Ceci est un scoop : j'aime les livres. Je les aime tellement que j'évite le plus souvent leur adaptation
cinématographique (d'autant plus que le bouquin n'aurait eu l'heur de me séduire). Et, ce, pour certaines raisons (hors absence de masochisme):
- l'amputation filmique m'est douloureuse. On regarde des personnages-moignons (sans carbone) dont les ramifications complexes ont subi une taille éhontée, quand l'action, elle-même, n'a pas été lavée à 90° pour des raisons de toile de temps (j'admets, le jeu de mots est totalement foireux).
- Je tiens à ma liberté inaliénable de lectrice qui projette ses images personnelles sur les mots qu'un écrivain lui a offerts. Laquelle lectrice préfère lesdits cadeaux à lady ou mister Machin, fussent-ils pourvus de talent et de charme.
- Je me refuse à donner quelques euros à un professionnel du
cinéma incapable de promouvoir une idée originale (a fortiori lorsque le livre n'est pas remarquable. Il est bon de le répéter)
J'aime les films aussi. Enfin, pas tous. Loin de là. Pas les adaptations littéraires par exemple. Ceci est une règle qui comporte donc quelques rares exceptions (comme les mots en "ou" qui prennent un "s" au pluriel sauf…)
Et je souffre d'un TOC qui me pousse à acquérir systématiquement tout ouvrage des Editions de Minuit qui traîne chez mon bouquiniste. Il ne s'agit pas d'un TOC dangereux. Il y a moins d'auteurs Minuit que de Musso-Lévy dans les fonds de caisse. Excepté
l'Amant de
Duras qui a décroché la palme du cadeau de fin d'année le plus offert après avoir décroché le prix Goncourt. Les stocks circulent encore.
Bref, j'ai ramené
Cinéma.
Mal m'en a pris!
J'ai avalé cent vingt quatre pages serrées d'un livre qui n'a fait que causer d'un film! En plus, pas n'importe quel film. Non, un vrai chef d'oeuvre du
cinéma vu à une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Un film que je n'ai jamais oublié. Une oeuvre maîtresse.
Si les écrivains commencent à
écrire pour parler d'un seul film, il est temps de lancer un boycott afin de sauvegarder le roman.
On peut m'objecter que certains auteurs écrivent pour ne rien dire, même très délicatement, et que cette délicatesse inspire l'industrie
cinématographique. Soit. Mais on peut alors tout admettre. Rejeter l'exigence, porter la médiocrité au pinacle, virer
Voltaire et encenser Coelho (clin d'oeil à une Laurence de Babelio).
Bien sûr,
Tanguy Viel ne se borne pas à raconter le film.
On peut faire valoir qu'il glisse de la trame (grandiose) du film de Mankiewicz pour faire place à son narrateur mono-maniaque qui entretient une relation particulière au film. Ce qui constitue le coeur du livre dans les digressions en marge de la narration de Sleuth (Le limier en français).
Mais tout ceci est bien court, hors l'hommage que l'écrivain rend au réalisateur.
Le narrateur n'en finit plus de visionner le film sur son magnétoscope au point de définir sa vie, ses pensées, ses amis en fonction de ce qu'il imagine comprendre ou ne pas comprendre de ce jeu de pouvoir physique, psychique et social. Tout individu ne trouvant pas le film formidable est exclu. Toute personne qui oserait rire à tel moment ne sera pas rachetée. Etc.
Notre narrateur est un fondu, cinéphile d'un unique film, pas même esthète.
Habituellement, je prends grand plaisir à tout délire de doux dingue, mais ici la monomanie manque de saveur.