Premier roman d'une artiste aussi discrète que remarquée, "
Mise à feu" signe l'entrée dans la littérature de la jeune musicienne et chanteuse
Clara Ysé. Son nom ne vous dit rien ? Sa voix, comme surgie des profondeurs, évoque quelque chose d'une Barbara des temps modernes lorsqu'elle entonne "Le Monde s'est dédoublé", EP sorti en 2019 qui nous fait encore frissonner. Son univers d'autrice-compositrice, quelque part entre féérie et fantômes, annonçait une écriture prometteuse. le prix littéraire de la Vocation est venu couronner
Mise à feu en 2021, cette année également sélectionné au prix des lecteur du Livre de Poche.
Et si l'oeuvre est aussi discrète que son autrice, on comprend les récompenses et les nominations, on comprend l'engouement discret mais renouvelé pour ce premier roman magique et dérangeant. "
Mise à feu" semble s'affranchir des frontières entre le réel et l'imaginaire tout en parvenant à s'imposer comme un texte de littérature générale, ce label si français pourtant synonyme de cases auxquelles se conformer et de cadre à ne pas dépasser. En racontant l'histoire de Nine et Gaspard, c'est un peu celle d'Hansel et Gretel, ou celle de Kay et Gerda, que
Clara Ysé réinvente ici. Un frère et une soeur confrontés à la cruauté de la perte et de l'absence, à un monde où l'on comprend le langage des oiseaux et ou l'on nomme le méchant d'un pseudonyme de prince noir, façon Barbe-Bleue.
Car il y a, à n'en pas douter, du conte dans "
Mise à feu" : "il était une fois un frère et une soeur contraints d'aller vivre chez leur oncle pendant la mystérieuse absence de leur mère, mais leur oncle, ogre vorace, décide de ne pas les laisser en paix". A la fois enfants, adolescents et, déjà, trop adultes, Nine et Gaspard nous font osciller entre un monde gouverné par la pensée magique et un autre, plus violent, parfaitement ancré dans la réalité. L'autrice nous fais passer de l'un à l'autre avec une fluidité aussi surprenante que le résultat convainc, malgré son étrangeté.
Fille de la célèbre psychanalyste et philosophe
Anne Dufourmantelle,
Clara Ysé distille en arrière plan de sa fable noire quelque chose de profondément psychanalytique : la quête de ces enfants qui ne sont pas tout à fait des enfants, motivée par les lettres qui leur parviennent de leur mère, est-elle réelle ? Ou seraient-ils en train de se raconter des histoires, se bercer d'illusions, pour ne pas faire face à l'impensable ? Habité de musiques et de symboles, "
Mise à feu" pique et intrigue également lorsque l'autrice, qui ne craint pas la crudité, suggère l'incestuel ou raconte le rapprochement des corps.
En bref : Quelque chose des "Innocents" de Bertolucci raconté par Andersen, "
Mise à feu" est un texte qui oscille entre féérie et cruauté, entre beauté et mélancolie, entre rage et poésie.
Clara Ysé signe un premier roman enfiévré et incandescent qui porte le lecteur par son étrangeté électrique. Aussi musical que littéraire, ce récit a la forme d'une fuite, dans tous les sens du terme.
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