Tous les volumes de cette collection (qui paraissent aussi, depuis quelques années, en français) présentent les mêmes qualités de sérieux et de solidité d'étude : le texte hébreu est accompagné d'une explication, d'un commentaire qui résume les principales lectures orthodoxes du livre en question depuis les origines.
Quand j'ai acheté et ouvert ce petit volume consacré au bref poème qu'on appelle "Le cantique des cantiques", il y a des années, j'ai d'abord été déçu de ne pas trouver l'analyse littérale que je voulais. L'hébreu poétique n'est pas facile. Puis, en voyant la traduction anglaise allégorique qui accompagnait le texte original, j'ai été agacé. Ainsi, le verset 2, "Qu'il m'embrasse des baisers de sa bouche car ton amour est meilleur que le vin", devenait-il : "communique-moi ta sagesse secrète dans le cadre de notre relation, car ton amitié m'est plus chère que tous les plaisirs terrestres". C'était bien lourdingue, bien pudibond, bien moral. Encore un coup des rabbins-la-vertu ! Et puis, on se rend compte que chaque choix de traduction est justifié par une demi-douzaine de textes antiques et modernes, que rien n'est laissé au hasard et que la pudibonderie n'a rien à voir avec l'affaire. Ce livre est destiné à faire étudier le Cantique des Cantiques, ce chant d'amour, d'amour total, et non à le faire lire : les traductions poétiques sans commentaire explicite abondent sur le marché.
Enfin, un chant d'amour : c'en est un, du genre que les savants nomment épithalame, puisqu'il accompagne le mariage. Il est évidemment sensuel, amoureux, passionné. L'allégorie, les sens cachés et les métaphores religieuses ne viennent pas effacer la force sensuelle du poème, mais lui donner une profondeur que n'atteindrait pas la sensualité livrée à elle-même. A l'inverse, l'amour humain présent dans ce poème n'oblitère en rien les résonances mystiques et religieuses du texte : les deux dimensions, loin de rivaliser et de se nier l'une l'autre, se complètent. La Cabale se fonde tout entière sur cette solidarité du "haut" et du "bas" : rien de ce qui se passe "en bas", entre les corps des époux, n'est sans effet sur ce qui a lieu "en haut", dans le monde des âmes et des êtres spirituels, qui s'épousent aussi. On apprend, à la lecture de ce poème et du Zohar qui se construit sur lui, qu'il n'y a qu'un seul mal : non pas la sexualité, comme on l'a longtemps cru, mais la sexualité sans âme et sans Dieu.
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Note sur le verset 1 du chapitre 5.
La division de la Bible en chapitres est d'origine non-juive, introduite au Moyen-Age par des éditeurs chrétiens. La plupart des Bibles juives suivent ces divisions à des fins d'uniformité et d'identification. Dans les manuscrits massorétiques [traditionnels] le texte est divisé selon plusieurs systèmes traditionnels - dont certains n'ont jamais été pris en compte dans les éditions imprimées. Le plus notable de ces systèmes est celui des "patou'hot" (divisions en lignes ouvertes) et des "setoumot" (espaces fermés), que l'on trouve dans les anciens manuscrits hébreux et les rouleaux de la Torah.
Donc, selon la Masorah (tradition), ce verset ne commence pas un nouveau chapitre (V-1) et un nouveau thème. Les commentateurs l'expliquent en fonction du contexte [du chapitre et des versets précédents].
p. 144
"Le Saint, qu'il soit béni, voulut faire de Hézéchias le Messie et de Sennachérib, Gog et Magog [et donc, amener la Délivrance finale]. L'Attribut de Justice dit devant le Saint, qu'il soit béni, "Maître de l'univers, David a récité tant de chants et de louanges devant Toi, et tu n'as pas fait de lui le Messie. Comment peux-tu nommer Messie Hezechias pour qui tu as fait tant de miracles, et qui n'a pas chanté un seul chant devant Toi ?" (Sanhédrin 94a).
(...)
Toutes les parties de la création remplissent leur rôle, mais elle ne peuvent exprimer leur chant sans l'homme. Seul l'homme, à travers son service divin et sa capacité à reconnaître la grandeur de Dieu et à l'exprimer, est l'agent par qui le potentiel de la création est réalisé. L'ère messianique est le temps de cette réalisation. Mais le potentiel caché n'est pas suffisant. Il doit être exprimé par un grand dirigeant ou par toute la nation juive. (...) Hézéchias comme individu était assez grand pour être le Messie, mais il échoua à chanter le chant de la création. Comme il ne le fit pas, il échoua, et l'idéal messianique ne peut se réaliser en son temps.
p. 46