Derrière moi, j'entendis le même homme demander :
- Où donc est Dieu ?
Et je sentais en moi une voix qui lui répondait :
- Où il est ? Le voici - il est pendu ici, à cette potence...
Dans un ultime moment de lucidité, il me sembla que nous étions des âmes maudites errant dans le monde du néant, des âmes condamnés à errer à travers les espaces jusqu’à la fin des générations, à la recherche de leur rédemption, en quête de l’oubli - sans espoir de le trouver.
En quelques secondes nous avions cessé d’être des hommes
J'ai plus confiance en Hitler qu'en aucun autre. il est le seul à avoir tenu ses promesses, toutes ses promesses au peuple juif.
Un jour je pus me lever, après avoir rassemblé toutes mes forces. Je voulais me voir dans le miroir qui était suspendu au mur d'en face. Je ne m'étais plus vu depuis le ghetto.
Du fond du miroir, un cadavre me contemplait.
Son regard dans mes yeux ne me quitte plus.
« — Juifs, écoutez-moi. C’est tout ce que je vous demande. Pas d’argent, pas de pitié. Mais que vous m’écoutiez, criait-il dans la synagogue, entre la prière du crépuscule et celle du soir.
Moi-même, je ne le croyais pas. Je m’asseyais souvent en sa compagnie, le soir après l’office, et écoutais ses histoires, tout en essayant de comprendre sa tristesse. J’avais seulement pitié de lui.
— On me prend pour un fou, murmurait-il, et des larmes, comme des gouttes de cire, coulaient de ses yeux.
Une fois, je lui posai la question :
— Pourquoi veux-tu tellement qu’on croie ce que tu dis ? À ta place, cela me laisserait indifférent, qu’on me croie ou non…
Il ferma les yeux, comme pour fuir le temps :
— Tu ne comprends pas, dit-il avec désespoir. Tu ne peux pas comprendre. J’ai été sauvé, par miracle. J’ai réussi à revenir jusqu’ici. D’où ai-je pris cette force ? J’ai voulu revenir à Sighet pour vous raconter ma mort. Pour que vous puissiez vous préparer pendant qu’il est encore temps. Vivre ? Je ne tiens plus à la vie. Je suis seul. Mais j’ai voulu revenir, et vous avertir. Et voilà : personne ne m’écoute… »
Nous discutâmes ainsi un long moment. Je sentais que ce n'était pas avec lui que je discutais mais avec la mort elle-même, avec la mort qu'il avait déjà choisie.
Je devins A-7713. Je n'eux plus désormais d'autre nom.
- Tu ne comprends pas, dit-il avec désespoir. Tu ne peux pas comprendre. J'ai été sauvé, par miracle. J'ai réussi à revenir jusqu'ici. D'où ai-je pris cette force ? J'ai voulu revenir à Sighet pour vous raconter ma mort. Pour que vous puissiez vous préparer pendant qu'il est encore temps. Vivre ? Je ne tiens plus à la vie. Je suis seul. Mais j'ai voulu revenir, et vous avertir. Et voilà : personne ne m'écoute ...
Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit au camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.
Jamais je n’oublierai cette fumée.
Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet.
Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma Foi.
Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui ma privé pour l'éternité du désir de vivre.
Jamais je n’oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert.
Jamais je n’oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui même.
JAMAIS.