Vingt mille lieues sous les mers m'a été donné une première fois par ma mère quand j'avais une dizaine d'années ; elle en avait déniché une édition en deux tomes dans un vieux vide-grenier. A l'époque, je n'avais pas réussi à entrer dedans. Trop de termes que je ne comprenais pas.
On (je ne sais plus qui) m'a offert une deuxième édition du roman de
Jules Verne quelques années plus tard, un gros pavé de chez Gründ, illustré. J'ai tenté, alors, de me replonger (ha ha, "replonger" ! hm. Bref.) dans le roman, en vain. le livre, comme les précédents, s'est contenté de prendre la poussière sur les étagères de ma chambre.
Et voilà que, pris d'affection pour le XIXème siècle, je me penche sérieusement sur la littérature, et
Jules Verne n'échappe évidemment pas à ma curiosité. Je me trouve un exemplaire de
Vingt mille lieues sous les mers en librairie.
C'est dire si le roman me colle à la peau depuis tout petit, me nargue, et je me dis que, quand même, il faudrait que je l'affronte une bonne fois pour toute. Après tout, quand j'étais libraire spécialisé jeunesse, et que j'avais mis en avant cette très belle édition des romans de
Jules Verne, beaucoup de ma clientèle me disaient que
Jules Verne était un "passage obligé" comme
Balzac,
Zola,
Maupassant... Et j'acquiesçais gravement, comme si je savais de quoi on parlait. Alors que non. A l'aube de ma trentaine, alors, je me jette à l'eau (re-ha ha,"jette à l'eau" ! hm. Bref.)
Il est évident que, considérations anachroniques mis à part,
Vingt mille lieues sous les mers relève de la hard-science, branche ultra-réaliste de la science-fiction (autrement dit : on prend au mot le terme de "science"). En clair, en le resituant dans un contexte tel que la seconde moitié du XIXème siècle, il apparaît que Verne a réussi à adopter une large partie de la connaissance scientifique de son temps. Pour un peu, son roman paraît réaliste, non fantaisiste. Aujourd'hui, on le considère avec un petit sourire "oui bon, pourquoi pas, mais préférons-lui quelqu'un de plus sérieux comme Dumas ou Gautier". Ca fait sérieux de dire que l'on lit
Maupassant, moins de dire que l'on lit Verne, et ce n'est pas vraiment normal. La science-fiction d'une manière générale continue de souffrir de cette condescendance de la part d'un lectorat incapable, pourtant, d'expliquer ce qu'est la "vraie" littérature, comme s'il en existait une fausse. Verne, on le prend pour le gentil monsieur qui a des histoires fantaisistes pour amuser les enfants. Alors que...
Alors que, purée ! C'est CHIANT. A trop vouloir décrire la mer jusqu'aux molécules de chlorure de sodium (Verne qui parle de molécules à une époque où leur existence est encore difficilement admissible, c'est fou), on en perd le fil de l'histoire, on sort du bouquin. A trop vouloir faire réaliste, l'auteur écrit moins un roman qu'un catalogue. Et encore insuffle-t-il un peu de poésie dans ces catalogages, fait des jeux de mots (certaines des créatures citées sont pure invention, le but étant d'appuyer l'idée d'une diversité sous-marine hors-norme). Mais le côté "Hé, j'ai passé trois ans à composer ce roman, avec toutes mes recherches encyclopédiques" énerve. Et c'est dommage ! Car les bons moments sont nombreux, le roman regorge de bonnes scènes prenantes, folles, dignes des meilleurs romans d'aventure. J'aimerais volontiers vivre dans un bâtiment tel que le Nautilus, me réveiller chaque matin devant un paysage sous-marin différent, pouvoir jouer du Brahms sur le piano-orgue du capitaine Nemo. Mais il a fallu que
Jules Verne se sente obligé de me prendre par la main et me dise "Attends, je vais t'expliquer comment fonctionne ceci, ou quelques biodiversité on peut trouver à cet endroit précis de l'océan". Frère, si j'ai envie de m'intéresser à ça, je me regarde un documentaire ou j'ouvre une encyclopédie.
Cela dit, toutes ces considérations scientifiques sont un témoin des connaissances de l'époque de Verne et j'en éprouve une forme d'attendrissement. Que l'on vienne me dire que sur tel ou tel sujet scientifique il se plante complètement et que c'est bien la preuve que c'est un gros naze me fait doucement rigoler ; le positivisme de certaines personnes m'exaspère. le positivisme m'exaspère à lui tout seul, ceci dit. Arrivera bien un jour où, à notre tour, on bousculera nos connaissances scientifiques actuelles, et on nous méprisera comme on méprise les scientifiques qui croyaient encore, fermement au début du XIXème siècle, à l'éther.
Tout ça pour dire qu'offrir
Vingt mille lieues sous les mers à un enfant de 10 ans, c'est au mieux de l'inconscience, au pire une preuve inavoué qu'il n'était pas désiré.