Est-ce à dire que la liberté de l'art soit, comme disent les philosophes, une liberté d'indifférence, que toute direction lui soit égale et qu'il ne connaisse d'autre loi que l'infinie variété du caprice individuel?
Ce serait une exagération et une erreur. L'artiste, avons-nous dit, vit surtout de la vie du milieu où il est placé ; il en suit naturellement les inspirations.
Aussi, à ces belles époques, l'art était-il vraiment un art national : les esprits, laissés à leur pente naturelle, cherchaient l'art où ils le sentaient, ou plutôt ils le trouvaient sans le chercher, par le mouvement spontané des imaginations, sans autre guide ni autre règle que les instinctives préférences communes à la race tout entière.
C'est cette communauté des instincts livrés à eux-mêmes qui explique les similitudes intimes qui , aux grandes époques , se remarquent entre les œuvres d'art, en même temps que l'effet de la liberté éclate par ce caractère, que rien dans l'art ne supplée : l'originalité individuelle.
Il n'y a pas de science qui ait été plus que l'esthétique livrée aux rêveries des métaphysiciens. Depuis Platon jusqu'aux doctrines officielles de nos jours, on a fait de l'art je ne sais quel amalgame de fantaisies quintessenciées et de mystères transcendantaux qui trouvent leur expression suprême dans la conception absolue du Beau idéal, prototype immuable et divin des choses réelles.
C'est contre cette ontologie chimérique que nous avons essayé de réagir.
L'art n'est autre chose qu'une résultante naturelle de l'organisme humain, qui est ainsi constitué qu'il trouve une jouissance particulière dans certaines combinaisons de formes, de lignes, de couleurs, de mouvements, de sons, de rythmes, d'images. Mais ces combinaisons ne lui procurent jamais plus de plaisir que quand elles expriment les sentiments et les émotions de l'âme humaine aux prises avec les accidents de la vie ou en face du spectacle des choses.