C'est toujours un bonheur de participer à une Masse Critique ; à la joie d'être sélectionnée, succède l'impatience de l'attente et le plaisir de la découverte.
Ce livre-ci a particulièrement soigné son arrivée : ma boîte à lettres était impossible à ouvrir. Donc, il m'a fallu guetter le facteur pour résoudre le problème. C'était bien une grande enveloppe cartonnée qui avait tout coincé. J'attendais une BD, donc je pensais qu'elle était du format standard. Mais quelle surprise : délicatement protégé comme dans un cocon, un livre, petit par la taille et riche par sa présentation. Tout indiquait le soin apporté à la réalisation de cet ouvrage : la beauté du dessin de la couverture, qui m'a tout de suite fait penser aux vieux exemplaires de Gustave Doré, souvenir renforcé par le dos entoilé, l'harmonie de la couleur de celui-ci qui répondait aux noirs, blancs et gris du dessin. Quel lecteur aussi compulsif soit-il peut résister à ce plaisir d'ouvrir avec délicatesse et curiosité cette première page. Alors, merci aux Editions 2024 pour ce (premier) petit moment de plaisir.
L'auteur
Clément Vuillier s'est inspiré du récit beaucoup déjanté d'un savant du 17ème siècle, plus d'une fois inspiré (il aurait eu l'intuition de l'existence des virus) et encore plus souvent aux conclusions complètement erronées de développements rigoureusement scientifiques.
L'histoire est celle d'un voyage initiatique d'un jeune godelureau sous la férule d'un maître de... de quoi d'ailleurs ? La connaissance ?
Clément Vuillier prend le temps de bien poser les caractères de ses personnages, chacun d'eux étant des "sorte(s) d'esprit(s) sans connexion avec son(leurs) corps" :
- Jean, le godelureau récent "initié (?), souvent impatient et agacé par la suffisance de son "maître"
- Cosmiel, le "pionnier"-instructeur qui n'a pas encore atteint la sagesse (ceci est mon point de vue) et pontifie...souvent
- et, un troisième "personnage" dont il n'est question qu'au début du récit et pourtant hante discrètement les pages : LA Grâce, celle par qui Jean a été recommandé et qui l'a donc investit de cette possibilité d'accéder à la vraie connaissance. La preuve qu'ils ont tous les deux "LA Grâce" ? Ils ont tous les deux des yeux auto-éclairants. Et si ça n'est pas une preuve qu'ils sont choisis, alors là, qu'est-ce qu'il vous faut !
Donc, LA Grâce les baignant de ... sa grâce, voici nos deux personnages partis pour un voyage sidéral, de la Terre à Pluton, balade dans l'espace et retour au bercail : la terre.
L'auteur organise son récit en six chapitres précédés de prolégomènes. Euh...ça ne vous dit rien "prolégomènes" ? Et bien, moi non plus, je ne connaissais pas ce mot. Donc pour tous les béotiens (catégorie de lecteurs à laquelle j'appartiens) les prolégomènes ce sont les notions nécessaires à la compréhension d'une science pouvant donné lieu à une lonnnnnnngue introduction. Ici, une page, où dans la moitié supérieure est dessinée une porte genre porte cochère de ferme toute noire et la moitié inférieure le dialogue de quelques lignes entre Cosmiel Et Jean. Ouf !
Le ton est donné. Ouvrage prétendument sérieux qui ouvre à tous les rêves.
Et le rêve est dans le graphisme. Somptueux noirs et blancs aux volutes ou à la géométrie ondoyante. Les couleurs boréales et solaires explosent. Jean et Cosmiel sont deux silhouettes identiques, vêtues d'une longue robe blanche, avec une longue barbe blanche, au regard faisceau blanc de lampe-torche, évoluant dans des mondes de cavernes incandescentes, de cieux noirs et lumineux, sous les explosions solaires et les novas de l'espace.
Escher a dû bercer l'enfance de Clément Vuilier et peut-être aussi quelques films de Méliès.
La composition de chaque chapitre offre tout d'abord un dessin géométrique pour situer à quelle étape du voyage en sont nos héros, puis deux à quatre pages pour le récit, suivis de planches où l'auteur nous précipite à toute vitesse dans les paysages les plus extraordinaires qui explosent notre imaginaire.
Une morale à cette histoire ? Certainement que la perception du monde change dès que l'on accepte d'orienter vers d'autres ailleurs nos points de vue, d'abandonner des habitudes, des concepts pour ouvrir la voie à la connaissance.
Un délicieux roman graphique, du très bel ouvrage, tant de l'auteur (à suivre) que de la maison d'édition qui apporte tant de soins à mettre en valeur le monde unique de cet artiste.