Et maintenant que j'y songe tranquillement, maintenant que le calme s'est refait dans mon esprit, que les mois se sont écoulés depuis cette étrange et surnaturelle rencontre, que penser, que croire ?
Je cherche à me rappeler les instincts particuliers à ces animaux antédiluviens de l'époque secondaire, qui, succédant aux mollusques, aux crustacés et aux poissons, précédèrent l'apparition des mammifères sur le globe. Le monde appartenait alors aux reptiles. Ces monstres régnaient en maîtres dans les mers jurassiques. La nature leur avait accordé la plus complète organisation. Quelle gigantesque structure ! quelle force prodigieuse ! Les sauriens actuels, alligators ou crocodiles, les plus gros et les plus redoutables, ne sont que des réductions affaiblies de leurs pères des premiers âges !
Je frissonne à l'évocation que je fais de ces monstres. Nul œil humain ne les a vus vivants.
Je voulais bien être égaré, non perdu. Égaré, on se retrouve.
Venais-je d'entendre les spéculations insensées d'un fou ou les déductions scientifiques d'un grand génie ? En tout cela, où s'arrêtait la vérité, où commençait l'erreur ?
Cet homme-là ne savait attendre, et il était plus pressé que nature.
Quand, en avril, il avait planté dans les pots de faïence de son salon des pieds de réséda ou de volubilis, chaque matin il allait régulièrement les tirer par les feuilles afin de hâter leur croissance.
La vieille maison penchait un peu, il est vrai, et tendait le ventre aux passants ; elle portait son toit incliné sur l'oreille, comme la casquette d'un étudiant de la Tugendbound ; l'aplomb de ses lignes laissait à désirer ; mais, en somme, elle se tenait bien, grâce à un vieil orme vigoureux encastré dans la façade, qui poussait au printemps ses bourgeons en fleurs à travers les vitraux des fenêtres.
Devais-je prendre que sérieux sa résolution d’aller au centre du massif terrestre ? Venais-je d’entendre les spéculations insensées d’un fou ou les déductions scientifiques d’un grand génie ? En tout cela, où s’arrêtait la vérité, où commençait l’erreur ?
La science, mon garçon, est faite d'erreurs, mais d'erreurs qu'il est bon de commettre, car elles mènent peu à peu à la vérité.
"Est-ce que monsieur est fou ?" me dit-elle.
Je fis un signe affirmatif.
"Et il vous emmène avec lui ?"
Même affirmation.
"Où cela ?" dit-elle.
J'indiquai du doigt le centre de la terre.
"A la cave ? s'écria la vieille servante.
- Non, dis-je enfin, plus bas !"
et quacum viam dederit fortuna sequamur. ( et quelque soit la route que la fortune indiquera nous la suivrons)