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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
C'est un premier roman et Kawai Strong Washburn frappe assez fort : par le fond et par la forme.
Commençons par le fil conducteur du livre : la religiosité. Comme écrit dans le résumé, l'action principale se déroule dans l'archipel hawaïenne, mais vu de l'intérieur, non-touristique, et par une population autochtone. Les croyances animistes sont fortes : Les personnages, à divers degrés, sur différents modes croient qu'un esprit, une force vitale, interagit avec les êtres vivants, avec les éléments naturels, comme la pluie omniprésente. Des âmes ou esprits mystiques, manifestations de défunts ou de divinités locales, peuvent agir sur le monde tangible, de manière bénéfique ou non comme vont l'apprendre les héros du roman.
Voilà, chaque action est évaluée à l'aune de l'influence exercée par ces esprits sur les personnages. Influence réelle par moment, supposée à d'autres. A moins que ce ne soit le contraire.
Cette mystique se développe sur la misère qui gangrène ces îles suite à la disparition de la source de travail locale : la culture de la canne à sucre. Il n'y a plus de place économique pour ces îliens qui s'installent dans un mode de survie fait de petits boulots, de dettes, de désespoir.
On suit le parcours d'une famille de trois enfants dont l'un nous est présenté comme étant doué de pouvoirs réellement surnaturels. Son frère et sa soeur vont être impactés par ce don et c'est finalement ces trajectoires croisées qui tissent la trame du livre.
Découpé en quatre parties, comme les quatre étapes de ce chemin de croix, chemin de vie également : Libération, Ascension, Destruction et Renouveau. Et comme par hasard (ou pas) c'est un roman à quatre voix, celle de la mère, et des enfants qui se relaient pour nous narrer leurs souffrances, leurs doutes, leurs espoirs.
Finissons par la forme : l'écriture est assez hachée, dans un style non conventionnel, très dialogué. Parfois je me demandais même si j'avais bien compris le sens de la phrase. Beaucoup de termes hawaïens à assimiler qui participent à l'immersion dans cet univers : Haole par exemple qui désigne localement les non-natifs de ces îles. La plupart d'entre nous sommes ainsi des « haoles »...
Voilà, vous savez maintenant dans quel univers vous allez plonger. Personnellement, le côté social m'intéressait plus que le côté mystique et je me suis posé la question : était-il possible de faire l'un sans l'autre : le soignant sans le miracle, le basketteur sans le mana ... In fine je crois que non, le roman possède sa structure cohérente qui, je pense, fait que je m'en souviendrai longtemps.
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Se voir accorder un don des dieux à sa naissance est un présent inespéré. Pourtant, cette aptitude peut entraîner de très grandes responsabilités et sacrifices auxquelles l'être humain n'est pas préparé...

Alors qu'il était voué à une mort certaine après être tombé par-dessus bord lors d'une croisière en famille, le jeune Nainoa est finalement sauvé par un banc de requins qui vient le ramener à ses proches. Considéré comme un miraculé, l'enfant qui cultive un rapport particulier avec les animaux va développer au fils des ans de nouveaux dons aussi fascinants qu'effrayants qui permettront à sa famille de faire face aux difficultés financières auxquelles elle est confrontée. Pourtant, même si ce présent semble être un véritable cadeau des dieux, il fragilise jour après jour l'équilibre familial si important…

En refermant cet ouvrage, je n'ai pas été capable de savoir si j'ai apprécié ou si je suis passée à côté de ce roman.
J'ai trouvé intéressant de découvrir la triste réalité qui se cache derrière l'image de façade d'Hawaii, archipel paradisiaque du pacifique et les difficultés auxquelles ont dû faire face les locaux après l'affrontement de la culture de la canne à sucre. Tout au long du récit j'ai été transportée par ce conte aux légendes mystiques. Je me suis aussi attachée aux différents personnages qui peinent à trouver leur place au sein de cette famille et de la société. Pourtant, malgré une totale immersion dans ce roman hawaïen, je n'arrive pas à me prononcer sur ce livre. J'ai cependant regretté que cet ouvrage ne dispose pas d'annexes dans lesquelles sont traduits les termes hawaïens, ce que j'aurais apprécié trouver...

#item 60
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RAGNAROK À HAWAII

Soyons parfaitement honnêtes : que savons-nous réellement d'Hawaii, de sa culture millénaire, de son panthéon, de ses autochtones passés et présents quand bien même nous aurions un vague idée de la vivacité de sa vie tectonique et de ses volcans, de ses paysages à couper le souffle, de ses plages idylliques, de ses "spots" inimitables pour surfer ultra-chevronnés - souvenons-nous même que le Surf, ancien sport des Dieux et des Rois, doit une large part de sa reconnaissance mondiale à sa survie à Hawaii - ; que c'est le cinquantième État américain (le dernier dans l'ordre d'adhésion à l'Union, le seul hors Amérique du nord, l'un de deux seuls non contigu aux autres avec l'Alaska) ; que sa capitale est Honolulu, dont la simple évocation est une invitation à l'exotisme et au voyage ; que le bombardement japonais massif de la flotte U.S. à Pearl Harbour, en 1941, fut la goutte de feu qui fit déborder le vase interventionniste américain ; que Bruno Mars en est originaire, que Barack Obama y naquit ; que le ukulélé en est l'instrument iconique par excellence ; que la série "Magnum", avec Tom Selleck dans le rôle-titre, participa à populariser les "charmes" naturels de ce chapelet d'îles incroyables, ou encore celle, de deux décennies antérieure, intitulée Hawaii Police d'État...

Clichés ! Clichés ! Clichés encore ! Car, au fond, en dehors de la jolie carte postale, reconnaissons que nous ne savons pas grand'chose de ces îles terriblement lointaines. Moins encore de ses premiers habitants, polynésiens probablement arrivés des Îles Marquises, de Tahiti un peu, 1500 ans auparavant, qui allaient voir leur existence bouleversée par l'arrivée de James Cook en 1778 (même si des contacts antérieurs avec des européens sont attestés) qui rebaptisera ces confettis de l'immensité pacifique "îles Sandwich" - Cook y perdra d'ailleurs la vie - en hommage à un aristocrate britannique du même nom, que les américains, russes, britanniques et français allaient essayer de se partager au fil du XIXème siècle, entre intérêt stratégique, économiques (comme lieu de ravitaillement et de vente, souvent d'alcool, pour les navires baleiniers ou de commerce) et politique. Mais à la fin, ce sont les USA qui gagnent, pour paraphraser l'antienne, tandis que la population autochtone aura vu sa population amputée de 80 à 90% de ses membres (essentiellement de maladies "importées" par les colons blancs Coqueluche, rougeole, dysenterie, syphilis et même lèpre) en moins d'un siècle, imposant aux Tycoons de l'époque l'introduction d'une main d'oeuvre (très) bon marché originaire de Chine, des Philippines et du Japon : le "socle" ethnologique du Hawaii moderne était créé. Et c'est ainsi que la population indigènes de l'archipel ne serait plus (tout dépend, par ailleurs, du mode de comptage) que la troisième, voire quatrième en importance, loin derrière les "haoles" (les blancs) puis les descendants des immigrés japonais et, selon les critères, philippins. Un peuple tout à la fois chassé de son trône et minoritaire chez lui... La "conquête de l'ouest" sur les îles. 

Ce ne sont que quelques éléments, très fugaces, et bien incomplets, de ce qu'est le cadre du premier roman de Kawai Strong Washburn, et c'est fort loin de tout expliquer, mais c'est tout de même indispensable pour mieux en comprendre l'atmosphère ainsi que certains enjeux de cet ouvrage. 

Ainsi, Au temps des requins et des sauveurs détaille-t-il l'histoire d'une famille originaire de l'île d'Hawaii - Grande Île, pour la distinguer de l'archipel tout entier -, celle où fut tué James Cook, celle où naquit Kamehameha Ier, le premier roi unificateur en 1810, celle qui connut les fastes puis le déclin fatal de la production de la canne sucrière - celle-là même où travailla Augie, jusqu'à la fermeture de la dernière plantation en 1996, le père de Nainoa, son second fils et personnage central mais pas unique de ce roman choral. le lecteur va ainsi suivre, à la manière d'une succession de monologues intérieurs aux styles aussi différents que possibles les uns des autres, les destinées de la mère, Malia, du premier puis du second fils, Dean et Nainoa ainsi que de la puînée, Kaui. À noter qu'Augie, le père, ne "participe" à cette saga familiale qu'assez indirectement, et c'est une unique, mais essentielle fois, qu'on le "voit" participer directement à la narration de cette étonnante chronique. de la conception - quasi mythologique et téléologique - de Nainoa jusqu'à son sauvetage miraculeux, digne d'une parabole christique, par un cercle de requin et sous les yeux de ses proches et de marins ébahis tandis qu'il était destiné à une noyade certaine, jusqu'à son assomption puis à sa quasi déification, Kawai Strong Washburn conte par le menu la vie de cette famille sans cesse assiégée par la pauvreté, contrainte à la migration intérieure vers l'île populeuse d'Oahu - sorte de mythe intérieur et moderne de l'argent et de l'ascension sociale facile, selon l'origine -, déracinée donc au sein même de ses propres totems et territoires. On regarde ces trois enfants grandir de manière bien différentes, pour ne pas écrire parfaitement différenciée - il est évident que l'éducation et la prise en charge familiale des deux garçons ne sont décidément pas les mêmes que celles de la cadette, dont on n'attend rien d'autre que de soutenir et d'admirer ses deux aînés - au fil de leurs années d'enfance jusqu'aux débuts de leur âge adulte.

Que dire de ce roman qui n'ait déjà été exprimé par d'autres, non sans talent, sur ces pages babeliennes ? Qu'il résiste, pour une large part, à mon analyse et à mon appréciation, m'ayant laissé parfois au bord, et pas seulement parce qu'il parle d'un monde que je ne connais que trop mal (toute proportion gardée, je me suis remémoré mes premiers pas dans la littérature japonaise, fait tout autant d'envies que d'une certaine forme d'incompréhension), tandis qu'à d'autres moments, très forts, il a pu emporter mon enthousiasme.
On perçoit bien toute la force symbolique émanant autant du rapport à la culture des grands anciens, à leurs divinités presque totalement abolie - malgré leur survie dans l'imaginaire hawaiien, dans les contes, la musique, omniprésente et symbolisée à elle seule par un instrument caractéristique : le ukulélé ; par la danse des femmes aussi, le fameux hula - et la critique drastique du monde nouveau fait d'argent roi, d'immeubles de plusieurs étages, de "resorts" et de tourisme effréné, de petits boulots de misère pour les uns (d'avant) ou de richesse à portée de main (d'ailleurs). Cet affrontement qui vient, celui des Dieux anciens et favorables à leur terre immémoriale contre l'émergence des Géants modernes et destructeurs de mondes, il intervient dès les premières lignes de l'ouvrage, en la personne de Malia, la mère/alma mater, tandis qu'elle et son jeune époux viennent à peine de concevoir quelque part dans la montagne à l'arrière d'un pick-up défoncé - on n'est pas sérieux quand on a vingt ans - leur jeune idole, ce second fils bientôt thaumaturge, deux décennies avant qu'il entre en son crépuscule - Ragnarok vous dis-je !-. Cette ligne de faille se retrouvera au sein même de cette famille qui n'en finira pas de se séparer (une fois les enfants, devenus majeurs mais pas vaccinés, disséminés aux vents mauvais de la côte Pacifique des USA), l'aîné ayant un prénom appartenant à la langue de l'envahisseur - Dean -, pratiquant, avec grand talent d'ailleurs, l'un des sports le plus emblématique de l'Amérique triomphante (le basket-ball) plutôt que le surf, américanisé d'ailleurs jusqu'au mode d'expression, de vie et aux pratiques alimentaires les plus néfastes, tandis que le second ainsi que la cadette ont chacun des prénoms "locaux", pratiquent, avec art et presque par prédestination, qui le ukulélé, qui le hula, ce qui ne les empêchera pas, l'une comme l'autre, de s'égarer à leur tour dans le dédale des grandes villes américaines, tandis que l'aîné ira littéralement tout y perdre avant la rédemption, en un véritable retour de l'enfant prodigue ! 

Il est dense, ce roman, très dense. Au point qu'on finit par se demander si son auteur n'a pas voulu trop en mettre, trop en dire. Au risque de mal fixer ses personnages, d'en faire des clichés plutôt que des symboles, de chercher à être moderne et classique à la fois, d'être sur le front de la critique sociale et - pour être en vogue - sociétale, tout autant que dans le roman psychologique ou dans le huis-clos familial. Sans doute est-ce là l'écueil majeur de ce premier texte, grand par certains aspects, pénible et décevant par d'autres : qu'il est la gangue de laquelle cinq, dix autres romans, majeurs cette fois, pourront éclore et s'épanouir, si le génie surpasse le seul talent. Qu'il faudra aussi, pour y parvenir, échapper aux modes, aux tics du temps (cette manière un peu forcée de vouloir à tout prix donner la parole, chacun leur tour et en respectant un certain équilibre, aux principaux personnages de papier ; vouloir faire contemporain en adoptant une langue supposément vulgaire qui ne peut pour autant être qu'une pure construction littéraire - on ne fait pas du J.D. Salinger à tous coups -, etc), trouver une harmonie un peu moins hachée (les pages sans grand rythme véritable succèdent à de réels moments de grâce, un peu trop fréquemment pour ne pas finir par user le lecteur), en bref, trouver sa voix/voie propre, ce dont il nous faut admettre que l'auteur à toutes les armes pour ! Un roman en demi-teinte, au final, mais qui nous aura aussi permis de ne pas rester campé sur nos trop rares connaissances littéraires relatives à cet archipel, paraît-il de toute beauté. Et même si Samuel Langhorne Clemens, jeune journaliste qui se fera bientôt connaître du monde entier sous son nom de plume - Mark Twain - ainsi que, quelques décennies plus tard, un certain Jack London (ses Histoires des îles sont de véritables pépites tandis qu'elles n'hésitent pas à franchir la face sombre du miroir hawaiien d'alors, prémices de celui d'aujourd'hui) ont pu nous donner quelques idées de ce qu'étaient jadis ces confettis pacifiques, tant de temps à passé qu'il était juste d'aller y revoir de plus près (d'autant qu'après recherche, aucun autre auteur ni poète indigène n'est traduit dans notre langue). Ceci est corrigé - pour un peu - grâce à la très belle traduction de ce texte indubitablement fort (et éprouvant) à propos duquel il me faut, enfin, remercier les Éditions Gallimard, qu'on ne présente plus, à travers leur très belle collection «Du monde entier», ainsi que notre irremplaçable site de lecture en ligne préféré, Babelio, sans lesquels nous n'aurions sans doute jamais croisé la piste de ces dieux pas encore totalement disparus !

PS : Malgré quelques préventions, déceptions diverses et mises en garde éparses accompagnées d'une notation mitigée - qui vaut ce qu'elle vaut -, j'aurais malgré tout tendance à conseiller ce roman aux lectrices et lecteurs avides de vraie découverte d'un monde exotique (au sens plein), d'un peuple qui lutte ces dernières décennies pour retrouver une part de reconnaissance culturelle et politique (dans la mouvance des populations amérindiennes dont les populations d'Hawaii ont été jusque-là parfaitement écartées pour de sombres motifs juridiques et de date d'annexion de l'archipel à la fin du XIXè !). Quant aux avis d'une présentatrice TV ou d'un ancien président américains mis en avant par l'éditeur, le crédit que je leur porte est proche de néant, mais si ça peut faire plaisir à d'aucuns...
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N'attendez pas que je vous fasse un résumé de ce roman ; ce livre vaut beaucoup mieux.
Mille fois mieux, car il mérite une découverte totale.
AU TEMPS DES REQUINS ET DES SAUVEURS nous raconte l'histoire du monde, l'histoire de la vie et du sang qui s'écoule et rugit dans nos veines. Il s'agit de l'histoire de la mort qui survient telle un couronnement au terme de la vie quand il est devenu temps pour le vivant de s'éparpiller, de restituer et de faire don. Il s'agit de l'histoire des peuples qui se ressentent comme tels et qui ont conscience d'appartenir à un grand Tout. C'est aussi l'histoire des passions et celle des pulsions, l'histoire de la musique des Hommes et de la musique du Monde.
Le thème abordé est bien celui de la découverte ou de l'ignorance de la culture hawaïenne ; Kawai Strong Washburn signe ici un premier roman fondamental qui aborde le virage entre la vie des ancêtres, leurs traditions, leurs coutumes et la vie moderne ; ses personnages souffrent de la charnière temporelle formée par la période d'avant la déferlante américaine et du consumérisme et celle de la vie moderne - si l'on peut dire.
Pour le touriste abruti de consommation, d'aéronefs blanc immaculé, de cocktails alcoolisés et de comptes en banques suffisamment approvisionnés, Hawaï peut sembler un paradis tropical offrant une myriade de plages vierges, de couchers de soleil féériques, de cataractes ombreuses et musicales se jetant depuis la roche en de longues et fines suites de perles argentées. Hawaï peut aussi paraitre comme un tableau coloré de forêts luxuriantes et de récifs coralliens peu profonds où filent des nuées de poissons multicolores et les ombres de requins fascinants et dangereux… Mais ce qui distingue ce chapelet d'îles du reste de monde, c'est sa culture ; une culture faite de coutumes, de musiques, de légendes, de traditions et de valeurs uniques.

Mais de nos jours, que sont devenus les neiges d'antan, les rois anciens, les dieux et les vallées sacrées ?
Le délitement des liens familiaux ou celui des terres et des roches formant les îles, surprenant et entrainant innocemment dans leur chute le pèlerin en quête de vérité, sont-elles l'oeuvre de la nature ou une autre façon de nous parler ?

À chacun, l'âge venu, la découverte ou l'ignorance.
Kaui, Dean ou Nainoa, Malia ou Augie pourraient chanter comme le faisait le groupe Tri Yann en 1976 ; des paroles que je reprends presque mots pour mots en remplaçant français par américain et Bretagne par Hawaï.
- "Américain d'état civil, je suis américain et j'assume à chaque instant ma situation d'américain. Mon appartenance à Hawaï n'est en revanche qu'une qualité facultative que je peux parfaitement renier ou méconnaître...
Je l'ai d'ailleurs fait...
J'ai longtemps ignoré que j'étais hawaïen... Américain sans problème. Il me faut donc vivre Hawaï en surplus et pour mieux dire en conscience... Si je perds cette conscience, Hawaï cesse d'être en moi.
Si tous les hawaïens la perdent, elle cesse absolument d'être... [...] À chacun, l'âge venu, la découverte... ou l'ignorance."

Je vous invite au voyage...

Et je remercie l'opération Masse Critique ainsi que les éditions GALLIMARD pour m'avoir soumis ce roman... délicieusement atypique.
Merci aussi à la personne qui se charge des envois car son écriture est fort belle ; quel bonheur de recevoir un pli où l'adresse manuscrite est apposée avec autant de grâce !
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Au temps des requins et des sauveurs est un roman dense, poétique, sauvage, à l'image d'Hawaii, de sa nature et de ses habitants. Bien loin de la carte postale paradisiaque que nous pouvons toutes et tous avoir en tête, Kawai Strong Washburn, originaire de l'archipel, nous montre l'envers du décor: la pauvreté, relative certes car comme le dit la chanson, elle est moins terrible au soleil, la lutte pour survivre dans cette partie de l'Amérique à la fois loin du continent et du rêve américain. Mais Hawaii c'est aussi ses dieux, ses croyances, ses rêves les plus fous, ses habitants à la fois durs et accueillants.

Et de rêves et de croyances, il en est question ici. La légende commence très tôt pour le petit Nainoa, tombé à l'eau, dans le Pacifique, lors d'une paisible balade en famille. Des requins l'encerclent, tout le monde arrête de respirer, s'attendant à l'inévitable, au pire. A la place, un requin le prend dans ses mâchoires et le ramène tranquillement à sa mère. Il a sept ans, élevé désormais au rang de dieu vivant. Cela aurait pu s'arrêter là mais, quelques années après, il montre des dons de guérisseur. Cela fera le tour de la ville, les gens défilant à la maison pour le rencontrer. Ses parents, sa mère surtout, savaient bien qu'il était spécial, que c'est lui qui parviendrait à les sauver, eux qui peinent à joindre les deux bouts depuis la fermeture de la plantation de cannes à sucre.
Mais comment un enfant, aussi génial soit-il, peut-il porter ce poids sur ses épaules? Et qu'en est-il du frère aîné, Dean, et de la petite soeur, Kaui, comment peuvent-ils grandir, trouver leur place, au sein de cette famille dont ils pensent, légitimement sûrement, qu'ils doivent mériter d'appartenir? Par le sport, pour Dean; par l'école, pour Kaui. Loin de l'archipel, pour tous les trois.

Ce roman polyphonique nous transporte au sein de cette famille sur environ quinze ans, d'Hawaii au Continent, auprès de chacun de ses membres, particulièrement les enfants devenus de jeunes adultes. C'est dur, violent parfois, mais toujours porté par un amour indéfinissable et pudique, entre eux et pour leur Hawaii bien loin de la vision idyllique que véhiculent bien des fantasmes. Mais c'est leur Hawaii.
Il y a un proverbe (ou une citation, je ne sais plus) qui dit "partir un peu, revenir beaucoup", je trouve que cela résume parfaitement l'ambiance de ce roman: quitter son île pour mieux y revenir; briser des liens familiaux pour mieux les reconstruire.

J'ai beaucoup aimé ce roman que j'ai trouvé foisonnant, âpre, riche, on sent que l'auteur sait de quoi il parle. Je me sentais en osmose avec les personnages, ayant bien entendu mes préférences, la preuve que l'histoire, et l'écriture, ont bien fonctionné sur moi. Et l'écriture, parlons-en. C'est clair que Kawai Strong Washburn n'écrit pas avec ses pieds, en prime servie par une très belle traduction de Charles Recoursé (on oublie souvent de saluer le talent des traducteurs alors qu'ils sont pour beaucoup dans le succès littéraire d'un livre), et quand on sait qu'il s'agit ici d'un premier roman, on se dit que la littérature, américaine ici, a de belles années devant elle.

Mais, car oui, il y a un mais, on sent aussi ici, justement, l'écueil des premiers romans: vouloir trop en dire, trop en faire, trop détailler, ce qui donne au final un roman qui souffre de certaines longueurs, voire de langueur, ce qui ôte un peu de force à ce roman pourtant puissant.

En résumé, une très belle découverte pour ce premier roman qui, je l'espère, trouvera ses lecteurs à la rentrée.
Si vous aimez la nature, les sagas familiales, mais loin des clichés du genre, la qualité littéraire, ce roman pourrait vous séduire et vous plaire. Et même si le roman nous montre une autre vision d'Hawaii, loin des clichés touristiques, Hawaii restera toujours Hawaii, pour nous et pour ses habitants.

Un grand merci à Babelio, et particulièrement à Pierre, pour me l'avoir proposé dans le cadre d'une masse critique privilégiée, ainsi qu'aux éditions Gallimard pour l'envoi de de roman qui aura enchanté mon début de vacances.

Lu en août 2021

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"Au temps des requins et des sauveurs", c'est l'histoire d'une famille hawaiienne : les parents (Malia et Augie), et leurs trois enfants (deux frères, Dean et Nainoa, et leur soeur, Kaui). Une famille plutôt fauchée qui se retrouve tiraillée par la personnalité exceptionnelle du cadet, dont l'histoire tient de la légende (sauvé par un banc de requins, on lui attribue un don de guérison). Une personnalité bénie des dieux qui devient progressivement étouffante pour son frère et sa soeur, pourtant eux aussi dotés de grandes qualités, d'où rancoeur et amertume. Une personnalité qui s'avère aussi être un fardeau pour Nainoa lui-même, pire une malédiction...

J'ai vraiment été séduit par cette histoire un brin mystique. J'ai apprécié la très belle écriture vivante, imagée, chaude, charnelle parfois. La construction, par alternance des récits de la mère et des enfants, des personnages assez attachants, contribue également à la réussite de l'histoire. Ce roman dépaysant, au titre original et poétique, constitue enfin une belle découverte de la culture hawaïenne, finalement assez méconnue.

Un grand merci à Babelio et à Gallimard pour m'avoir permis de recevoir ce roman de la rentrée littéraire dans le cadre d'une récente opération Masse Critique !



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Hawaï, des requins et des hommes. C'est au coeur du Pacifique que nous embarque ce premier roman vibrant qui épouse la destinée singulière de la famille Flores, dont les voix tout à tour racontent une vie de tiraillements et de misère, d'ascension et de chute. Mais d'amour aussi, de celui qui brûle coûte que coûte quand les enfants sont loin et que le lien semble rompu. Ils sont trois les enfants Flores, Nainoa l'aîné marqué par les dieux, Kaui l'incandescente rebelle (mon personnage préféré) et Dean le besogneux, et chacun à leur façon, ils vivent dans leur coeur l'appartenance à leur île alors que leur corps se perd dans les grandes villes lointaines. Mais l'île les rappelle, les récits légendaires les habitent et les contraignent à trouver leur propre voie du retour.

Washburn compose avec talent un récit à l'aura mystique qui interroge le déracinement, la perte du lien à la nature, la nécessaire reconnexion aux vibrations originelles, et la solitude aussi, celle de Hawaïens qui ne reconnaissent plus leur île remodelée pour les touristes, celle de ceux qui partent dans le gris avec l'espoir d'une vie meilleure. J'ai aimé cette plongée dans la culture hawaïenne, j'ai été déstabilisée parfois (notamment par l'absence de traduction des termes hawaïens) et finalement, je me suis laissée bercée par les chants et les danses, par les souffrances endurées et l'amour qui réunit, et surtout par la poésie mystique qui émane de cette île dans le regard de Kawai Strong Washburn.

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Kawai Strong WASHBURN. Au temps des requins et des sauveurs.

Ce roman débute en 1995 et s'achève en 2009. Quinze années. Il nous plonge dans la culture hawaïenne. Cependant nous ne fréquentons ni les palaces, ni les plages paradisiaques. Nous sommes au contact direct de la population locale autochtone, des petites gens, issus de la terre. Augie, son épouse Malia et leurs trois enfants constituent notre famille. La canne à sucre a disparu et le chômage touche toute la population. La famille, pour survivre à la crise agricole vend ses terres, les unes après les autres. Augie travaille à l'aéroport, il est bagagiste. Malia, son épouse, cumule les emplois dans le secteur de l'agro-alimentaire afin d'obtenir un salaire, puis elle conduit un car, la nuit. Les enfants se débrouillent seuls. Ce couple désire leur bonheur et ils les expédient sur le continent afin qu'ils poursuivent leurs études et obtiennent une bonne situation.

Croulant sous les dépenses, lors de la dernière vente de leurs terres, ils s'offrent une sortie en mer. Lors de cette excursion Nainoa, le plus jeune enfant, tombe à la mer. Il y a des requins dans cette zone et ces derniers encerclent le garçonnet…. et miracle, ils l'épargnent et l'escortent. Sauvé, cet enfant va découvrir qu'il possède des dons de guérison. Don que les parents vont exploiter et recevoir de l'argent ou de la nourriture. Mais Nainoa devient prisonnier de ce privilège. Il est l'incarnation des légendes des peuplades de cette île.

Ce roman choral nous plonge dans la vieille civilisation hawaïenne. Petit à petit les liens fratricides, maternels, d'amour vont se distendre. Chacun va se réfugier dans ses propres croyances, ignorant la souffrance des autres membres. La chute inexorable sera dure. Dean, le basketteur au destin brisé, Nainoa, doté de pouvoirs de guérison, se perdra dans la nature, et Kaui, l'intellectuelle reviendra sur les lieux de son enfance. Kawai Strong WASHBURN nous fait découvrir les premiers habitants de cette île, leurs cultures, leurs croyance, leur force. L'introduction des colonisateurs a détruit cette civilisation. Une approche de la vie tranquille sur ces archipels, bien loin du tourisme, vivant en harmonie avec les éléments naturels, subissant les colères de la terre, communiant en toute sérénité avec cette terre qui les fait vivre. C'est la découverte de cultures ancestrales, des coutumes, des croyances colportées par les hommes, l'harmonie avant la grande conquête des prédateurs qui ont transformé ce territoire en terre aride, rongé par le tourisme et le profit. C'est un véritable chemin de croix que nous décrit l'auteure. Quatre grandes parties scindent ce récit : Libération, Ascension, Destruction et Renouveau. L'écriture est agréable, fluide. Beaucoup de sensibilité, d'humilité et d'amour. (22/11/2021).
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"Au temps des requins et des sauveurs" vous emmène à Hawaii, il y a le soleil, la mer, le hula et l'extrême pauvreté des habitants qui voient défiler les touristes. Kawai Strong Washburn donne la parole à la famille Flores dans leur maison miteuse avec le salaire pourri et trois enfants à nourrir. L'un deux Nainoa, surnommé Noa, est une légende locale, petit il a été sauvé de la noyade par un requin montrant un lien avec la nature fort, plein de la magie d'une terre qui mérite mieux que les clichés des haoles mais dont le poids est parfois trop lourd à porter. L'inconvénient du frère prodige, c'est qu'il faut se battre pour exister, par le sport pour Dean, par l'école pour Kaui mais est-ce que cela peut vraiment suffire?
Dans ce récit qui remet à l'honneur le réalisme magique, on trouve le défaut du premier roman : une volonté de trop en faire et donc d'imposer quelques longueurs au lecteur. Mais dans ce récit, on trouve surtout beaucoup de beauté, d'intelligence et d'amour, ce qui est de bon augure pour la carrière de l'auteur et nos lectures à venir.
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Je me suis rapidement laissée happer par ce livre atypique qu'il est difficile de classer dans une catégorie littéraire.

Il s'agit d'une histoire polyphonique qui nous est narrée par Malia (la matriarche), ainsi que par Nainoa, Dean et Kaui (ses enfants). Tous grandissent à Hawaï, initialement loin des grandes villes touristiques. Ils tentent de vivre en harmonie avec la nature et de perpétuer les coutumes ancestrales de l'île.

Si les enfants se créent de tendres souvenirs en se confrontant aux éléments, en jouant dans les vagues puissantes portées par l'Océan ou encore en se désaltérant à coup de sodas sucrés qui collent aux doigts, la famille est malheureusement rattrapée par les soucis financiers et est contrainte de quitter la Vallée pour se rapprocher d'Honolulu. Là-bas, la vie a une saveur différente. Les tours de bureaux et les complexes hôteliers prennent le pas sur la nature, les touristes (les « haoles ») envahissent plages et cafés et la vie des insulaires doit s'adapter au détriment des légendes et coutumes hawaïennes.

C'est dans ce climat délétère que les parents de Nainoa, Dean et Kaui tentent de survivre en cumulant plusieurs petits boulots pour pouvoir nourrir leurs trois enfants.

Le fragile équilibre familial va être bouleversé par un événement proprement extraordinaire : lors d'une excursion en bateau, Nainoa tombe à l'eau, encerclé par un banc de requins. Ces derniers vont toutefois le prendre dans leurs mâchoires et le ramener, sain et sauf, à l'embarcation. Aussitôt, il devient une légende locale et cristallise les espoirs de sa mère qui voit en lui un élu des anciens Dieux, ayant pour mission de sauver Hawaï et de lui redonner sa sauvage prestance d'antan.

Constamment déifié et érigé en sauveur, Nainoa va effectivement s'avérer doté de dons qui sont, en réalité, une malédiction, bien trop grands et lourds à porter pour une seule personne. Que faire seul face à la transformation du monde et à l'avènement du nouveau Dieu qu'est le capitalisme ?

Dean et Kaui ne supportent plus toute cette attention qui est donnée à leur frère, à leur détriment. A l'image d'Hawaï, la famille se disloque doucement mais sûrement. Ils finissent par partir vivre leur vie d'adultes sur le Continent. le rêve américain n'est toutefois pas si accessible qu'on voudrait nous le faire croire…

Chacun nous raconte son histoire jusqu'à la catharsis. le tout sur fond de mysticisme et de mythologie insulaire (en témoigne d'ailleurs le découpage très biblique du roman en quatre parties : « Libération », « Ascension », « Destruction », « Renouveau »).

La psychologie des personnages est développée et intéressante. Je me suis beaucoup attachée aux trois membres de la fratrie, tous très différents les uns des autres, avec leur propre personnalité, aspirations et démons (ce qui est d'ailleurs bien retranscrit via le style des différents chapitres qui leur sont dédiés, à la façon de monologues intérieurs).

L'île d'Hawaï est, bien sûr, un personnage à part entière. Peut-être même le plus important de tous. On sent que seul un auteur Hawaïen pouvait écrire cette histoire et rendre hommage de cette façon à son île, sa culture et son héritage.

J'ai apprécié le style de Kawai Strong Washburn, lequel m'a transporté dans cette atmosphère envoûtante et a su convoquer des émotions à plusieurs passages.

Je suis tout de même un peu perplexe quant à la fin de l'histoire dont l'interprétation m'échappe, je dois bien l'avouer. Cependant, l'important n'est, selon moi, pas les dernières pages du roman. En effet, l'intérêt réside dans la dimension psychologique et l'analogie entre le drame vécu par cette famille déracinée au sein même de son île et le destin d'Hawaï qui s'occidentalise quitte à en oublier son passé.

En bref : Une lecture différente de ce dont j'ai l'habitude (en lisant les chroniques d'autres lecteurs, je constate que je ne suis pas la seule à avoir quitté ma zone de confort littéraire avec ce premier roman de Kawai Strong Washburn). J'ai toutefois pris plaisir à découvrir un petit bout d'Hawaï dans toute sa complexité et ses enjeux actuels via une famille qui, malgré les mésententes et les incompréhensions, continue de s'aimer à sa façon. Une expérience de lecture que je vous recommande donc.
Lien : https://thecosmicsam.com
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