Judge Dredd Tour of Duty: The backlash

Ce tome fait suite à Origins qu'il vaut mieux avoir lu avant pour être convaincu des motivations de Dredd. Il contient plusieurs parties, scénarisées par John Wagner, avec une exception pour "Mutopia" (12 pages) écrite par Al Ewing.

The streets of Dan Francisco (dessins et encrage de Rufus Dayglo, prog 1520, 6 pages) - Fifty year man (dessins et encrage de Patrick Goddard, prog 1536, 12 pages) - Mutants in Mega-City One (dessins et encrage de Colin MacNeil, progs 1542 à 1545, 22 pages) - The Facility (dessins et encrage de Colin MacNeil, prog 1546, 6 pages) - The secret of mutant camp 5 (dessins et encrage de Colin MacNeil, progs 1547 et 1548, 12 pages) - Au travers de ces 5 histoires courtes, Judge Dredd conforte son opinion sur l'injustice du traitement réservé aux mutants (contraints par la loi de vivre dans la Terre Maudite, des zones irradiées à l'extérieur de la Cité). le lecteur assiste à la première apparition de Dan Francisco, juge portant une caméra (de type Gopro) 24h/24.

The spirit of Christmas (dessins et encrage de Colin MacNeil, prog 2008, 12 pages) - À la période de Noël, Joe Dredd a pris sa décision. Il soumet à l'ordre du jour de l'assemblée des Juges un projet de directive pour accepter de donner la citoyenneté aux mutants désireux de résider dans Mega-City One.

Emphatically evil: the life and crimes of PJ Maybe (dessins et encrage de Colin MacNeil, progs 1569 à 1575, 44 pages) - La haine contre les mutants continue à monter en puissance, occasionnant des crimes raciaux. le maire Byron Ambrose en appelle la population au calme. C'est dans ce contexte que sort une biographie du tueur en série PJ Maybe (écrite par Patma Rice), et que des crimes sont commis suivant le même modus operandi que lui. Judge Dredd et la Juge America Beeny enquêtent.

... Regrets (dessins et encrage de Nick Dyer, progs 1577 à 1581, 28 pages) - Randy et Digger Fargo (et leur famille) sont invités par Dredd à Mega-City One. Ils sont reçus comme invités d'honneur, mais Dredd enquête en même temps sur un enlèvement d'enfant qui ne lui laisse pas le temps d'aller les voir.

The Edgar case (dessins de Patrick Godard, encrage de Lee Townsend, progs 1589 à 1595, 42 pages) - Judge Dredd se rend dans une prison de réhabilitation pour rendre une dernière visite à la Juge Jura Edgar (la juge qui était en charge du système de surveillance de Mega-City One et qui avait abusé de son pouvoir). Elle lui remet une puce électronique sur laquelle se trouvent des photographies d'un juge accompagnant une jeune femme dans un hôtel). Tout en sachant que la Juge Edgar lui a remis ces documents avec une idée derrière la tête, Dredd va mener une enquête pour déterminer l'identité de ce juge, et de quoi ces photographies sont révélatrices.

Mutie block (dessins et encrage de Kev Walker, progs 1600 à 1603, 24 pages) - 2 groupuscules donnent l'assaut à un block (immeuble gigantesque) logeant exclusivement des mutants pour le détruire et les tuer. Judge Dredd est seul à l'intérieur pour défendre les résidents.

Mutopia (scénario d'al Ewing, dessins et encrage de Simon Fraser, progs 1661 et 1612, 8 pages) - Un groupe de mutants prend des otages humains dans un bar.

Backlash (dessins et encrage de Carl Crichtow, progs 1622 à 1623, 36 pages) - le juge Dan Francisco se présente contre la Juge en Chef Barbara Hershey. Il est grièvement blessé sur le terrain, à une semaine du vote.

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- Après "Origins", cette histoire marque un tournant significatif dans la vie de Judge Dredd. Les lecteurs le retrouvent tel qu'en lui-même : toujours casqué (son visage n'est pas découvert), toujours appliquant la loi de manière stricte et premier degré, toujours insensible à l'humour (et généralement coupé de ses émotions), toujours impitoyable. John Wagner parsème son récit de références à l'environnement du personnage : le criminel Mean Machine, le groupe terroriste Total War, la Juge America Beeny (voir America), le tueur en série PJ Maybe, le Juge Rico (un clone de Joe Dredd), le statut social des mutants, la Juge en Chef Barbara Hershey, etc. Il vaut donc mieux que le lecteur soit un peu familier avec l'histoire de Dredd pour pouvoir apprécier l'ampleur de cette intrigue.

Mais John Wagner apporte une nouveauté révolutionnaire, dans la mesure où Joe Dredd remet en cause une loi. Lui qui a toujours été un instrument efficient d'application des lois, il émet un avis sur la loi imposant le bannissement (ou l'exécution) des mutants. Cet acte de questionnement de la Loi apporte une dimension inédite au personnage et à ses aventures. Outre cette évolution, Wagner utilise la voix intérieure de Dredd (phrases courtes et laconiques) pour transcrire son âge et son expérience. Il ne s'agit pas d'en faire un préretraité, mais plutôt quelqu'un disposant d'une solide expérience (50 ans passés à faire respecter la loi) lui permettant d'avoir un certain recul. Wagner distille avec légèreté ce point de vue au fil des différents récits.

C'est l'un des autres aspects remarquables de ce tome : John Wagner raconte une suite de péripéties formant autant d'aventures complètes, dont la lecture à la suite finit par former une toile de fond très riche sur l'intégration à marche forcée des mutants dans la société. Chaque histoire est un petit bijou mêlant enquête policière et action, assaisonnée d'un aspect social, servi avec un humour noir ou cynique. La publication de ces récits s'est étalée sur 2 ans de janvier 2007 à février 2009. La première histoire est magnifique avec la première apparition de Juge Dan Francisco (ce qui permet un jeu de mots avec le titre de la série télévisée "Les rues de San Francisco"), un juge qui porte une caméra sur son casque 24 heures sur 24, réalisant ainsi l'émission de téléréalité la plus regardée de Mega-City One. Wagner narre son récit de manière à faire apparaître plusieurs facettes de ce dispositif. Il subsiste toujours l'aspect totalitaire du système des Juges qui appliquent des lois aliénantes, aux châtiments aussi disproportionnés qu'immédiats. Toutefois cette violence totalitaire est tempérée par les conditions de vie dans Mega-City One, avec une densité de population telle que la moindre anicroche peut dégénérer en guerre ouverte entre 2 immeubles. Il y a bien sûr une critique acerbe sur le voyeurisme des spectateurs se délectant de la punition en directe des contrevenants, prêts à dénoncer leur voisin si besoin est. le commentateur de l'émission est tourné en ridicule par le degré zéro de ses paraphrases sur les images montrées. Tout au long des différents récits, John Wagner réussit à maintenir cette vision à plusieurs facettes de ce qu'il raconte, mariant avec adresse le cynisme, la méchanceté, l'humour noir, le mélodrame, le suspense, quelques scènes chocs, pour mieux mettre en scène une humanité vivante et paradoxale. Par comparaison, la courte histoire scénarisée et dialoguée par Al Ewing apparaît fade, superficielle et souffrant cruellement d'un manque de nuance, de substance et de recul.

Du début jusqu' à la fin, ces récits bénéficient de très bons dessinateurs. Ils se mettent tous au service du récit, en étant avant tout descriptif pour ancrer les intrigues dans un monde palpable et substantiel. Colin MacNeil sort du lot avec une approche réaliste légèrement épurée, très agréable à l'oeil, propre sur elle, avec le bon niveau de détail à chaque case. Certains (tels Rufus Dayglo, Carl Crichtow, Kev Walker ou Simon Fraser) ont une approche moins détaillé, avec un encrage plus soutenu ou plus griffé, mais sans tomber dans le dessin insipide de production de masse, en perdant dans le détail, en gagnant un peu dans l'ambiance. Patrick Goddard se rapproche plus du style de MacNeil. le lecteur bénéficie donc de visuels capables de transcrire les scènes sophistiquées conçues par Wagner, en adoptant un découpage facile à lire, en apportant assez de détails pour que les différents environnements soient suffisamment consistants, avec des personnages aisément reconnaissables, aux émotions restant raisonnables (sans être surjouées systématiquement).

Cette première partie du "Tour of duty" est un véritable tour de force scénaristique qui rassemble 12 récits courts pour autant d'intrigues pleines de suspense, qui lues à la suite dessine l'évolution progressive d'un individu sur un thème politique complexe. La nature expéditive de la solution qu'il propose est conforme au personnage. John Wagner sonde les conséquences de cette solution et de sa mise en oeuvre au travers des violences et des crimes qu'elle génère, avec brio. La deuxième partie de ce "tour of duty" se trouve dans Tour of duty: Mega-City Justice.