Citations sur Cette brume insensée (14)
Il divisait l'humanité entre ceux qui exigeaient beaucoup d'eux-mêmes et croyaient à l'effort, et ceux qui se contentaient d'être toujours à tout moment ce qu'ils étaient déjà.
"Que ne tairais-je pas ? L'angoisse de la mort, l'angoisse que nous mourons absolument seuls et que le reste du monde continue à vivre allégrement sans nous. N'est-ce pas ce dont parle, en fait, la meilleure littérature que nous ayans connue ? La grande prose ne tente-t-elle pas d'aggraver la sensation d'enfermement, de solitude et de mort et cette impression que la vie est comme une phrase incomplète qui à la longue n'est pas à la hauteur ?".
Je n'ignorais pas que cette sensation que ce que nous écrivons ne nous appartient pas a toujours existé depuis la naissance de l'écriture. p165
"Je me souviens que le comte de Lautréamont avait écrit que les vagues avaient été leur unique témoin. Les citations m'aidaient très souvent à me tirer d'affaire. C'était mon unique bien."
Nous n’avions même pas commencé le voyage, lui dis-je, parce que le monde restait encore à faire et le plus probable était que nous ne sortirions jamais de la route de l’enfer.
Ce qui dut jouer un rôle quand Rainer rompit définitivement avec Père en allant vivre le plus loin possible de la Catalogne, influencé, m’a-t-il toujours plu de penser, par cette phrase de Raymond Chandler qui clôt Adieu, ma jolie et pour laquelle j’avais passé une après-midi à lui demander de remarquer comme elle était bizarre. Il l’avait reconnue aussitôt comme une phrase d’une extrême beauté à tel point que, des années plus tard, il l’avait incluse comme conclusion de A New Future Is Good Business : “Il faisait beau et clair. On y voyait très loin, mais pas jusqu’où Velma était partie.”
Tout semblait être la révélation que j’attendais. Ce n’était pas une grande épiphanie mais je me souvins que je n’avais pas intérêt à être trop vaniteux et qu’en outre, me ridiculiser (uniquement devant moi-même) avait la vertu de me détendre.
Le monde, tel que nous l’imaginons, n’est pas plus gros qu’une noix.”
Quelle bonne phrase ! pensai-je, pour atténuer l’adrénaline de la tragédie. Mais celle-ci n’accorda aucune importance à ma résistance et commença à me rappeler que, même s’il ne s’agissait pas de quelque chose de très connu, à tout moment une goutte brillante au milieu de l’azur sempiternel pourrait ne pas geler un jour et glisser dans les ténèbres du jamais plus et tomber le long d’une falaise éternelle, non comme une boule de neige ou un nuage mort, non comme une vieille bâtisse en ruine et perdue dans une langue de terre pénétrant dans la mer tout en haut de la Costa Brava mais comme une simple noix vide : voilà de quoi il s’agissait, d’une simple coquille de noix creuse.
Je me souviens assez bien, presque à la perfection de ma collaboration à l’amusant Chaque âge est un casier : trente-cinq citations littéraires, outre quelques instructions codées que je lui envoyai sur la façon d’organiser l’incursion de l’intertextualité dans la structure de son roman : des instructions qu’il n’avait pas sollicitées, mais que je lui avais remises dans un langage quasiment codé, me trompant en pensant qu’il ne saurait pas le voir et encore moins l’interpréter.
À
À l’exception de quelques journalistes – n’arrêtant jamais d’importuner amis et proches, croyant que nous détenions des informations leur permettant de le localiser à New York –, sa première étape d’écrivain, disons la très poussiéreuse étape barcelonaise, s’effaça peu à peu. Il laissa une ribambelle de personnes insultées et d’ennemis en tout genre dans sa ville natale, mais son œuvre initiale – un fatras dont, en Amérique, il s’opposa à la réédition pour qu’elle ne lui porte pas trop préjudice – disparut de la circulation.