Encore une robinsonnade, me direz-vous !
Jules Verne s'en est expliqué dans sa préface :
« Bien des Robinsons ont déjà tenu en éveil la curiosité de nos jeunes lecteurs.
Daniel de Foë, dans son immortel «
Robinson Crusoé », a mis en scène l'homme seul ; Wyss, dans son « Robinson suisse », la famille ; Cooper, dans le « Cratère », la société avec ses éléments multiples. Dans « L'Île mystérieuse », j'ai mis des savants aux prises avec les nécessités de cette situation... Malgré le nombre infini des romans qui composent le cycle des Robinsons, il m'a paru que, pour le parfaire, il restait à montrer une troupe d'enfants de huit à treize ans, abandonnés dans une île, luttant pour la vie au milieu des passions entretenues par les différences de nationalité, — en un mot, un pensionnat de Robinsons. D'autre part, dans « le Capitaine de quinze ans », j'avais entrepris de montrer ce que peuvent la bravoure et l'intelligence d'un enfant aux prises avec les périls et les difficultés d'une responsabilité au-dessus de son âge. Or, j'ai pensé que si l'enseignement contenu dans ce livre pouvait être profitable à tous, il devait être complété. C'est dans ce double but qu'a été fait ce nouvel ouvrage ».
«
Deux ans de vacances » (1888) raconte l'histoire de quatorze garçons (la mixité n'était pas de mise, en ce temps-là, l'idée-même devait être choquante), collégiens dans la pension Chairman, en Nouvelle-Zélande, qu'un naufrage a poussés sur une île inconnue. Ils organisent leur existence tant bien que mal, sous l'autorité de l'Américain Gordon. Mais des dissensions ne tardent pas à éclater entre les différentes nationalités, notamment entre l'Anglais Doniphan et le Français Briant. La situation se complique avec l'arrivée d'une chaloupe de mutins (et deux prisonniers à bord). Les prisonniers arrivent à s'échapper et à rejoindre les enfants. Tous ensemble ils parviennent à se débarrasser des mutins, et à repartir à bord de la chaloupe.
Comme indiqué dans la préface, il s'agit ici d'une expérience : après avoir vu évoluer un homme («
Robinson Crusoé »), une famille (« Les Robinsons suisses ») deux hommes puis une petite société (« le Cratère »), cinq puis six hommes («
L'Ile mystérieuse »),
Jules Verne met en place ici quatorze collégiens et un mousse, rejoints par d'autres naufragés). L'expérience ne s'arrêtera pas là : dans «
Les Naufragés du Jonathan » (version corrigée par
Michel Verne) (ou «
En Magellanie », version originale de
Jules Verne), c'est toute une colonie d'un millier de personnes qui échoue sur une île près du cap Horn. Par deux fois encore
Jules Verne aborde le thème de la robinsonnade : dans «
Seconde patrie », il imagine une suite aux « Robinsons suisses » de Wyss, et dans « L'Ecole des robinsons » il fabrique de toute pièces un faux naufrage, fausse île, faux animaux etc, pour prouver qu'on ne s'improvise pas robinson.
«
Deux ans de vacances » est un roman attachant pour le regard attendri et un peu gauche que porte
Jules Verne sur ces petits héros : à la fois adultes et enfants, ils ont un comportement que le lecteur ne comprend pas toujours, la trop grande maturité des uns contrastant avec la trop grande puérilité des autres, mais c'était peut-être ainsi dans les années 1880, on ne sait pas. Les clivages de nationalités sont aussi parlants : les gentils sont clairement les Français et l'Américain, les moins gentils sont les Britanniques (les vrais méchants ce sont les mutins). Pour le reste, tous les ingrédients verniens sont là : l'inventivité, le sens du groupe, celui de l'amitié, la cohésion devant le danger commun, même les dissensions qui en disparaissant consolident le « vivre-ensemble ». Un
Jules Verne de tradition. Et même d'excellente cuvée.
Il existe une version noire de ce roman : «
Sa majesté des mouches » (1954) de
William Golding, raconte le crash d'un avion anglais sur une île déserte du pacifique. Tous les adultes meurent. Une quinzaine d'écoliers anglais (des garçons là-aussi) tentent de survivre, mais contrairement à «
Deux ans de vacances », le vernis de la civilisation craque et les instincts primaires reprennent le dessus. Un livre très fort et d'un pessimisme terrifiant sur le destin de la société en dehors des règles de régulation sociale.