AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur L'ordre du jour (342)

Les acclamations sont si unanimes, si puissantes, si jaillissantes, qu'on peut se demander si ce n'est pas toujours la même foule qu'on entend dans les actualités de cette époque, la même bande-son. Car ce sont des films que l'on regarde, ce sont des films d'information ou de propagande qui nous présentent cette histoire, ce sont eux qui ont fabriqué notre connaissance intime et tout ce que nous pensons est soumis à ce fond de toile homogène.
Nous ne pourrons jamais savoir. On ne sait plus qui parle. Les films de ce temps sont devenus nos souvenirs par un sortilège effarant. La guerre mondiale et son préambule sont emportés dans ce film infini où l'on ne distingue plus le vrai du faux. Et puisque le Reich à recrute plus de cinéastes, de monteurs, de caméramen, de preneurs de son, de machinistes que tout autre protagoniste de ce drame, on peut dire que jusqu'à l'entrée en guerre des Russes et des Américains, les images que nous avons de la guerre sont pour l'éternité mises en scènes par Joseph Goebbels. L'histoire se déroule sous nos yeux, comme un film de Joseph Goebbels. C'est extraordinaire. Les actualités allemandes deviennent le modèle de la fiction.
Commenter  J’apprécie          20
Les manœuvres les plus brutales nous laissent sans voix. On ose rien dire. Un être trop poli, trop timide, tout au fond de nous, répond à notre place ; il dit le contraire de ce qu'il faudrait dire.
Commenter  J’apprécie          20
On en était donc aux visites de courtoisie. Pourtant, à peine une douzaine de jours avant que Lord Halifax viennent parler de paix avec les Allemands, Hitler avait confié aux chef de ses armées comment il projetait d'occuper par la force une partie de l'Europe. On envahirait d'abord l'Autriche et la Tchécoslovaquie.
Commenter  J’apprécie          20
Là, depuis le balcon du palais de Sissi, d'une voix terriblement étrange, lyrique, inquiétante, terminant son discours en un cri rauque et déplaisant, Hitler. Il vocifère un allemand très proche de la langue inventée plus tard par Chaplin, faite d'imprécations, et où l'on ne distingue que quelques mots épars, "guerre", "Juifs", "monde". Ici, la foule hurle, elle est innombrable. Le Führer vient de déclarer l'Anschluss depuis le balcon. Les acclamations sont si unanimes, si puissantes, si jaillissantes, qu'on peut se demander si ce n'est pas toujours la même foule qu'on entend dans les actualités de cette époque, la même bande-son. Car ce sont des films qu'on regarde, ce sont des films d'information ou de propagande qui nous présentent cette histoire, ce sont eux qui ont fabriqué notre connaissance intime ; et tout ce que nous pensons est soumis à ce fond de toile homogène.
Commenter  J’apprécie          20
Sur un arrivage de six cent déportés, en 1943, aux usines Krupp, il n'en restait un an plus tard que vingt. L'un des derniers actes officiels de Gustav, avant qu'il ne cède les rennes à son fils, fut la création du Berthawerk, une usine concentrationnaire au nom de sa femme, ce devait être une sorte d'hommage.
Commenter  J’apprécie          20
La littérature permet tout, dit-on. Je pourrais donc les faire tourner à l’infini dans l’escalier de Penrose, jamais ils ne pourraient plus descendre ni monter, ils feraient toujours en même temps l’un et l’autre. Et en réalité, c’est un peu l’effet que nous font les livres. Le temps des mots, compact ou liquide, impénétrable ou touffu, dense, étiré, granuleux, pétrifie les mouvements, méduse. Nos personnages sont dans le palais pour toujours, comme dans un château ensorcelé. Les voici foudroyés dès l’entrée, lapidifiés, transis. Les portes sont en même temps ouvertes et fermées, les impostes usées, arrachées, détruites ou repeintes. La cage d’escalier brille, mais elle est vide, le lustre scintille, mais il est mort. Nous sommes à la fois partout dans le temps.
Commenter  J’apprécie          20
Mais, comme on le voit, rien ici n'a la densité du cauchemar, ni la splendeur de l'effroi. Seulement l'aspect poisseux des combinaisons et de l'imposture.
Commenter  J’apprécie          20
Dans ce grand bric-à-brac de misère, où se préparent déjà les pires évènements, un respect mystérieux pour le mensonge domine.
Commenter  J’apprécie          20
A cet instant, le commentateur inspiré, nasille que les quatre chefs d'Etat, Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler, animés d'une même volonté de paix posent pour la postérité. L'Histoire rend ces commentaires à leur dérisoire nullité et jette sur toutes les actualités à venir un discrédit navrant. Il paraît qu'à Munich serait né un immense espoir. Ceux qui disent cela ignorent le sens des mots. Ils parlent la langue du paradis où, dit-on, tous les mots se valent. Un peu plus tard, Edouard Daladier, à Radio Paris, seize cente quarante-huit mètres sur grandes ondes, après quelques notes de musique, raconte. Il a la certitude d'avoir sauvé la paix en Europe, c'est ce qu'il nous dit. Il n'en croit rien. "Ah, les cons, s'ils savaient !" aurait-il murmuré à sa descente d'avion face à la foule qui l'acclame. Dans ce grand bric-à-brac de misère, où se préparent déjà les pires événements, un respect mystérieux pour le mensonge domine. Les manoeuvres terrassent les faits ; et les déclarations de nos chefs d'Etat vont être bientôt emportées comme un toit de tôle par un orage de printemps.
Commenter  J’apprécie          20
Un penchant obscur nous a livrés à l’ennemi, passifs et remplis de crainte. Depuis, nos livres d’Histoire ressassent l’événement effrayant, où la fulgurance et la raison auraient été d’accord. Ainsi, une fois que le haut clergé de l’industrie et de la banque eut été converti, puis les opposants réduits au silence, les seuls adversaires sérieux du régime furent les puissances étrangères. Le ton monta à mesure avec la France et l’Angleterre, en un mélange de coups de force et de bonnes paroles. Et c’est ainsi qu’en novembre 1937, entre deux mouvements d’humeur, après quelques protestations de pure forme à propos de l’annexion de la Sarre, de la remilitarisation de la Rhénanie ou du bombardement de Guernica par la légion Condor, Halifax, lord président du Conseil, se rendit en Allemagne, à titre personnel, à l’invitation d’Hermann Goering, ministre de l’Air, commandant en chef de la Luftwaffe, ministre du Reich à la forêt et à la chasse, président du défunt Reichstag – le créateur de la Gestapo. Voilà qui fait beaucoup, et pourtant Halifax ne tique pas, il ne lui semble pas bizarre, ce type lyrique et truculent, antisémite notoire, bardé de décorations. Et on ne peut pas dire qu’Halifax a été entourloupé par quelqu’un qui cachait son jeu, qu’il n’a pas remarqué les tenues de dandy, les titres à n’en plus finir, la rhétorique délirante, ténébreuse, la silhouette entripaillée ; non. À cette époque, on était très loin de la réunion du 20 février, les nazis avaient abandonné toute retenue.
Commenter  J’apprécie          20






    Lecteurs (5562) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Kiffez Eric Vuillard !

    La première fois que j'ai rencontré Eric, il m'a dit d'un ton péremptoire, la question n'est pas ...?...

    Une sinécure
    Sujet à débat
    à L'ordre du jour
    Digne d'intérêt

    10 questions
    27 lecteurs ont répondu
    Thème : Éric VuillardCréer un quiz sur ce livre

    {* *}