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Critique de Arimbo




Quel chance nous avons, nous lecteurs babeliotes, d'avoir, dans ce monde de brutes, la compagnie des livres, et la possibilité de partager nos découvertes et nos analyses.

C'est encore d'un formidable roman de Virginia Woolf dont il faut que je vous parle aujourd'hui. Cette autrice est devenue, au fil du temps, un.e. de ces écrivain.e.s qui figurent mon Panthéon littéraire, c'est à dire ces auteur.e.s dont je rassemble les livres dans une partie de ma bibliothèque (on a le Panthéon qu'on peut).

Les mots me manquent pour dire toute la beauté de ce livre.

Pourtant, aux premières pages, le lecteur de Mrs Dalloway-Les vagues- Les Années- La promenade au Phare que je suis, s'est trouvé déconcerté par cette narration si différente, exubérante et fantaisiste, voire parodique, choisie délibérément par Virginia Woolf, qui disait d'ailleurs, qu'après avoir écrit La Promenade au Phare, ce livre était pour elle une sorte de « récréation d'écrivain ».
Mais, très vite, on se laisse emporter par l'histoire d'Orlando, présentée avec humour comme une biographie, qui va se dérouler depuis le 16ème siècle, où le jeune Orlando devient le courtisan favori de la Reine Elizabeth 1er, puis ambassadeur à Constantinople, se réveille en femme après une semaine de sommeil, vit dans une communauté de Tziganes, se retrouve au 18ème siècle où elle fuit la vanité et la futilité des salons pour le commerce des écrivains et poètes. Puis la voilà au 19ème siècle à l'époque victorienne dont elle critique notamment les moeurs rigides, la nature défigurée par l'industrialisation, mais qui lui fait rencontrer un aventurier des mers, Lord Marmaduke Bonthrop Shelmetdine (sic), qu'elle prénomme affectueusement Shel, avec lequel elle se marie et a un enfant. Et enfin, nous la retrouvons en 1928, année de la rédaction d'Orlando.

Une fois n'est pas coutume, je m'aperçois que je viens de vous « spoiler » ce roman, mais ce n'est pas cette histoire improbable qui est le plus important, c'est ce qu'elle sous-tend.
Je vais essayer de vous livrer les points qui m'ont marqué:

Avant tout, Orlando est, pour moi, un livre d'une folle liberté, une apologie, une défense de la liberté : la liberté revendiquée de la narration romanesque, avec une narratrice prétendument « biographe », qui intervient pour commenter les actions et parfois l'absence d'action, de son personnage, souvent avec un humour, une ironie qui m'ont fait sourire et parfois bien rire (ce dont je ne la croyais pas capable, marqué que je suis par l'image d'une Virginia dépressive et suicidaire). Cette manière de commenter les actions de son personnage me rappelle Sterne, Diderot, ou plus près de nous, Kundera. Et puis, il y a, surtout, cette façon de revendiquer pour chacune et chacun la liberté de choisir sa vie. Poussé à l'extrême ici, on peut être homme ou femme, vivre à une époque ou à une autre, peu importe, ce qui compte c'est la qualité d'être humain qui compte. Certains parlent de ce roman comme un roman féministe. Oui c'est vrai, et d'ailleurs ce livre est dédié à l'autrice féministe Vita Sackville-West avec laquelle Virginia Woolf a eu une liaison passionnée. Mais, plus que cela je trouve que c'est un roman humaniste, et qui plus est, qui prône l'harmonie de l'être humain avec la Nature, et cela nous parle en ces moments où nous sommes confrontés aux dégâts terribles que l'exploitation insensée de notre planète, notre démographie galopante, ont fait à la Nature.


L'autre aspect remarquable, qui traverse tout le livre, c'est la littérature ou plutôt la création littéraire. Orlando est d'abord un grand lecteur (ou une grande lectrice, selon l'époque), puis va s'essayer à l'écriture de différents genres littéraires. Son ambition littéraire est d'abord moquée au 16ème siècle dans un pamphlet de l'auteur Nicolas Greene, qu'Orlando avait reçu chez lui (à ce moment il était un homme). Au 18ème siècle, elle essaie d'avoir les conseils des célèbres Swift et Pope, et du moins célèbre Addison, mais tous préfèrent parler d'autres sujets, et Orlando constate d'ailleurs que leur vie, leurs pôles d'intérêt ne permettent pas de deviner le génie dont ils témoignent dans leurs oeuvres. Et puis le 19ème siècle voit Orlando reprendre l'écriture, et reprendre notamment la rédaction de son grand poème le Chêne, débutée en 1592! Nous la retrouvons enfin, écrivaine reconnue et couronnée par un Prix prestigieux lorsque la rédaction du livre se termine, en 1928. Toutes proportions gardées, cette préoccupation d'écrire une oeuvre fait penser à son contemporain Marcel Proust. En effet, dans La recherche du temps perdu, le narrateur se pose cette question récurrente de l'écriture d'un livre, et ce sont les dernières pages du dernier tome qui en exposent le thème. Il y a aussi chez Proust cette idée forte, exprimée dans le Contre Sainte-Beuve, que la vie publique d'un auteur n'explique en rien le moi profond qui s'exprime dans son oeuvre, idée exprimée aussi au détour de la vie d'Orlando

Enfin, le voyage d'Orlando au fil des siècles nous dépeint les évolutions de la ville de Londres, du paysage urbain, et des campagnes de l'Angleterre, avec notamment la laideur liée à l'industrialisation au 19ème siècle. . Et surtout Virginia Woolf décrit de façon très critique, mais avec finesse, humour et ironie, les évolutions de moeurs depuis le 16ème siècle. Sans entrer dans les détails, je citerais la violence et l'insouciance de l'époque élisabéthaine, la vanité des salons littéraires du 18ème siècle, la pruderie et le rigorisme de l'époque victorienne. Là, c'est la féministe qui parle, et qui critique la condition faite à la femme en ce temps-là: le corps enfermé sous plusieurs couches de vêtements de façon à ne laisser rien paraître de ses formes, la fonction unique de la femme étant la reproduction avec un objectif de faire dix à quinze enfants, etc… Et qui se réjouit que la condition des femmes se soit un peu améliorée au début du 20ème siècle. Je n'ai pu pourtant m'empêcher de penser que 100 ans après, cette liberté soit bâillonnée dans tant de parties du monde, Afghanistan, Iran, Arabie saoudite, et tant de pays musulmans où la femme est contrainte de cacher son corps ses cheveux et même son visage. Et que penser de certaines communautés de notre propre pays.

Il y aurait sans nul doute bien d'autres choses à dire. Par exemple, le caractère toujours positif, optimiste et tolérant d'Orlando, sa curiosité de tout.

Voilà, j'espère vous avoir convaincus, chères lectrices et chers lecteurs de Babelio, de lire ce livre étonnant, flamboyant, grisant de fantaisie sans être futile, et où passe le souffle de la liberté.



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