« Pour moi ne comptent que ceux qui sont fous de quelque chose, fous de vivre, fous de parler, fous d'être sauvés, ceux qui veulent tout en même temps, ceux qui ne bâillent jamais, qui ne disent pas de banalités, mais qui brûlent, brûlent, brûlent comme un feu d'artifice. »
Jack Kerouac (épigraphe de «
La divine chanson »)
«
La divine chanson » beau texte, lumineux et sombre, est un hymne à la vie, vie tumultueuse, passionnée, entièrement vouée à la création poétique et musicale de Sammy Kamau-Williams (dans la réalité
Gil Scott-Heron) : jazz man entre blues et soul mais aussi écrivain. Révolté, il sera un défenseur des droits des noirs et participera au mouvement Black Power.
«De toutes ses fibres, il voulait lever son peuple, laisser une oeuvre musicale tout en cassant les jointures de la machine diabolique du capitalisme. Il est parvenu, avec ses mots, à se faire guérisseur, prophète, meneur. Chasseur de djinns. »
Un génie habité par une folie créatrice qui l'amène tantôt au plus haut et tantôt le fait chuter. Avec lui, c'est tout ou rien. Il joue sa vie, ne l'économise pas.
Un texte léger aussi, dansant, plein de fantaisie grâce au témoin qui raconte, un chat nommé Paris qui arrive à sa septième vie : « Je suis un vieux chat célibataire, au seuil de sa dernière vie » Cette dernière vie il va la consacrer à accompagner et tenter de sauver celle de Sammy :
« Quant à moi, je veille sur mon Sammy…
Mes deux pattes sur l'aiguillon, je tiens la barre, peaufinant mon agenda d'ange gardien. Je continue l'oeuvre de protection tenue jadis par une petite femme extraordinaire. Vous avez déjà entendu parler d'elle, vous ne la connaissez pas encore très bien. Elle s'appelait Lily. Lily Williams. C'était la grand-mère de Sammy Kamau-Williams. Elle savait comme personne sonder les recoins secrets de son petit-fils. Comme elle, je ne peux me permettre de prendre de vacances, je ne peux laisser un seul jour Sammy suspendu entre le vide et la pénombre. »
Paris le chat a aussi été, dans une autre vie, Farid le chat persan de Mawlâna, le grand maître soufi originaire de Konya. Ce chat qui témoigne et a traversé sept vies permet à l'auteur de relier l'Orient, l'Afrique d'où sont venus, comme esclaves, les noirs d'Amérique du Nord mais aussi du Sud et ceux des Caraïbes. Les traditions soufis, les croyances vaudous irriguent le récit car toutes ses traditions, les forces de vie et de mort qui les habitent, sont enfouies dans le coeur des noirs qu'on a éloigné de leurs racines et refont surface à travers leur création.
Mais aussi nous dit Paris le chat dans sa grande sagesse :
« De l'affrontement avec le mal peut naître l'aspiration à la félicité. Que le mal disparaisse même pour un temps et le bien s'évanouit. Tout chanteur de blues le sait et s'il allume une chandelle c'est dans le but de projeter une ombre, créer une once de nuit qui pansera ses stigmates. La nuit est son présent et au bout luisent l'espoir et l'incandescence du jour.
Le jour est la main droite de l'univers, la nuit sa main gauche. Les rôles peuvent s'incarner, créant des zones intermédiaires et riches en brumes. On peut s'égarer longtemps dans les brumes. Toute une vie. »
Toute une vie que j'ai trouvé passionnante et «
La divine chanson » m'a permis de découvrir un homme très attachant et un musicien et chanteur,
Gil Scott Heron, dont la voix au fil des années a pris, à coup d'alcool et de Marlboro, des accents rocailleux parfois proches de ceux de
Tom Waits, que je prends beaucoup de plaisir à écouter.