La fille qu'on appelle

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Personne ne lui a demandé comment elle était habillée ce matin -là,mais elle a tenu à le préciser, qu'elle n'avait pas autre chose à se mettre que des baskets blanches mais savoir quelle robe ou Jean siérait à l'occasion, idem du rouge brillant qui couvrirait ses lèvres ,elle y pensait depuis l'aube.(Page 15).

Encore que ça, elle a dit aux policiers, ça reste à démontrer ; quand j'ai senti en le voyant entrer, à la manière dont la porte a claqué derrière lui, j'ai compris tout de suite que rien d'autre que son désir n'avait franchi le seuil de la chambre, sinon son orgueil peut-être qui s'installerait dans le fauteuil au pied du lit, ce même orgueil qui le regarderait s'allonger comme on toise de pitié un ivrogne dans la rue, lui, dénouant sa cravate sans à peine me parler, s'efforçant de rester poli : Ça va ? Je suis content de te revoir. Et s'allongeant à moitié nu sur le lit, la ceinture déjà défaite, il a ajouté : Je n'ai pas beaucoup de temps.

C'est comme ça en tout cas qu'avaient dû l'établir ceux-là qui ont débarqué un jour à la sortie de son lycée pour lui proposer d'entrer si précocement dans le monde des adultes: elle, à peine seize ans, mais c'est exactement leur cible, qui l'attendaient sur le parking dehors et dont le métier consistait en cela, repérer les jolies filles, les traquer sur les plages ou dans les cours des lycées, et puis jeter dessus le filet de mailles serrées dont elles, les filles élues, si elles avaient dit oui une fois, ne pouvaient pas plus s'échapper que des chiens errants capturés par la fourrière. Laura pas plus qu'une autre ne sut accélérer le pas le long des grilles du lycée et leur dire d'aller se faire foutre quand ils l'abordèrent si frontalement, lui disant sans barguigner: Mademoiselle, ça vous intéresserait de travailler dans la mode?
(P. 28)

Le pouvoir, ce n'est pas dans la raideur qu'il se fonde, mais à l'endroit calculé de ses inflexions. (p.17)

Toutes ces choses conservées là en images délavées, non pas usées ni passées, plutôt qui n'auraient pas mûri assez de temps dans le bain chimique de la mémoire pour qu'en apparaissent les contours et les couleurs les plus franches, comme des souvenirs en gestation.

C'est un fait établi qu'en matière de pouvoir, la panique s'accroît à mesure qu'on s'approche du sommet, à cause de cette propension des plus hauts dignitaires à croire que si quelque chose parvient à les effleurer, alors c'est qu'il en va du sort de l'humanité tout entière, à moins que rien ne les vexe plus que d'être rattrapé par la trivialité du monde dont un temps ils ont oublié qu'ils faisaient encore partie.

Elle a dit que ça ne durait jamais longtemps, à cause de cette manière de faire qu’ont tous les politiques, de venir en plein jour entre deux rendez-vous, et ne voulant rien d’autre qu’assouvir au plus vite ce désir masculin si maladif et si urgent à la fois.

[...] à l'heure de trahir comme il venait de le faire, [il] connut les scrupules. Mais comme on dit qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, il y a des kilomètres aussi chez certains hommes entre les scrupules et la morale. Même, chez les gens comme [lui], il semble que les uns, au lieu de faire naître l'autre, l'en dédouanent aussitôt, comme si d'une seule pensée repentante on pouvait s'absoudre de tous les maux.

Et tout ce que je peux vous dire , elle a repris, c'est que ce qui nous étouffe quelquefois, ce n'est pas la panique de l'instant, plutôt la vue qu'on a soudain de son propre futur.

...où on attendait l'imminente arrivée du Ministre. Beaucoup encore étaient venus pour saluer celui qu'ils considéraient comme une relation personnelle, ainsi qu'il advient quand un maire monte en grade, et qu'alors chaque habitant de la ville se sent avoir un peu l'oreille du pouvoir. Depuis sa nomination, on n'avait jamais entendu autant de "ah, mais je le connais très bien" ou de "j'étais à l'école avec lui", rangeant chacun au fond de sa poche la couleur de ses idées pour venir quémander une poignée de main, qui lui semblait être le minimum d'égards auquel il pouvait prétendre, redoutant déjà que le prestigieux ministre ne lui accorde publiquement son dû...