Les jumelles du silence

J'ai remplacé la couverture décevante de la version française, par l'originale, qui offre au moins une photo des jumelles du silence dont il est question dans cet ouvrage : June et Jennifer Gibbons. le récit de leur vie est tellement extraordinaire que plus d'une fois mon regard a été attiré vers cette photo, dans un futile essai de les comprendre mieux. La biographie des soeurs Gibbons par Marjorie Wallace a été traduite avec soin en Français par Jean Clem en 1986.

Originaires de l'île de Barbade dans les Antilles, c'est au pays des Galles où Aubrey et Gloria Gibbons se sont installés, lui comme assistant contrôleur du trafic aérien militaire et elle - de peau noire - comme standardiste d'un aéroport local, et où sont nées, le 11 avril 1963, June et Jennifer, dans cet ordre et à 10 minutes d'intervalle. Dix minutes qui revêtiront une importance primordiale dans les rapports archicompliqués de ces jumelles monozygotes.

Très petites, les jumelles ont décidé de ne parler à personne. Durant leur enseignement secondaire, elles furent l'objet de toutes sortes d'analyses et d'études par des psychologues, psychiatres et autres professionnels. Il fut même décidé de les séparer, une expérience de très courte durée d'ailleurs, qui n'a donné aucun résultat.
Heureusement que le grand spécialiste nazi des jumeaux, l'horrible Josef Mengele (1911-1979), se trouvait à l'autre bout du globe. Voir mon billet de "Children of the Flames" par Lucette Matalon Lagnado du 4 septembre 2017.

Une fois obtenu leur diplôme du secondaire, elles se sont complètement repliées sur elles-mêmes et ne se parlaient qu'entre elles. Par la suite, elles se sont aussi adressées, quoique très rarement à leur mère, et à leur petite soeur Rosie, qui partageait leur chambre et qui fut chargée de toutes sortes de missions confidentielles.
Afin que personne ne comprenne leurs délibérations, elles avaient développé leur propre langage, dont certains pensaient qu'il s'agissait de l'une ou autre variante bajan caribéenne, mais qui en fait était de l'Anglais, parlé à toute vitesse en modifiant les accents.

Dans leur chambre, les 2 jumelles commençaient à fabriquer des poupées et créer de complètes dynasties dans le style des sagas télévisées américaines Dallas et Dynasty. Peu après, estimant apparemment que la littérature était tout de même plus noble, elles se mettaient à lire consciencieusement les classiques anglais comme les soeurs Brontë, Jane Austen, D.H.Lawrence... et à suivre des cours d'écriture par correspondance. June fut la première à publier son propre roman "Drogué au Pepsi-Cola" en 1980, suivi de près par Jennifer qui a écrit, vers cette époque, "Discomania", "Le pugiliste" et "Le fils du chauffeur de taxi".

Les jeunes auteures étaient frustrées par le manque d'intérêt de la part des éditeurs, d'autant plus qu'elles avaient consacré de sacrés efforts d'auto-apprentissage de la grammaire et de la ponctuation anglaise. Leur nouvelle priorité était de rencontrer des "pen pals" et l'Amour ! Vu leur handicap de communication, elles trouvèrent bien le sexe, mais point le prince charmant. Après, la colle et la vodka aidant, cela à été très rapidement la débandade. En novembre 1981, June et Jennifer furent arrêtées et incarcérées pour cambriolage, vol, incendie criminel ... à l'hôpital psychiatrique de Broadmoor. Elles y resteront 14 ans. C'est lors d'un transfert vers un centre moins sévère, que Jennifer meure d'une myocardite aiguë, le 9-3-1993, elle avait 29 ans.

À l'auteure, June aurait déclaré que la mort de Jennifer a été l'unique condition pour elle de mener une vie normale. Quoiqu'il en soit les relations entre les soeurs étaient d'une complexité inimaginable, allant d'un amour comparable à celui d'un jeune couple jusqu'à une rivalité quasi meurtrière. Si June était la plus intelligente des deux, Jennifer avait une personnalité dominante, comme si elle voulait rattraper ces 10 minutes de retard à la naissance !

C'est pendant leur séjour à Broadmoor qu'entre les jumelles et l'auteure, Marjorie Wallace, une relation d'amitié, d'aide et de confiance s'est établie. Pour écrire cette biographie, la journaliste britannique a disposé de sources exceptionnellement riches et variées : les volumineux journaux intimes de June et Jennifer, des lettres, notes, poésies et écrits divers. Comme l'auteure note à la page 197 : "Les jumelles analysaient chaque jour ce qu'elles ressentaient l'une à l'égard de l'autre, la manière dont se passait leur incarcération, et le consignaient par écrit. Ces analyses sont plus perspicaces que n'importe quel rapport de psychiatre".

Dans ce sens l'ouvrage de Marjorie Wallace est remarquable, mais, honnêtement, pour vraiment saisir l'imbroglio des rapports excessivement complexes entre ces 2 gamines, il me faudra encore du temps.

À la petite école, nous avions aussi 2 jumelles identiques, 2 petites flamandes blondes Marleen et Marlies. le grand jeu à la récré consistait à en désigner une du doigt, de proférer un prénom et de voir la réaction. Après les vacances de Nouvel An ou de Pâques, leur mère mit fin à ce jeu raffiné en les habillant différemment et changeant leur coupe de cheveux. C'est bête que je n'aie pas demandé à M & M si elles préféraient le "new look" ou l'ancien. Il est vrai que je n'avais que 5 ans et que l'intelligence ne vient que rarement avant l'âge !