La caissière est une blonde fatiguée. elle a les yeux trop maquillés, les traits tirés et des strass sur les ongles. [...] Joseph se demande si les étoiles sur ses ongles sont tombées de ses yeux.
Ça fait du bien de changer de rythme. De lâcher la montre. Bénis soient les jours fériés et les semaines de vacances. Bénis soient les lambeaux arrachés avec les dents à la hyène du temps.
À part la Lune et son trou pâle il n’y a pas grand-chose à voir. Au fond d’une ville, dans la cuvette artificielle de ses gaz et de ses ampoules, les étoiles ne sont qu’un lointain souvenir. Ou une fausse promesse.
Il pleut. La pluie, c’est confortable. Lorsqu’on est à l’abri, bien sûr. C’est comme une couverture. Entre soi et le monde. Entre soi et la lumière.
Repousser ce moment où l’instant capitule. Pousser des pieds la nuit. S’étirer tranquillement et prendre de la place. Se donner de la place. Là. Ici et maintenant. Entre chien et loup. Au mitan de la défaite des rêves. Quel droit de pli on prend à attendre de vivre. Quelle drôle de manière de courir ainsi après la fatigue et de laisser demain prendre la place d’aujourd’hui. La peau du temps est comme la membrane élastique d’une bulle de savon. Elle ne s’éprouve vraiment qu’au moment où elle explose. Restent les reflets et la lumière emprisonnée à l’intérieur.
Le matin, quand chacun court et que le monde reprend sa ronde, ce qui est bien, c'est de se lever, de manger, et de se recoucher. Voilà le pouvoir absolu, se dit Joseph en se glissant entre le matelas et la couette.
Puisque nous ne sommes pratiquement que de l’eau, il semble cohérent d’affirmer que chaque être humain porte en lui une dose considérable de buée. Vivre consisterait ainsi à s’évaporer. L’âme serait un reflet sculpté dans le miroir. Les nuages, accumulations condensées de tristesse.
- On m'appelle Robin, dit le bonhomme.
- Moi, on m'appelle pas mais je m'appelle Joseph, répond Joseph. Robin comme le voleur des bois ?
- Non, c'est pour faire court, mon prénom, c'est Robinson.
- Chouette, encore un naufrage, sourit Joseph.
Impossible de répondre : En gros, on est des étincelles perdues, de la poussière d'étoile et de boue, l'espace entre le rien et le rien, éperdus et patraques, des dieux sans mode d'emploi, moins que des bêtes, un rire perdu dans la grande soupe cosmique, une allumette qui ne sait pas quand elle s'éteint.
L'âme serait un reflet sculpté dans le miroir. Les nuages, accumulations condensées de tristesse.