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Quand on dit "c'est un fondu de cinéma", on n'a pas tort : le narrateur de Cinéma est bien un fondu de cinéma. A ceci près qu'il est totalement fondu - il est même fêlé, zinzin, marteau, dingue- et que son cinéma se résume à UN film. Un film fétiche, qu'il a vu et revu, pris en script, dont il a annoté chaque plan sur un cahier, qu'il a disséqué, repassé au filtre de ses émotions successives, et qui lui sert de test dans sa vie relationnelle. Il classe ses amis en deux catégories : ceux qui aiment le film et ceux qui ne le « trouvent pas formidable ». Les seconds sont rayés de la carte et disparaissent de son horizon. Les premiers ont un accessit : encore faut-il qu'ils ne dérogent pas à l'explication circonstanciée que leur en donne, pendant le film, le narrateur, et qu'ils n'aillent pas bâiller ou prendre un verre d'eau à la cuisine pendant la sacro-sainte projection du film culte, du film déifié, du film unique. J'oubliais le plus important : il s'agit du Limier, de Mankiewicz, avec Laurence Olivier (Sir !) et Michaël Caine. Ou plutôt de Sleuth, son titre anglais, son nom quasi personnel. Car Sleuth est une personne, dont le narrateur est véritablement obsédé. Monomaniaque. On n'ignore rien du film – génial, effectivement- que le récit évoque et commente plan par plan, mais au commentaire se mêle le métatexte, d'où surgit le portrait d'un cinéphile fou, littéralement possédé. Toutefois, le récit du film- une machination diabolique où le faux finit par devenir vrai- et le portrait d'un grand malade du cinéma ne seraient rien sans la langue, toujours aussi extraordinaire, de Tanguy Viel, avec ses incises diaboliques, ses verbes sans sujet ou avec postposition systématique du sujet, -comme si le verbe primait sur tout, dans une espèce de frénésie, d'énergie vitale, jaillissante et menacée d'extinction à la fois. Pas d'émotion, pourtant, pas de compassion, ni d'empathie pour le sujet parlant comme dans Article 353 du Code Pénal où on avait envie de prendre le vieux Kermeur dans ses bras en lui tapotant le dos et lui disant « c'est pas grave, tu as tué un salaud, tu as eu raison, on t'aime ! »– ici, à moins d'être psy, et malgré la justesse des analyses, on a plutôt envie de fuir ce psychopathe à la logorrhée maniaque et sourcilleuse. La langue a pour effet, cette fois, de déclencher une incommensurable envie de rire : je ne me suis pas retenue d'ailleurs et ai ri à gorge déployée devant tant de dinguerie associée à tant de discernement cinéphilique ! Une nouvelle bonne surprise que ce deuxième livre - pour moi- de Tanguy Viel, recommandé par deux amis babéliotes pleins de discernement qui se reconnaîtront et que je salue au passage ! Je crois que je vais retourner faire un tour du côté de ses autres livres..Décidément j'aime beaucoup les « écuries » des éditions de Minuit ! Elle abrite de beaux pur-sang ! + Lire la suite |