Après avoir découvert récemment, avec un immense plaisir, les Idylles de Théocrite, j'ai voulu poursuivre avec une oeuvre peut-être un peu plus célèbre, qui s'en est inspiré, les
Bucoliques de
Virgile.
Virgile vécut en des temps troublés, au premier siècle avant notre ère. Époque de persistantes et violentes guerres civiles, en particulier après l'assassinat de Jules César en -44. Et c'est à ce moment de tensions extrêmes, qu'en 42
Virgile écrit les premiers poèmes du cycle, qui en comprend dix. Des histoires de bergers, de troupeaux, d'amour, de disputes, mais aussi de poésie, qui paraissent en décalage total avec la réalité des temps violents pendant lesquels ces textes ont été écrits.
Peut-être pas complètement en décalage quand même : la Première et la Neuvième
Bucoliques évoquent la situation critique des personnes expropriées du jour au lendemain, pour que leurs terres soient données aux vétérans des armées vainqueurs. Mélibée, parmi d'autres, doit partir avec son troupeau de chèvres, en train de dépérir en chemin, alors que Tityre, grâce à une rencontre faite à Rome, peut garder son bien et continuer à mener une vie heureuse. Aucun d'une certaine manière ne mérite son sort, qui au final est le fruit d'un hasard, heureux pour l'un, malheureux pour l'autre.
Dans la Neuvième Bucolique, deux hommes marchent, l'un doit amener des bêtes à leur nouveau maître. Ils espèrent l'arrivée d'un certain Ménalque, poète de son état, qui malgré des bruits qui ont couru, et son immense talent, n'a pas été épargné, et a même peut-être été tué. Pour se réconforter, et pour conjurer leurs angoisses, ils récitent de la poésie, celle de Ménalque et la leur.
Dans le quatrième poème, assez mystérieux, et qui a fait couler beaucoup d'encre, est évoquée la naissance d'un enfant miraculeux, qui pourrait faire revenir l'humanité à l'âge d'or.
Virgile raconte en passant, l'histoire de l'humanité, telle que se l'imaginait les Romains de l'époque, une histoire sous forme de mythes.
D'autres
Bucoliques parlent d'amour, un amour en général à sens unique. Ainsi un berger laid, Corydon,est épris d'un bel éphèbe, Alexis, qui dédaigne son amour. Corydon passe par tous les états que peut provoquer une passion non partagée, avant, avec un second degré assumé, décider de passer à autre chose.
Virgile résume en une centaine de vers, tous les ressentis et états d'âme d'un amoureux dédaigné.
Dans la Huitième Bucolique, une femme abandonnée par son mari, Alphésibée, tente de le faire revenir par la magie de ses vers, car elle est poète. Et soit la poésie possède vraiment des pouvoirs, ou simple hasard, le volage revient à la maison.
Comme ce bref aperçu le laisse entrapercevoir, ces poèmes sont assez variés dans leurs thématiques, même si la nature, l'amour, et la poésie elle-même (en particulier par les joutes poétiques que pratiquent certains de nos bergers) figurent parmi les thèmes les plus fréquents.
On peut lire l'oeuvre dans son ensemble comme une profession de foi dans la poésie, dans la littérature et l'art en général. le grand talent de Ménalque ne lui permet pas d'échapper à la confiscation de ses biens, ni peut-être à la mort. Mais les deux acolytes qui l'attendent, n'en continuent pas moins à réciter ses vers, même si leurs mémoires se dérobent, deviennent défaillantes. Comme si c'était la seule chose à faire dans la catastrophe, dans ce qu'ils vivent comme la fin du monde, de leur monde tout au moins. Et la seule chose qu'un poète peut faire dans une situation pour ainsi dire désespérée, n'est pas d'essayer d'influer sur les événements, car il n'a pas ce pouvoir. Il serait illusoire de le penser. La seule chose qu'il peut faire, c'est continuer à créer, faire vivre le souvenir, permettre à quelque chose de disparu de persister, faire venir quelque chose qui n'existe pas, et sans doute n'existera jamais. Ne pas essayer de façonner la réalité mais en récréer une dans l'espace poétique. La littérature vaut par elle-même et non pas par une action sur le monde, qui est un mirage.
Mais l'espace imaginaire de l'art est bien plus consistant que ce que créent les hommes de pouvoir : les hommes forts de l'époque de
Virgile sont morts, l'Empire romain s'est effondré, et on continue à lire le poète.
Je dois finir ce commentaire par un aveu. Je peux essayer de mettre du sens sur cette poésie, tâcher d'en comprendre quelque chose ( ou de me donner cette illusion), en revanche elle ne m'emporte pas, me reste désespéramment étrangère. Autant les rimes, la musique, les mots de Théocrite, dans la belle traduction de Pierre Versperini, m'ont immédiatement captivée, autant je ne ressent rien devant les mots et la musique de
Virgile. D'où la tentative d'essayer de comprendre. Mais lire de la poésie sans une adhésion intuitive est frustrant pour moi ; il me manque quelque chose, peut-être même l'essentiel.
Je ne sais pas si vais réussir un jour à aimer
Virgile….