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« J'ai fait un rêve, l'autre jour. J'avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. Nos deux noms en lettres d'or brillaient, unis sur le premier feuillet, et, dans cette fraternité de génie, passaient inséparable à la postérité. » - Lettre d'Émile
Zola à son ami d'enfance
Paul Cézanne le 25 mars 1860.
Peut-être faudra-t-il un jour modifier les livres de l'histoire de l'art concluant qu'une brouille définitive entre
Paul Cézanne et Émile
Zola survint en 1886, à la suite du roman « L'oeuvre » de
Zola, ce qui semble aujourd'hui fortement remis en question, et qui va être l'objet essentiel de ma critique.
Je résume
le roman de l'écrivain en reprenant l'édition des dossiers préparatoires du livre par
Zola publiée dans « La Fabrique des Rougon-Macquart » par
Colette Becker en 2013 : « Avec Claude Lantier, je veux peindre la lutte de l'artiste contre la nature, l'effort de la création dans l'oeuvre d'art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie ; toujours en bataille contre le vrai, et toujours vaincu, la lutte contre l'ange. En un mot, j'y raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux, mais je grandirai le sujet par le drame, par Claude qui ne se contente jamais, qui s'exaspère de ne pouvoir accoucher de son génie, et qui se tue à la fin devant son oeuvre irréalisée. »
Mon émotion est forte. le lecteur amateur d'art que je suis ne pouvait rester insensible devant l'image du peintre Claude Lantier entrainant avec lui, dans son délire artistique, une jeune femme, Christine, rencontrée en bord de Seine à
Paris. J'ai frissonné dans les derniers chapitres décrivant la lente et terrible déchéance du peintre confronté aux affres de la création que Christine, devenue sa femme, découvrira pendu dans son atelier devant son oeuvre.
Les extraits des lettres de jeunesse de
Zola et Cézanne montrent clairement la grande affection, admiration, estime, que les deux amis avaient l'un pour l'autre. Un roman de
Zola sur un peintre raté pouvait-il interrompre cette amitié ayant commencé en 1852 au collège Bourbon à Aix, 34 années auparavant ?
Dans une chronique du Salon de 1866 parlant de Cézanne,
Zola écrit : « Il y a dix ans que nous parlons arts et littérature. Tu es toute ma jeunesse ; je te retrouve mêlé à chacune de mes joies, à chacune de mes souffrances. […] Nous affirmions que les maîtres, les génies, sont des créateurs qui, chacun, ont créé un monde de toutes pièces, et nous refusions les disciples, les impuissants, ceux dont le métier est de voler çà et là quelques bribes d'originalité. Sais-tu que nous étions des révolutionnaires sans le savoir ? ».
Connaissant les liens qui unissaient les deux hommes, je me demande bien pourquoi une lettre écrite le 4 avril 1886 par Cézanne à
Zola, peu après la parution du roman que l'écrivain lui avait envoyé, a pu faire croire à une lettre de rupture entre les deux amis. Il semble évident qu'il s'agissait d'une simple lettre de remerciement. Je montre cette fameuse lettre, objet de polémique : « Mon cher Émile, /Je viens de recevoir l'Oeuvre que tu as bien voulu m'adresser. / Je remercie l'auteur des Rougon-Macquart de ce bon témoignage de souvenir, et je lui demande de me permettre de lui serrer la main en songeant aux anciennes années. Tout à toi sous l'impression des temps écoulés. »
Où est la brouille dans ce courrier ? Il est certain que Cézanne connaissait depuis longtemps le projet de
Zola d'écrire un roman sur les milieux artistiques. Écrivain lui-même, il ne pouvait se méprendre sur la logique narrative d'une oeuvre de fiction et ne pouvait penser que
Zola décrivait la déchéance de Claude Lantier dans son livre en songeant à son ami d'enfance.
Zola s'inspirait des nombreux peintres qu'il connaissait. D'ailleurs, Cézanne, picturalement, ne ressemblait en rien au peintre Claude Lantier. Seul Claude Monet, dans une lettre à
Zola, regrette qu'il aurait pu, avec Manet et les peintres impressionnistes, être rapproché du personnage du roman.
Une lettre de Cézanne à
Zola retrouvée récemment, datée du 28 novembre 1887, confirme que
Zola ne cessa pas toute correspondance avec son ami et continua à envoyer ses oeuvres au peintre : « Mon cher Émile/ Je viens de recevoir, de retour d'Aix, le volume La Terre, que tu as bien voulu m'adresser. / Je te remercie pour l'envoi de ce nouveau rameau poussé sur l'arbre généalogique des Rougon-Macquart. /Je te remercie d'accepter mes remerciements et mes plus sincères salutations. Quand tu seras de retour, j'irai te voir pour te serrer la main. »
Il est incontestable que ce roman des arts, de la difficile condition de l'artiste novateur face aux institutions, est aussi et d'abord un roman autobiographique, qui fait revivre la jeunesse de son auteur à Aix-en-Provence, sa venue à
Paris en 1858, le milieu des jeunes peintres dans lequel il a vécu, les Cézanne, Pissarro, Guillaumet, Manet, Monet, Renoir, Sisley... ceux qu'il défendit avec enthousiasme dans ses critiques des Salons dans le journal « L'Évènement ».
L'amitié entre les deux amis n'avait donc pas été rompue après la publication de « L'oeuvre » de
Zola en 1886. L'émotion de Cézanne, juste avant sa mort en 1906, pour l'inauguration d'un buste de l'écrivain décédé, démontre l'admiration et l'amitié qui les unissaient, car il sanglotait sur leurs souvenirs sachant que sa propre vie se terminait.
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