La nature du beau serait-elle plus inaccessible que la nature du vrai et du bien? Si l'on a pu définir ces dernières, pourquoi n'arriverait-on pas à déterminer l'essence de la beauté? Cependant M. E. Rabier écrit : « Il paraît impossible de dégager de la comparaison des cas qui provoquent le sentiment du beau, une essence ou forme commune du beau. » Le comte L. Tolstoï, à la suite de plusieurs autres, le déclare : « Il n'y a point de définition objective de la beauté. »
Cherchant à se formuler une définition du temps, certain philosophe alla consulter le mathématicien Poisson. Celui-ci de répondre : « Savez-vous ce que vous dites quand vous parlez du temps? Si vous le savez, inutile que nous en cherchions la définition ; si vous ne le savez pas, parlons d'autre chose. »
Ne devons-nous pas raisonner de même au sujet du beau? Vouloir définir le beau, ainsi que le temps, l'espace, le mouvement, n'est-ce pas se donner une peine inutile? Une définition doit être plus claire que l'objet défini ; or, les mots temps, espace, mouvement et beauté ont pour tout le monde un sens obvie plus clair que toute explication. Admettons-le; le sens de ces mots n'a pas besoin de définition, mais en est-il de même de la chose exprimée?
L'analyse des formules du beau les plus autorisées nous a conduit à cette définition : Le beau est la splendeur de l'ordre! Pour mettre ce point dans un nouveau jour, nous allons actuellement retrouver celle définition par une voie opposée, par la synthèse. Nous prendrons ainsi une pleine intelligence de ses termes.
Le public ne s'intéressera jamais beaucoup à une soi-disant science qui ne voit qu'une apparence subjective dans la beauté, qui n'a pour appui que des impressions variables d'un individu à l'autre et reste incapable de donner une règle, soit pour contrôler l'appréciation du beau, soit pour guider sa production artistique.
Comme toute science, l'esthétique ne se contente pas de constater le fait, elle en cherche le pourquoi, les causes, les lois. Cette recherche, plus ou moins instinctive chez l'artiste, est raisonnée chez le philosophe. L'art a précédé la science, mais les progrès de la science donnent à l'art un nouvel élan.