Manabu Ito vient voir Musumu Nakoshi pour lui offrir un petit cadeau de Noël. La discussion s'envenime et Ito repart. Nakoshi est interpellé par un SDF parce qu'Ita vient de se donner la mort, en ayant replié sa tante, rangé ses affaires, et en laissant un petit sapin de Noêl décoré, avec une photographie de sa fille.
Nakoshi retourne à sa voiture, où Nanami l'attend. Elle lui a apporté des noodles qu'elle a mis dans sa voiture. Elle lui demande de passer chez elle, où elle récupère des sacs remplis de billets de banque. Ils roulent au hasard. Ils discutent vivement dans la voiture et Nakoshi lui montre les traces de trépanation. La voiture fait une embardée sur le côté. Il s'en suit un nouveau face-à-face et une nouvelle discussion à coeur ouvert.
Avec ce dernier tome de la série, le lecteur abandonne ces personnages (essentiellement Musumu Nakoshi, avec Manabu Ito et Manami, mais aussi les SDF) pour de bon, ces ultimes chapitres apportant une conclusion en bonne et due à la quête existentielle du personnage central (il est difficile de le qualifier de héros, malgré sa détermination à s'émanciper du mensonge). le lecteur ressort satisfait d'avoir atteint le terme du voyage, en ayant observé quelques péripéties supplémentaires (un yakusa et un butin), de nouvelles discussions apportant une forme d'aboutissement à l'obsession de fusion psychologique et affective de Nakoshi avec Nanami, et une forme de mode de vie acceptable pour Nakoshi.
L'auteur reste fidèle à son exigence envers lui-même en continuant de faire progresser son intrigue, en la faisant évoluer sans se répéter. Les nouveaux développements prennent leur source dans des faits antérieurs exposés dans les autres tomes. Même l'intervention dramatique d'un yakusa pas commode établit comme un écho à l'apparition d'un yakusa dans le tome 1, renforçant la structure symétrique de la narration autour du tome médian (le 8). Dans cette logique, il y a bel et bien une nouvelle trépanation, mais qui n'est pas un simple copié-collé de celle du tome 1 (il y a bien eu une progression dramatique durant ces 15 tomes).
À l'issue de ces 2.500 pages, le lecteur peut faire le bilan du voyage qu'a constitué cette lecture.
Hidéo Yamamoto est un auteur ambitieux qui maîtrise son art de mangaka comme peu d'autres. Dès le départ, il a mis un point d'honneur à montrer, plutôt que de dire ou d'écrire. Ce parti pris narratif est d'autant plus méritoire (voire téméraire) que le thème central relève de la psychanalyse, c'est-à-dire de la vie intérieure de l'individu, de sa manière d'appréhender le réel, de le ressentir, appliqué plus spécifiquement à la relation aux autres, aux exigences de la vie en société, à ses non-dits, ses contraintes, ses cruautés. Encore plus impressionnant, Yamamoto a sondé et exposé cette facette de la condition humaine, sans jamais utiliser le vocabulaire de la psychanalyse et des différentes psychothérapies.
En surface, "Homunculus" est un récit à l'intrigue assez étriquée, avec quelques rebondissements requérant parfois un peu de suspension consentie d'incrédulité, sans héros (mais avec un personnage principal), se lisant très rapidement (de l'ordre d'un quart d'heure pour un tome de 200 pages). Il s'agit d'un drame, ayant l'ampleur d'un roman épais, avec une forte dimension psychologique et sociétale. le lecteur l'appréciera d'autant plus qu'il ressent une attirance pour ces sujets.
Plusieurs SDF jouent un rôle important dans le récit, mais cela n'en fait une critique de la société japonaise, de la compétitivité entre individu, ou du capitalisme sauvage. L'enjeu est établi dès le premier tome : Musumu Nakoshi souhaite établir une communication honnête et totale avec ses frères d'humanité. Les hasards de la vie l'ont placé dans une situation qui rend cette quête possible, mais il en ignore les moyens. L'auteur sonde alors l'obligation du paraître en société, les masques portés par tout à chacun, l'indiscernable siège de la conscience, la nature du moi, tout en mettant à nu l'évidence du fonctionnement d'une société. Elle fonctionne quels que soient les individus, elle survit à la mort des individus, elle ne dépend pas de la participation d'un individu plutôt que d'un autre. L'individu en tant qu'unité n'a aucune valeur dans l'analyse systémique de la société ; il y en a des milliards d'autres. Il y en a eu des milliards par le passé, et il y en aura encore vraisemblablement des milliards.
Hidéo Yamamoto scrute avec un point de vue personnel plusieurs dichotomies être/paraître, corps/esprit, respect/confiance, tout en échappant à chaque fois à un exposé binaire du type pour/contre. Il met en scène un personnage écoeuré par la futilité de son existence passée à détruire (des entreprises) plutôt que créer (évoquant la maxime d'Alphonse de Lamartine : il est plus facile de détruire que de construire), et dégouté par la gangue de mensonges et de faux semblants qu'il a patiemment et savamment érigée pour parvenir à un statut social, recouvrant ainsi son être primordial.
En profondeur, "Homunculus" est un récit structuré à l'échelle des 15 tomes se dévorant rapidement, et ne révélant sa saveur qu'à condition d'y réfléchir.
Hidéo Yamamoto a conçu son récit pour qu'il se lise tout seul et rapidement, avec quelques passages chocs pour capter l'attention du lecteur. Ce dernier ne peut capter la densité narrative que s'il prend le temps de s'interroger sur ses réactions aux actes et aux sentiments des personnages. Pourquoi ressentir un tel dégout ou un tel mépris ? En quoi le comportement de ce personnage me dérange ? En quoi il remet en cause mes propres certitudes, mon confort psychologique ? Qu'est-ce qui me fait me sentir supérieur à Musumu Nakoshi ?
Une fois que ces questions trottent dans la tête du lecteur, il se trouve confronté à des interrogations peu confortables. Voilà 10 ans, 20 ans que j'exerce le même métier, suis-je en train de construire quelque chose qui en vaut la peine ? Je ne supporte pas tel collègue ou telle connaissance parce qu'il s'habille mal, parce que sa manière de se gratter le nez me déplaît. Qu'est-ce que ma réaction m'apprend sur moi-même ? Quelle sorte de valeur met-elle à jour ?
Sans aucun doute, ces 2.500 pages ont constitué un voyage exceptionnel et d'une rare honnêteté. Certes il comporte des défauts, et l'utilisation du concept d'homunculus sensitif ne correspond pas à la définition admise par les neurosciences. Ce sont de maigres défauts, mis en regard d'un roman d'une telle ampleur, d'une telle richesse, d'une telle intelligence, bénéficiant d'une science de la narration graphique, allant jusqu'à donner un petit goût de tourisme à certaines séquences, tout en montrant l'universalité de la condition humaine.