Un mot suffit parfois à congeler une phrase, à nous plonger dans je ne sais quelle rêverie ; le temps, lui, n’y est pas sensible. Il continue son pèlerinage, imperturbable au milieu du chaos.
La corruption est un poste incompressible du budget des grandes entreprises, cela porte plusieurs noms, lobbying, étrennes, financement des partis.
C’est curieux comme jusqu’au bout les tyrans les plus convaincus respectent vaguement les formes, comme s’ils voulaient donner l’impression de ne pas brutaliser les procédures, tandis qu’ils roulent ouvertement par-dessus tous les usages. On dirait que la puissance ne leur suffit pas, et qu’ils prennent un plaisir supplémentaire à forcer leurs ennemis d’accomplir, une dernière fois, en leur faveur, les rituels du pouvoir qu’ils sont en train d’abattre
Hitler...vocifère un allemand très proche de la langue inventée plus tard par Chaplin, faite d'imprécations, et où l'on distingue que quelques mots épars, "guerre", "Juifs", "monde".
Comme Kessel, envoyé spécial de France-Soir au tribunal de Nuremberg, le raconte, en entendant ce mot "merveilleux !", Goering se mit à rire. Au souvenir de cette exclamation surjouée, sentant peut-être combien cette réplique de théâtre était aux antipodes de la grande Histoire, de sa décence, de l'idée que l'on se fait des grands événements, Goering regarda Ribbentrop et se mit à rire. Et Ribbentrop, à son tour, fut secoué d'un rire nerveux. Face au tribunal international, devant es juges, devant les journalistes du monde entier, ils ne purent se retenir de rire, au milieu des ruines.
L'Histoire est un spectacle
On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d'effroi. (p.150)
Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais à l'exigence de justice, s'il ne plie jamais devant le peuple qui s'insurge, plie devant le bluff. (p.118)
La plupart passèrent leur matinée à bûcher, plongés dans ce grand mensonge décent du travail, avec ses petits gestes où se concentre une vérité muette, convenable, et où toute l'épopée de notre existence se résume en une pantomime diligente. (pp.9-10)
...ainsi, pendant qu'Albert Lebrun rêvasse à n'en plus finir sous l'immense égoïsme de son abat-jour, à Vienne, le chancelier Schuschnigg reçoit un ultimatum d'Adolf Hitler. Soit il retire son projet de plébiscite, soit l'Allemagne envahit l'Autriche. Toute discussion est exclue. Terminé le songe de la vertu, il faut maintenant essuyer son maquillage et ôter son costume. Quatre heures interminables passent. A quatorze heures, ayant foutu en l'air son déjeuner, Schnuschnigg annule enfin le plébiscite.Ouf. Tout va pouvoir continuer comme avant : les promenades au bord du Danube, la musique classique, le babillage inconsistant, les pâtisseries de chez Demel ou Sacher.