Citations sur Autour de la lune (51)
Toutes les précautions humainement possibles avaient été prises pour mener à bonne fin une si téméraire tentative .
Un Français, un Parisien fantaisiste, un artiste aussi spirituel qu'audacieux, demanda à s'enfermer dans un boulet afin d'atteindre la lune et d'opérer une une reconnaissance du satellite terrestre. Cet intrépide aventurier se nommait Michel Ardan. Il arriva en Amérique, fut reçu avec enthousiasme, tint des meetings, se vit porter en triomphe, réconcilia le président Barbicane avec son mortel ennemi le capitaine Nicholl et, comme gage de réconciliation, il les décidait à s'embarquer avec lui dans le projectile .
- Nous n'avons que faire des Sélénites ! A bas les Sélénites !
- A nous l'empire de la Lune, dit Nicholl.
- A nous trois constituons la république !
- Je serai le congrès, cria Michel.
- Et moi le sénat, riposta Nicholl.
- Et Barbicane le président, hurla Michel.
– Je sais, je devine ce que c’est que ce prétendu bolide ! Ce
n’est point un astéroïde qui nous accompagne ! Ce n’est point
un morceau de planète.
– Qu’est-ce donc ? demanda Barbicane.
– C’est notre infortuné chien ! C’est le mari de Diane ! »
En effet, cet objet déformé, méconnaissable, réduit à rien,
c’était le cadavre de Satellite, aplati comme une cornemuse
dégonflée, et qui montait, montait toujours !
L'astre brillait dans toute sa splendeur, au milieu d'innombrables constellations dont ses rayons ne pouvaient troubler la pureté.
- Ainsi donc, demanda Michel Ardan, l'humanité aurait disparu de la Lune ?
- Oui, répondit Barbicane, après avoir sans doute persisté pendant des milliers d'années.
[...]
- Et tu dis que pareil sort est réservé à la Terre ?
- Très probablement.
- Mais quand ?
- Quand le refroidissement de son écorce l'aura rendue inhabitable.
- Et a-t-on calculé le temps que notre malheureux sphéroïde mettrait à se refroidir ?
- Sans doute.
- Et tu connais ces calculs ?
- Parfaitement.
- Mais parle donc, savant maussade, s'écria Michel Ardan, car tu me fais bouillir d'impatience !
- Eh bien ! mon brave Michel, répondit tranquillement Barbicane, on sait quelle diminution de température la Terre subit dans le laps d'un siècle. Or, d'après certains calculs, cette température moyenne sera ramenée à zéro après une période de quatre cent mille ans !
- Quatre cent mille ans ! s'écria Michel. Ah ! je respire ! Vraiment, j'étais effrayé ! A t'entendre, je m'imaginais que nous n'avions plus que cinquante mille années à vivre !
Mais au moins, dit Michel Ardan, aurions-nous pu emmener un âne, rien qu’un petit âne, cette courageuse et patiente bête qu’aimait à monter le vieux Silène ! Je les aime, ces pauvres ânes ! Ce sont bien les animaux les moins favorisés de la création. Non seulement on les frappe pendant leur vie, mais on les frappe aussi après leur mort !
C’était l’aimable Diane, assez penaude encore, qui s’allongea hors de sa retraite, non sans se faire prier. Cependant Michel Ardan l’encourageait de ses plus gracieuses paroles.
« Viens, Diane, disait-il, viens, ma fille ! toi, dont la destinée marquera dans les annales cynégétiques ! toi que les païens eussent donnée pour compagne au dieu Anubis, et les chrétiens pour amie à saint Roch ! toi, digne d’être forgée en airain par le roi des enfers, comme ce toutou que Jupiter céda à la belle Europe au prix d’un baiser ! toi, dont la célébrité effacera celle des héros de Montargis et du mont Saint-Bernard ! toi, qui, t’élançant vers les espaces interplanétaires, seras peut-être l’Ève des chiens sélénites ! toi qui justifieras là-haut cette parole de Toussenel : « Au commencement, Dieu créa l’homme, et le voyant si faible, il lui donna le chien ! » Viens, Diane ! viens ici ! »
Diane, flattée ou non, s’avançait peu à peu et poussait des gémissements plaintifs.
« Hé ! Diane ! Hé ! Satellite ! s’écriait-il en les excitant. Vous
allez donc montrer aux chiens sélénites les bonnes façons des
chiens de la terre ! Voilà qui fera honneur à la race canine !
Pardieu ! Si nous revenons jamais ici-bas, je veux rapporter un
type croisé de « moon-dogs » qui fera fureur !
– S’il y a des chiens dans la Lune, dit Barbicane.
– Il y en a, affirma Michel Ardan, comme il y a des chevaux,
des vaches, des ânes, des poules. Je parie que nous y trouvons
des poules !
– Cent dollars que nous n’en trouverons pas, dit Nicholl.
– Tenu, mon capitaine, répondit Ardan en serrant la main
de Nicholl.
Eh bien, l'algèbre est un outil, comme la charrue ou le marteau, et un bon outil pour qui sait l'employer.