Judge Dredd / Aliens : Infestation

Ce tome comprend une histoire complète ne nécessitant qu'une connaissance superficielle de Judge Dredd et des Aliens pour l'apprécier. Il contient les épisodes initialement parus en 2003 sous forme d'une minisérie publiée par Dark Horse, et simultanément dans les progs 1322 à 1335 (+ annuel 2003) de l'hebdomadaire 2000 AD, coécrits par John Wagner & Andy Diggle, dessinés et encrés par Henry Flint, avec une mise en couleurs réalisée par Chris Blythe.

Plusieurs Juges sont en train d'intervenir pour réprimer une manifestation, contre un nouveau puits géothermique. Parmi se trouvent Judge Dredd, ainsi qu'une jeune recrue Sanchez. Cette intervention occasionne un embouteillage monstre dans un tunnel du quartier, et Carlos Lenning (surnommé Jeremiah) abandonne son véhicule pour s'enfuir en courant. Mais il est repéré par Frank Rimm (surnommé Futsie) qui se lance à sa poursuite, et se fait abattre par les juges. Lenning est amené à l'hôpital où il est pris de violente convulsion, et une sorte de serpent jaillit de sa cage thoracique et s'enfuit dans les tuyaux de ventilation. Judge Dredd convoque une équipe de Verminators pour retrouver la bestiole. Ces derniers (une équipe de 6 personnes) envoient une sonde munie d'une caméra dans les conduits.

De son côté, Judge Dredd coordonne l'enquête relative à la présence de la bestiole, ainsi qu'aux agissements illégaux de Jimson James Godber, l'individu nommé par Carlos Lenning. La première étape est de rendre visite à la mère de Godber. Celle-ci explique que son fils trempe dans l'organisation de combats illégaux d'animaux. Dredd lui rappelle que cela constitue un crime et la condamne pour complicité dans l'affaire. Sur ses indications, ils se rendent dans un entrepôt désaffecté où ils découvrent ce qui ressemblent à des oeufs. de leur côté, les Verminators observent les images renvoyées par la caméra de la sonde. Ils voient apparaître l'image d'une bestiole indistincte qui se retourne et dont la mâchoire intérieure broie la caméra, mettant fin à la transmission.

C'est assez compliqué de transposer l'horreur des Aliens en bande dessinée, car le lecteur maîtrise sa vitesse de lecture, il n'est donc pas possible de le surprendre comme au cinéma par la vitesse de narration. En outre, il n'est pas facile de surprendre avec l'horreur du mode de reproduction des Aliens, une fois que le lecteur le connaît déjà. Néanmoins certains auteurs ont réussi à relever le défi au cours des différentes séries publiées par Dark Horse, et réunies en une série de recueils, à commencer par Aliens Omnibus Volume 1 (en VO). Les Aliens ont également servi d'ennemis à plusieurs personnages DC comme Batman, Superman et les WildCATs, histoires regroupées dans DC/Dark Horse: Aliens (en VO). le lecteur a déjà une bonne idée du déroulement de l'histoire avant même d'avoir lu la première page : Judge Dredd et consorts vont être confrontés à un premier Alien. Ils vont observer son cycle de reproduction. Puis ils vont être confrontés à un nid. Par contre, il ne sait pas à priori si Judge Dredd va survivre car il s'agit d'une histoire hors continuité.

Visiblement les auteurs sont bien conscients de ces contraintes et ils les respectent tout en s'attachant à raconter une vraie histoire. le lecteur peut donc voir les scènes attendues, à commencer par Judge Dredd face à l'alien dans sa phase Chestubuster. La réaction de Dredd permet tout de suite d'établir que le combat va être rude. Il y a également la chasse à l'alien dans des conduits sombres et étroits, la découverte des propriétés du sang des aliens, et bien sûr le nid. Henry Flint respecte à la lettre les caractéristiques visuelles des aliens. Comme souvent dans ce genre de récit, il s'en sort mieux quand il n'y a qu'un seul monstre extraterrestre et qu'il n'est que partiellement visible. Il peut alors maintenir le niveau d'horreur avec des actions soudaines et inattendues (sauf pour les connaisseurs niveau expert) avec les particularités du sang ou de la queue. Dès qu'il y a une armada d'aliens en pleine lumière, ils perdent de leur mystère. Dans ces cas-là, le dessinateur n'hésite pas à passer en mode exagération, que ce soit un alien projetant sa mâchoire intérieure sur un juge en gros plan, ou Judge Dredd assénant un coup poing sur une tête d'Alien.

Henry Flint est un dessinateur régulier de 2000 AD, et de Judge Dredd en particulier. Il maîtrise donc bien les spécificités de Mega-City One, et des juges. La démesure de l'urbanisme de cette mégalopole est bien rendue. L'uniforme des juges comprend aussi bien le célèbre casque, que les pochettes accrochées à la ceinture, ou les épaulettes démesurées. le lecteur descend aux côtés des juges dans la cité souterraine, et il monte avec les Verminators pour progresser dans les galeries techniques. Il constate qu'Henry Flint dessine en s'inspirant de Carlos Ezquerra, que ce soit pour la gestion des arrière-plans, ou pour la forme d'encrage un peu acérée qui confèrent une forme d'usure et de dangerosité aux protagonistes. L'artiste adapte sa mise en page à chaque séquence passant de pages comprenant 7 cases, à des dessins pleine page. Il peut aussi concevoir sa planche sur la base de cases sagement alignées en bandes horizontale, que sur des cases de la largeur de la page, ou des cases de la hauteur de la page.

Le lecteur apprécie le bon niveau de détails descriptifs qui lui permet de se projeter dans ces environnements, aux côtés de ces juges, ainsi que les petits traits secs qui rendent compte des textures. Flint varie régulièrement la nature des plans, utilisant les prises de vue rapprochées pour placer le lecteur au plus près des combattants. Il représente les personnages avec des morphologies normales, et des expressions sans trop d'exagération. Chris Blythe effectue un bon travail de mise en couleurs, avec une teinte majeure par séquence et des effets spéciaux qui rehaussent les affrontements et les blessures, assez horribles quand elles sont causées par le sang des aliens.

Les dessins plongent le lecteur dans un monde peuplé d'individus normaux, avec des endroits exigus propices à des attaques soudaines dont il ne peut y avoir d'échappatoire. Les auteurs intègrent donc les moments attendus du Facehugger au Chestbuster. Néanmoins ils ne se limitent pas à enfiler les confrontations jusqu'à la grande bataille finale. Ils piochent à bon escient dans la mythologie de Judge Dredd, des éléments comme le Hall de Justice, la juge en chef Barbara Hershey, ou encore des robots de combat utilisés par les juges. Afin de nourrir leur intrigue, ils expliquent la présence des aliens par des combats illégaux et un trafic de créatures exotiques. le lecteur peut ressentir l'influence de John Wagner, dans les trafiquants, des individu normaux, commettant des délits ordinaires, pour le compte d'autres individus qui ne souhaitent pas se salir les mains. La présence d'une juge novice (Judge Sanchez) permet d'intégrer des remarques sur le fait que de telles horreurs n'étonnent pas Judge Dredd qui en a vu d'autres. L'avancée des 6 Verminators permet de mettre en scène des individus normaux (c'est-à-dire sans l'habitude du combat des Juges) découvrant une bestiole qui dépasse de loin leurs compétences. Les auteurs font tout pour donner une dimension humaine au récit, avec des personnages qui disposent de plusieurs répliques.

Le lecteur sent bien également qu'Andy Diggle a été chargé d'écrire la partie relative aux informations dans les cellules de texte et dans les dialogues. Il fait le nécessaire pour étoffer la narration, de manière à ce qu'elle ne soit pas réductible à une suite d'affrontements de plus en plus dangereux, avec de plus en plus de personnages et d'aliens. Cependant le sentiment de culpabilité du chef des Verminators a vite fait d'être réduit à sa plus simple expression. Judge Sanchez est vite reléguée au second plan et oubliée. Judge Dredd reprend le devant de la scène et dirige les opérations avec son efficacité exemplaire, son sens du devoir et son courage exceptionnel. Les rares réparties humoristiques tombent à plat et l'intrigue reprend le dessus, se déroulant de manière parfois un peu mécanique.

Après l'affrontement entre Judge Dredd et un Predaor, le lecteur découvre un autre face à face de plus grande ampleur contre les aliens. Il trouve bien tous les points de passage obligés, dans une intrigue bien construite, allant crescendo, de la manifestation d'un chestbuster, à une colonie d'oeufs. John Wagner & Andy Diggle ont construit un scénario qui met bien en avant la mythologie de Judge Dredd et celle des aliens, avec des affrontements bien agencés. Henry Flint maîtrise également ces 2 mythologies sur le plan visuel, et sait insuffler de la vie dans les affrontements. Alors que la première moitié développe une dimension humaine qui promet de donner plus d'épaisseur à la présence de ces créatures toutes entières dédiées à la survie de la race, les auteurs n'en tirent pas tout le potentiel, ni en tirant le récit vers un drame humain, ni vers une fable de la survie à tout prix.