaient alors un ennemi commun : l'Angleterre. Mais de là à diaboliser des hommes (et des femmes !) qui étaient traités comme des sous-citoyens en Irlande du Nord, c'est un peu facile.
J'invite d'ailleurs chacun à se renseigner sur l'histoire de l'Irlande du Nord pour y constater les multiples exactions perpétrées par les autorités anglaises. Ce qui ne dédouane pas l'IRA de ses actions terroristes sur des civils anglais, dont les attentats perpétrés à Londres, bien entendu.
Mais pourquoi pas une telle histoire, me direz-vous, d'autant qu'elle est fort bien ficelée ? Dans ce cas, à quand une bande dessinée où l'on évoquerait les accointances du Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Hussein, avec les Nazis, au point d'avoir été reçu en grande pompe par Hitler en personne ?
Pour le reste, l'intrigue est bonne et le dessin fidèle à Jacobs, avec, hélas, cette petite pincée de bien-pensance progressiste hors-sujet et plaçant à travers deux cases l'homophobie (au début) et le racisme (à la fin). C'est à croire que, sans piqure de rappel du réel, l'évasion n'est plus possible de nos jours.
Conclusion : bon album, mais qui se heurte à des tentations idéologiques qui n'ont pas leur place dans une aventure de Blake et Mortimer…