AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,31

sur 36 notes
5
4 avis
4
5 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin !, essai de près de 120 pages publié aux éditions iXe, Eliane Viennot nous raconte les différentes étapes de la masculinisation de la langue française depuis le XVIIe siècle, avec ce but d'entretenir les rapports de forces entre les hommes et les femmes.

La première partie de cet essai est très historique et revient sur l'histoire de France, sur les rois successifs et le rôle des reines, des filles ou des mères de rois. Jusqu'à la fin du XVIe siècle, on s'interrogeait uniquement sur la place des femmes dans les questions politiques : il est alors question de la transmission du trône, la loi salique, etc. On évoque ensuite le monopole du clergé dans les lieux de savoir, dans les universités réservées aux hommes chrétiens, mais aussi le rôle de celui-ci dans ce que l'on appelle « la vitupération des femmes » avec la production de textes misogynes. On revient également les changements induits par l'invention de l'imprimerie, la « querelle des femmes »…
Mais l'apparition d'autrices célèbres, qui obtiennent un grand succès par leurs ouvrages, à l'instar de Marguerite de Navarre qui encouragea les femmes à suivre son exemple et à publier leurs écrits, changea la donne. La lutte contre l'égalité des sexes devint également linguistique.

Dans la suite de son livre, Eliane Viennot s'attache à présenter les anciens usages de la langue et à expliquer les évolutions, les combats liés à différentes catégories grammaticales de mots. Sont ainsi successivement évoqués les noms de métiers et des fonctions, les accords, les pronoms et les noms d'êtres inanimés. Un chapitre est également réservé aux messages subliminaux dissimulés dans certains discours ou choix d'exemples qui permettent d'asseoir la supériorité des hommes sur les femmes.

C'était vraiment une lecture très intéressante. Outre le fait que les transformations de la langue ont souvent été fait en dépit du bon sens, j'ai été surprise de la résistance à laquelle s'est heurtée cette masculinisation de la langue, résistance qui puise ses forces dans les usages de parole des Français-es. Quand on a toujours appliqué la règle de proximité, quand les noms de métiers ou de fonction ont toujours eu un masculin et un féminin en fonction du sexe de la personne, difficile de changer ses habitudes et de tout mettre au masculin en défiant toute logique. Ce fut donc une bataille de longue haleine qui s'est déroulée sur plusieurs siècles et c'est finalement l'école républicaine qui a permis l'acceptation de ces nouvelles règles.
Ensuite, cet ouvrage apporte des solutions pour re-féminiser la langue française. On s'interroge, on se demande comment faire pour les noms de métiers ou de fonctions par exemple. Mais il suffit de regarder en arrière, de retrouver les usages que l'on avait encore il n'y a pas si longtemps parfois : on peut les adapter à notre temps, mais l'histoire de la langue fournit des pistes.

Eliane Viennot est très claire et ne perd jamais son lecteur. Pourtant, même si j'aime lire, parler de livres, je n'ai jamais été une passionnée des cours de français, des catégories grammaticales et de ce genre de choses. Mais c'est ici très bien écrit, avec une pointe d'humour de temps en temps. Dans chaque catégorie, les exemples sont nombreux, ce qui est toujours plus agréable (c'était d'ailleurs une de mes attentes). Nous trouvons également plusieurs citations d'hommes de lettres et de linguistes, souvent révoltantes tant elles rabaissent les femmes.

Comme beaucoup de monde – comme quasiment tout le monde –, j'utilise ces règles parce qu'on les a bien ancrées dans ma cervelle. Je tente de féminiser autant que je peux les noms de métiers, j'utilise des systèmes du genre étudiant-es (mais je suis sûre que je dois oublier de le faire parfois). Mais il faut que nous pensions toustes (pour reprendre le néologisme belge utilisé par Eliane Viennot à la fin de Non, le féminin ne l'emporte pas sur le masculin) que les règles apprises à l'école ne sont pas logiques et qu'elles contribuent à rendre invisible la moitié de la population. Chacun à notre manière, nous pouvons contribuer à changer cela.

On nous enseigne le français, mais non son histoire. C'est là une erreur que corrige cet ouvrage passionnant qui pousse à la réflexion et qui nous donne envie – et les moyens – de lutter contre cette masculinisation systématique de la langue.
Lien : https://oursebibliophile.wor..
Commenter  J’apprécie          60
Extrait de ma note de lecture : Depuis quelques dizaines d'années, mais avec une audience, me semble-t-il décuplée par #metoo, l'écriture inclusive tente de s'imposer, de même que la féminisation des noms de métiers... Assez conservatrice, du fait sans doute de mon métier de vestale (désabusée, la vestale), et intimidée depuis toujours par des règles d'usage et de prononciation que l'institution scolaire n'a pas eu le temps de m'inculquer en totalité, je suis plutôt à l'affût de mes éventuels manquements.

Ce conservatisme, ce purisme finalement, viennent de l'idée qu'"avant résidait le bon français, s'en écarter engendre les fautes". J'aurais dû me méfier un peu plus, vu que je n'ignorais pas, depuis mes études supérieures, que le français avait subi des réformes, notamment au XIVème et au XVIIème siècle, et je ne parle même pas des Grands Rhétoriqueurs car leur fonction a été plus "créative" que proscriptrice. Éliane Viennot est une historienne de la langue française et constate que dénier par purisme la légitimité d'une féminisation de cette langue, ne tient pas : plusieurs des réformes en question furent faites pour la masculiniser : cela prouve bien qu'elle faisait plus de place au féminin que les réformateurs ne le souhaitaient.

Je connaissais beaucoup des exemples (cette oeuvre en regorge) donnés de ces faits de langue féminins combattus et perdus et d'une syntaxe qui a persisté à faire des accords de proximité (comme en latin) très longtemps. Ce livre a ceci de plus qu'il circonstancie les attaques dans l'histoire du pays, celle des régnant.es et celle des élites intellectuelles et, ce que je trouve stupéfiant, c'est qu'en dehors de la régence d'Anne d'Autriche (à cause de la nécessité de justifier la monarchie absolue via la Fronde), j'ignore tout de ces moments où des reines se sont retrouvées à la tête de royaumes et de ce qui sont actuellement des régions. Cela engendra la promotion intellectuelle et artistique de femmes, tellement puissante qu'elle a aussi entraîné des mouvements de réaction masculiniste dans la clergie. Outre des ostracismes actifs, ôter du langage les réalités qu'on ne veut pas voir ni penser, le masculinisme des siècles passés avait déjà sa LQR. Cette masculinisation a touché la syntaxe, donc mais aussi le lexique ; celui qui faisait le plus peur à la clergie : aucun clerc n'avait peur de la concurrence d'une boulangère, en revanche, une philosophesse, une écrivaine ou une autrice (mots attestés dans la langue française dans les siècles passés), c'était inadmissible, ridicule, inconcevable donc interdit de l'écrire et de le dire, comme une impropriété.

Je pensais que ces usages avaient immédiatement été suivis au moins par les clercs et je découvre qu'en réalité, c'est l'école obligatoire de 1830 puis de la fin du XIXème pour les filles, qui a verrouillé cette masculinisation de la langue française, qui peinait à véritablement s'imposer à tous. C'est donc un usage bien plus récent que cela...

Donc si l'argument d'aller vers d'une langue éthique, inclusive, plus juste n'intéresse pas nos conservateurs, écouteront-ils l'argument du retour à un français ancien bien plus inclusif qu'il ne l'est aujourd'hui ?
Note de lecture intégrale sur mon blog :
Lien : http://aufildesimages.canalb..
Commenter  J’apprécie          10
Voilà un ouvrage qui fait du bien en remettant les pendules à l'heure sur cette domination du masculin dans notre société jusque dans notre langue. Il est en effet très intéressant de lire que cette règle soi-disant grammaticale du masculin qui l'emporte sur le féminin n'est qu' une des nombreuses manifestations de ce long travail de sape entrepris à partir de la Renaissance par des intellectuels mâles pour reléguer les femmes à un rôle de subalternes, de mineures juridiques et sociales. Merci à Eliane Viennot pour tous ses ouvrages qui remettent en lumière des femmes célèbres en leur temps et renvoyées aux oubliettes par le mouvement masculiniste.
Commenter  J’apprécie          10
Le titre est assez éloquent : cet essai parle d'un bout de l'histoire de la langue française, ces deux/trois siècles où certains intellectuels ont décidé de changer le français pour que notre langue reflète leur propre idéologie.
En effet, ce qu'on ne sait pas assez aujourd'hui, c'est que la règle « le masculin l'emporte sur le féminin » n'a pas toujours existé car on appliquait alors la règle de proximité (par exemple : « les belles bagues et colliers » mais « les beaux colliers et bagues »), que les tous les métiers avaient leur pendant féminin (autrice, peintresse…), que les participes présent s'accordaient en genre et en nombre (« étante présente, Emilie participe à la réunion »).
Mais que certains messieurs ont voulu changer tout ça à partir du 17ème siècle ! Et ça a fait l'objet de plusieurs polémiques – un peu comme l'écriture inclusive aujourd'hui.
Eliane Viennot fait plus que nous en parler : elle nous partage des extraits de textes de l'époque, que ce soit les mots des pro réforme ou ceux des personnes qui étaient contre, par féminisme ou plus souvent parce que ces changements n'étaient pas plaisants à l'oreille (c'est d'ailleurs amusant que cet argument ressorte aujourd'hui pour critiquer l'inverse !).

C'est un essai de 120 pages, court mais efficace. A la fois chronologiquement et thématiquement, on comprend comment la langue française a vraiment été masculinisée par force. Certes, le français ne connaît que deux genres, mais avant ce changement il n'était pas une langue sexiste. Les réformateurs ont fait plus que le masculiniser, ils l'ont même complexifié (en créant des règles illogiques, des exceptions…) et donc ainsi réservé le français correct à une élite.
Ce changement a pu se faire grâce aux institutions et à l'instruction. On a enseigné des règles qui n'étaient pas naturelles, comme si le français parlé avait été un dialecte et que petit à petit il avait disparu au profit du nouveau français masculinisé.
Et voilà que cette langue sexiste nous est devenue naturelle et que l'on n'envisage que difficilement de la féminiser, car « ça a toujours été comme ça ». Cet essai prouve que non, que le français n'a pas toujours été sexiste et qu'il est possible de le démasculiniser en revenant tout simplement à d'anciennes règles de grammaire et de lexique.

Désolée pour les réac' : la lecture de cet essai m'a encore plus indignée que je ne l'étais et m'a encore plus convaincue, si j'en avais besoin, de la nécessité d'écrire et de parler le plus possible un français féministe, car c'est possible.
Je parlerai donc de mes auteurs et autrices préférées, je m'adresserai parfois à vous au féminin car vous êtes une majorité de femmes à me lire et peut-être même que j'accorderai l'auxiliaire avoir en genre et en nombre même si le COD est placé après le verbe. Ça fera bizarre, on aura l'impression que je fais des fautes… mais c'est ma manière à moi de m'insurger contre les règles sexistes que la société nous inculque.

(et je viens de rédiger un post sur le forum... en accordant les participes présent ! C'est très étrange mais après tout, encore une fois, il n'y a pas de raison)
Commenter  J’apprécie          10


Lecteurs (140) Voir plus




{* *}