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sur 1763 notes
L'Oeuvre est sans doute l'un des plus sombres et des plus désespérants des tomes de la série des Rougon-Macquart. C'est Claude Lantier, l'un des fils de Gervaise que l'on retrouve l'âme en peine à Paris. Il avait eu la chance de bénéficier des bontés d'un homme que ses dessins d'enfant avait séduit, et qui lui permit de suivre des études au collège de Plassans.

C'est à Paris qu'il essaiera de sortir du lot, de devenir un artiste reconnu, vivant en attendant des années de vaches maigres et de doute. Sa rencontre fortuite avec la belle Christine, sera -t-elle la cause de sa gloire ou de sa déchéance?

C'est le portrait d'un peintre maudit, qui malgré son talent ne parvint pas à faire valoir ses dons. A la recherche d'une perfection illusoire, ne craignant pas de bousculer les standards classiques, il devient vite aigri, alors qu'il est en train de lancer un courant au sein duquel il ne parviendra pas à s'imposer.
.Alternant les épisodes de création intense et d'abandon (notre homme serait-il bipolaire?), Il entraine dans sa chute son épouse et son fils.

Les descriptions de Paris sont encore ici nombreuses, éclairées de l'oeil de l'artiste.

Le texte est également bien documenté sur les courants picturaux , les techniques et l'ambiance du milieu artistique, avec des allusions via les amis de Claude à la musique et à la sculpture .

La théorie de la dégénérescence est encore bien présente, illustrée par le petit Jacques, le fils de Claude mais aussi par d'autres personnages mal lotis.


Ce n'est pas mon préféré de la série, les perpétuelles tergiversations de héros m'ont lassée, d'autant que l'on entrevoit rapidement la grande probabilité d'une fin tragique.

Challenge pavés Babelio 2020

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Mon désir de lecteur se transforma, un jour il y a quelques années, dans un voyage qui continue de m'emporter depuis lors dans ce fleuve impétueux et indomptable que représente l'oeuvre des Rougon-Macquart.
Émile Zola a imaginé et construit cette immense fresque bâtie sur vingt romans pour décrire et aussi décrier un certain univers social sous le Second Empire.
Je continue de cheminer pas à pas et de manière chronologique, dans cette saga puissante, et me voici parvenu au quatorzième roman, qui s'appelle justement L'Oeuvre.
L'ouvrage nous entraîne dans le monde de l'art et des artistes, à travers le portrait d'un peintre maudit et raté, Claude Lantier et celui de son ami et écrivain, Pierre Sandoz qui semble ressembler trait pour trait à ce cher Émile Zola. C'est donc un roman d'amitié qui nous accueille autour de l'art dans ses premières pages.
Combien de fois n'ai-je pas trouvé dans l'écriture d'Émile Zola, dans sa manière de narrer une histoire, tout le talent d'un peintre. Peintre de l'âme humaine, de la vie sociale, de ses ambitions et de ses affres, peintre de la dégénérescence d'une famille sous le Second Empire...
Ici justement, il est question de peinture, mais pas seulement... Il est question d'art, mais pas seulement non plus...
Dans ce roman, Zola a décidé d'incarner l'art à travers la destinée de deux amis, un peintre et un écrivain.
Dans ce roman, il est surtout pourtant question d'humanité avant tout, c'est du moins ce que j'ai ressenti.
Claude Lantier est le fils de Gervaise Macquart et d'Auguste Lantier, qui nous ramène à une lecture précédente, très forte pour moi, celle de L'Assommoir. Oui Gervaise, la célèbre Gervaise, cette femme dont la destinée m'avait bouleversée... Vous souvenez-vous d'elle ?
Claude Lantier est l'ami d'enfance du romancier Pierre Sandoz. J'aime à rencontrer Zola dans ses romans, ici il est présent plus que jamais dans ce personnage de Pierre Sandoz.
Avec l'appui de son ami Sandoz et d'autres peintres ou sculpteurs, Claude Lantier lutte et se bat pour imposer une nouvelle forme de peinture, bien éloignée des canons néo-classiques qui ont la faveur des expositions officielles. Si certains d'entre eux réussissent finalement à s'imposer, Claude Lantier va pour sa part d'échec en échec, demeurant incompris du public et souvent de ses propres amis.
Ce roman est aussi une histoire d'amour. Claude Lantier a rencontré un soir de pluie, sous le porche de son immeuble, une jeune femme prénommée Christine, avec qui il partagera sa vie et ses échecs. Ils vont habiter à la campagne, où Claude trouve d'abord le soulagement. Ils ont un enfant, mais celui-ci, hydrocéphale, mourra à l'âge de douze ans. Entre-temps, le couple est revenu vivre à Paris, où Claude retrouve à la fois ses amis et le sentiment de son échec. Il finit par se détacher de sa femme pour passer son temps dans un grand hangar où il a entrepris une oeuvre gigantesque...
Ce roman a pour cadre le monde artistique et foisonnant du XIXème siècle. Mais comme toujours la force d'Émile Zola est de nous écrire des histoires presque intemporelles. Alors je vous laisse imaginer en quoi il est intemporel...
Claude Lantier porte le poids d'une fatalité dont on pressent déjà une fin tragique.
Sombre, la tragédie de cette fatalité est déjà écrite aux premières pages.
C'est un drame autour de la création, comment pousse une oeuvre d'art dans les soubresauts de l'âme qui la porte comme une graine prête à germer.
L'art est prétexte ici à évoquer un drame autour d'une passion.
Zola ici ne cherche pas forcément à peindre le monde des arts. Ce n'est qu'un prétexte. Il veut peindre une tranche d'humanité. C'est la passion d'un artiste pour son art et la passion d'une femme pour cet homme qui la dédaigne et qui lui préfère son oeuvre. L'art vole à cette femme l'homme qu'elle aime.
Dans le tableau que peint Claude Lantier, - la représentation d'une femme nue « aux cuisses énormes », comment ne pas voir tous ces tragiques personnages féminins de l'oeuvre des Rougon-Macquart. Sans qu'elles soient nommées, elles défilent pourtant ici brusquement sous mes yeux de lecteur fasciné, comment ne pas reconnaître ici Gervaise, Nana, Pauline... Ce sont les mères, les filles et les soeurs qui ont étreint de manière poignante le fil de la destinée des Rougon-Macquart.
L'Oeuvre est un roman empli d'humanité, abordé ici sous l'angle de l'art. Quelle magnifique passerelle en effet ! L'art convoqué comme chemin pour dire, pour dessiner, pour protéger l'humanité... L'art dressé comme un rempart contre les barbaries.
Oui, l'art est humanité.
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Le talent d'Emile Zola se déploie ici dans une brillante synthèse de ses capacités à capter en quelques centaines de pages les vies d'une poignée de personnages, à en restituer les dilemmes intérieurs, fondements de leurs particularités psychologiques, et à les relier à cet ensemble de données économiques, politiques, culturelles et historiques qui constituent le paradigme d'une époque.


L'histoire qui relie Claude et Christine prend sens dans sa confrontation perpétuelle à la peinture, cette maîtresse irréelle qui est pire que toutes les nudités affriolantes des modèles de pose. D'abord cristallisation de leur liaison, la peinture donne au couple une raison de se vivre ensemble quelles que soient les conditions de vie –souvent misérables- qu'elle leur impose. Mais si la peinture représente pour Christine un divertissement facultatif, Claude semble surtout avoir choisi de vivre avec Christine en croyant que cette épouse en prototype de Muse lui permettrait d'accéder plus rapidement à la grâce de son idéal artistique. Ce n'est pas le cas et la peinture s'échappe sans cesse. L'impossibilité de l'union à trois conduit à la dégradation de l'union à deux. Comme toujours, l'histoire d'amour ne peut se satisfaire d'elle-même, et c'est à cause de cette tendance irréfrénable à la complexité que le bonheur s'échappe.


Et si l'histoire de L'oeuvre était encore plus tragique que cela ? Il faudrait, par exemple, que les ambitions artistiques de Claude ne soient pas vraiment siennes. Il faudrait que son existence entière ait été faussée par la poursuite d'idéaux qui lui auraient été infligés par la société, ce fameux ensemble de déterminations qui obsède Emile Zola. Arthur Schopenhauer avait affirmé que l'amour était subordonné à la Volonté et que les individus n'étaient rien d'autre que des machines à assurer la régénération de l'espèce humaine ; Emile Zola semble croire que l'art est subordonné à une autre forme de puissance qui condamne les individus à sacrifier leur santé et leur bonheur à l'accomplissement de projets (ici artistiques) qui permettent uniquement de faire évoluer la Culture.


Essayant peut-être d'échapper à cette détermination fatale, Emile Zola fait surgir, au milieu de sa troupe de peintres réalistes, le personnage de l'écrivain qui constitue la représentation non dissimulée de Zola lui-même. Sacrifié aussi aux besoins de la Culture, on remarquera cependant que c'est le seul artiste qui parvient à trouver une portion de succès sans y condamner son existence. Emile Zola n'avait sans doute pas tort : son Oeuvre est grandiose.
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Ça commence à se bousculer sur mon podium des Rougon Macquart ! Mais il va bien falloir que l'Assommoir, La conquête de Plassans, la bête humaine et Germinal fassent un peu de place à l'oeuvre, tant celle-ci m'a littéralement embarquée de bout en bout.

Ce n'est pourtant pas l'action trépidante qui vous agrippe : le roman, que traverse toute la vie d'artiste de Claude Lantier, coule assez lentement. Mais il est d'une construction si parfaite qu'il envoûte tout du long, depuis la saisissante scène d'ouverture sous les toits parisiens balayés d'orage jusqu'à la fine pluie grise sur le cimetière dans la scène finale, en passant par l'énergie vivifiante et colorée de la campagne normande, les atmosphères de bohème des cafés parisiens jusqu'aux ateliers du peintre où toujours l'on revient.

Paris n'a jamais été si beau, si vivant que sous la plume de Zola dans cette Oeuvre dans laquelle on le découvre au firmament de son talent, écrivant comme on peint un Paris flambloyant de joie et de vie dans la jeunesse de Claude, s'ombrant de noirceurs à mesure que l'âge, l'insuccès, l'obsession et la folie le prennent. Paris, personnage du livre, théâtre d'une vie artistique à la fois luxuriante et galvaudée au tournant du dernier siècle, assistant indifférente à la descente aux enfers de l'artiste incompris, enfiévré de peinture vraie, utilisé par ses amis, délaissant peu à peu sa douce épouse pour la vision chimérique d'une femme – déesse impossible à peindre.

Un roman beau et terrible, où finit de sévir la malédiction des Lantier, la lignée gangrenée de vice des Rougon, alcoolisme chez la mère Gervaise et le fils Etienne, folie meurtrière chez le frère Jacques, folie créative chez Claude enfin, avec lequel meurent déjà les illusions du siècle en devenir. Splendide !

Challenge XIXème siècle 2018
Challenge Multi-défis 2018
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♬ Cézanne peint
Il laisse s'accomplir la magie de ses mains
Cézanne peint
Et il éclaire le monde pour nos yeux qui n'voient rien... ♬

Dans ce quatorzième volume des Rougon-Macquart, Émile Zola nous plonge dans le milieu artistique.
Claude Lantier et ses amis sont peintres, sculpteurs, ou écrivains comme Pierre Sandoz à qui l'auteur prête l'intention suivante : « Je vais prendre une famille, et j'en étudierai les membres, un à un, d'où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent, les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l'humanité pousse et se comporte… ». Joli clin d'oeil, non ?

Fils aîné de l'inoubliable Gervaise de L'assommoir, Claude Lantier est animé d'un puissant désir de création et d'une volonté de réussir à tout prix un tableau exceptionnel. Il ressent au plus profond de lui le besoin impérieux de produire un chef-d'oeuvre.
Zola nous montre l'engrenage psychologique infernal dans lequel il se laisse prendre et comment il glisse de la persévérance à l'acharnement puis à l'obstination et enfin, tombe dans l'obsession.
La persévérance est une belle qualité, mais l'obsession vous aigrit, vous ronge de l'intérieur et vous coupe du monde extérieur.
L'obsession vous fait agir de façon irrationnelle, vous dépossède de la maîtrise de vous-même et vous rend complètement dépendant tel le joueur compulsif qui après chaque perte n'a qu'une idée en tête : rejouer pour se refaire.

Claude est accaparé par sa peinture qui l'éloigne de tout et de tous, y compris de sa femme qu'il aime pourtant, mais qu'il finit par ne plus voir que comme un modèle pour ses toiles.
De son côté, celle-ci se met à haïr la peinture qui est pour elle est pire qu'une maîtresse : une rivale de chair et de sang, ça peut se combattre, mais comment lutter contre un bouillonnement intérieur, une envie irrépressible ?
La lutte est tellement inégale qu'on la sent perdue d'avance.

L'aspect romanesque du livre est extrêmement plaisant : l'histoire est captivante, les personnages vivants et terriblement attachants. C'est un régal qui se lit presque d'une traite.
Mais ce n'est pas tout.
Le roman offre une réflexion passionnante sur les joies et les malheurs qui accompagnent la vie d'un artiste.
Claude Lantier est peintre, mais Zola aurait pu choisir de le faire écrivain, musicien, sculpteur... peu importe : l'essentiel est l'art et le rapport avec la création artistique.
Avoir fait de son personnage principal un peintre est un choix très judicieux parce que la peinture, art visuel par excellence, permet à l'auteur de nous offrir de magnifiques descriptions, qu'il s'agisse des toiles de Claude ou des paysages dont il s'inspire.

Émile Zola nous gratifie de merveilleuses pages sur Paris et sur la campagne normande. Elles sont infiniment belles parce que l'écrivain voit les paysages à travers les yeux du peintre et nous les restitue ainsi.
Je me permets ici une petite parenthèse : si Zola revenait, il serait sidéré de voir dans quel état se trouve la ville autrefois splendide qu'il a si merveilleusement décrite dans nombre de ses romans. Ville enlaidie et saccagée à plaisir, le "spectacle" est à pleurer. Je ferme la parenthèse.

Si la vie d'artiste peut parfois faire rêver, si l'on s'imagine naïvement un monde exaltant et merveilleux de beauté et de créativité, Émile Zola nous en donne une tout autre image.
L'art est-il épanouissant pour celui qui le pratique ? À la lecture de ce roman, on en doute !
Chacun sait que certains artistes aujourd'hui reconnus ont eu des vies terriblement difficiles, qu'ils ont parfois vécu dans un grand dénuement, qu'ils n'ont pas connu la reconnaissance de leur vivant.
Après la lecture de L'oeuvre, je ne regarderai plus certains tableaux, ne lirai plus certains ouvrages, ni n'écouterai certaines oeuvres musicales de la même façon.
La gratitude que j'éprouve toujours pour les artistes qui nous régalent tant se trouve désormais décuplée.

"Au fond, la conscience tenace de son génie lui laissait un espoir indestructible, même pendant les longues crises d'abattement. Il souffrait comme un damné roulant l'éternelle roche qui retombait et l'écrasait ; mais l'avenir lui restait, la certitude de la soulever de ses deux poings, un jour, et de la lancer dans les étoiles."
Cet extrait résume tout le drame de la vie de Claude Lantier, et si pour Camus, "Il faut imaginer Sisyphe heureux", ce n'est pas du tout ce que Zola a envisagé pour son héros.

L'oeuvre m'a éblouie.
Émile Zola nous parle d'art mais avant tout il nous parle d'humanité.
Et c'est incroyablement beau.
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"Un jour, seul avec Claude, dans une île, étendus côte à côte, les yeux perdus au ciel, [Sandoz] lui conta sa vaste ambition, il se confessa tout haut.
- le journal, vois-tu, ce n'est qu'un terrain de combat. Il faut vivre et il faut se battre pour vivre… Puis, cette gueuse de presse, malgré les dégoûts du métier, est une sacrée puissance, une arme invincible aux mains d'un gaillard convaincu… Mais, si je suis forcé de m'en servir, je n'y vieillirai pas, ah ! non ! Et je tiens mon affaire, oui, je tiens ce que je cherchais, une machine à crever de travail, quelque chose où je vais m'engloutir pour n'en pas ressortir peut-être.
Un silence tomba des feuillages immobiles dans la grosse chaleur. Il reprit d'une voix ralentie, en phrases sans suite :
- Hein ? étudier l'homme tel qu'il est, non plus leur pantin métaphysique, mais l'homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes… N'est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau, sous le prétexte que le cerveau est l'organe noble ?… La pensée, la pensée, eh ! tonnerre de Dieu ! la pensée est le produit du corps entier. Faites donc penser un cerveau tout seul, voyez donc ce que devient la noblesse du cerveau, quand le ventre est malade !… Non ! c'est imbécile, la philosophie n'y est plus, la science n'y est plus, nous sommes des positivistes, des évolutionnistes, et nous garderions le mannequin littéraire des temps classiques, et nous continuerions à dévider les cheveux emmêlés de la raison pure ! Qui dit psychologue dit traître à la vérité. D'ailleurs, physiologie, psychologie, cela ne signifie rien : l'une a pénétré l'autre, toutes deux ne sont qu'une aujourd'hui, le mécanisme de l'homme aboutissant à la somme totale de ses fonctions… Ah ! la formule est là, notre révolution moderne n'a pas d'autre base, c'est la mort fatale de l'antique société, c'est la naissance d'une société nouvelle, et c'est nécessairement la poussée d'un nouvel art, dans ce nouveau terrain… Oui, on verra, on verra la littérature qui va germer pour le prochain siècle de science et de démocratie !
Son cri monta, se perdit au fond du ciel immense. Pas un souffle ne passait, il n'y avait, le long des saules, que le glissement muet de la rivière. Et il se tourna brusquement vers son compagnon, il lui dit dans la face :
- Alors, j'ai trouvé ce qu'il me fallait, à moi. Oh ! pas grand'chose, un petit coin seulement, ce qui suffit pour une vie humaine, même quand on a des ambitions trop vastes… Je vais prendre une famille, et j'en étudierai les membres, un à un, d'où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l'humanité pousse et se comporte… D'autre part, je mettrai mes bonshommes dans une période historique déterminée, ce qui me donnera le milieu et les circonstances, un morceau d'histoire… Hein ? tu comprends, une série de bouquins, quinze, vingt bouquins, des épisodes qui se tiendront, tout en ayant chacun son cadre à part, une suite de romans à me bâtir une maison pour mes vieux jours, s'ils ne m'écrasent pas !
Il retomba sur le dos, il élargit les bras dans l'herbe, parut vouloir entrer dans la terre, riant, plaisantant.
- Ah ! bonne terre, prends-moi, toi qui es la mère commune, l'unique source de la vie ! toi l'éternelle, l'immortelle, où circule l'âme du monde, cette sève épandue jusque dans les pierres, et qui fait des arbres nos grands frères immobiles !… Oui, je veux me perdre en toi, c'est toi que je sens là, sous mes membres, m'étreignant et m'enflammant, c'est toi seule qui seras dans mon oeuvre comme la force première, le moyen et le but, l'arche immense, où toutes les choses s'animent du souffle de tous les êtres !"

Tout est dit, non ?
Qu'ajouter que Zola ne décrive pas lui-même à la perfection ? Que ce quatorzième tome des "Rougon-Macquart" traite d'art et d'humanité par l'art et à travers l'art. Car l'art est humanité.


Challenge ABC 2017 - 2018
Challenge Petit Bac 2017 - 2018
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Première scène d'orage, entre pluie diluvienne, noirceur de la nuit qui enténèbre la Seine et fulgurance lumineuse des éclairs qui laissent, par intermittence, voir les façades qui se dressent des deux côtés du fleuve. Claude Lantier, après avoir flâné dans les Halles, rentre chez lui et trouve devant sa porte une jeune fille trempée et terrorisée par la trouée noire que forme la Seine en cette nuit de juillet où le ciel déverse son mécontentement de ce jour lourd de chaleur estivale.
Arrivée de Clermont, Christine devait rejoindre Passy où elle doit s'occuper d'une vieille dame mais un retard de train l'a perdue dans cette nuit parisienne. Claude, pourtant bien méfiant envers les femmes, lui offre tout de même le gîte dans son atelier tout en désordre, encombré d'objets de peintre et dont les esquisses plutôt effrayantes pour la jeune provinciale dégringolent des murs.
Le lendemain, derrière le paravent, la jeune fille endormie éblouit le coup d'oeil volé par le peintre ; tout à fait la figure cherchée pour son grand tableau en cours. L'artiste s'empare prestement de sa boîte de pastel mais l'éveil et la pruderie de Christine ont bien failli laisser l'ébauche inachevée.

Et Zola, par cette puissante scène de rencontre de deux êtres pleins de jeunesse, pose les premières pierres d'un amour qui émergera doucement, s'installera paisiblement puis chutera tragiquement, victime de la création artistique.

Claude et ses amis s'exaltent chacun dans leur domaine, font exploser leur orgueil et se voient créer des oeuvres grandioses, au-dessus des autres. le jeune peintre se penche sur son grand tableau, un chef d'oeuvre en puissance, mais souvent un élan de rage vient assombrir sa fringale créatrice, lorsque le pinceau est impuissant à peindre l'éclat ou le vivant qu'il veut donner à l'oeuvre. C'est une fureur de créer, une bataille engagée avec la toile. Les heures épuisantes à travailler alimentent les rêves de gloire. Quand l'insatisfaction, le doute, la rage, la torture face à la toile sont trop intenses, il promène son désarroi dans les rues de Paris.
Zola nous fait arpenter alors les différents quartiers dans lesquels chaque artiste passionné s'escrime à son art : sculpture, littérature, architecture, peinture. La bande bat le pavé parisien, à la conquête de la ville qui s'offre à eux pour satisfaire leur ivresse de réussite.
Aux côtés de Christine, rive droite, rive gauche, suivant les courbes de la Seine, les ponts se succèdent dans le crépuscule. L'auteur, maître de la description, assombrit ou fait resplendir l'enchevêtrement des boutiques, habitations et monuments rencontrés en chemin. Il nous abreuve de perspectives parisiennes.
Sur la toile, impressionnisme et naturalisme se bataillent pour mettre de côté le romantisme. le grand tableau de Claude, aux couleurs ardentes, a l'audace de montrer une femme nue en plein air et sera la risée du Salon des Refusés. Des rires reçus comme une gifle. le public n'est pas prêt à cette nouvelle forme d'art. Alors les amoureux rechercheront la solitude, loin de l'effervescence parisienne. Les joies de la campagne n'auront qu'un temps et les humeurs de Claude reprendront le dessus. Il voit et désire encore le Paris où il triomphera dans ses hallucinations de gloire artistique, lui, le peintre qui osera le renouveau de cet art.
Dans ce volume, Zola parfait les exaltations de la création, à l'image de celles qui le dévore lorsqu'il écrit et celles qui habitent aussi ses propres amis peintres. Ici, l'ambition dévorante est sans limite car même si un chef d'oeuvre est accompli, la peur de déchoir succède à celle de ne jamais atteindre la gloire. C'est une course sans fin, ardente et dévastatrice. Comme souvent, l'auteur déroule son scénario en faisant progresser ce monstre affamé, jamais rassasié, représentant la soif ambitieuse de l'homme. La torture qui ronge Claude, qui se répercute sur son fils et sa femme, accélère sensiblement la seconde moitié de ce roman aux accents sombres, accablants.
Les amitiés, les amours, sauront-ils résister à l'avalanche déclenchée par la folie de cette course au chef d'oeuvre ?
Christine, dont l'adoration pour son artiste est poignante, sera-t-elle de taille à lutter contre une femme, une voleuse faite de toile et de couleurs ?

Ce quatorzième volume des Rougon-Macquart, tout en traitant de peintures, projette en parallèle de saisissants tableaux du milieu artistique de l'époque, de ses hypocrisies, de ses injustices, de ses espoirs déçus ou distribués sans vraiment juger le talent.
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Claude Lantier, le fils de Gervaise, la blanchisseuse de l'Assommoir, a été élevé par un vieil homme de Plassans qui aimait ses dessins d'enfant, et est devenu artiste-peintre. A Paris, entouré d'autres jeunes artistes, peintres, sculpteur, écrivain, il rêve de révolutionner l'art en le sortant de sa gangue académique et officielle. Plein d'allant, d'énergie et de fougue, il ne parvient cependant à présenter son tableau « Plein air » qu'au Salon des Refusés, et encore suscite-t-il l'hilarité générale, même s'il le consacre comme chef de file de l'école nouvelle. ● On retrouve dans L'Oeuvre la structure ternaire qui domine dans nombre des romans de Zola, dont, par exemple, L'Assommoir : montée, sommet, déclin. Cette structure est parfaite pour raconter un échec, d'autant plus visible qu'il est précédé d'une période d'euphorie où tout semble possible. ● Mais ce roman se distingue nettement des autres romans du cycle des Rougon-Macquart par sa dimension autobiographique saisissante : de l'aveu même de Zola, il entre pour beaucoup dans le personnage de l'écrivain Sandoz (dans le nom duquel on retrouve des lettres du nom Zola). Il est dès lors intéressant de regarder vivre cet écrivain, car Zola nous divulgue des informations à la fois sur sa façon à lui d'aborder la création littéraire, et sur sa vie privée (ne se donnant pas le plus mauvais rôle !). Il apparaissait déjà dans Pot-Bouille, mais de façon très discrète, puisqu'il s'agissait d'une famille dont le père était écrivain et qui se cachait de tous. ● le roman est intéressant en ce qu'il permet de percevoir de l'intérieur les querelles esthétiques de la seconde moitié du XIXe siècle : tenants de l'académisme néo-classique contre l'avant-garde et l'impressionnisme : de nombreuses oeuvres sont ainsi analysées. ● Mais il est peut-être encore plus intéressant dans la manière dont il rend compte de ces tableaux et de l'art pictural en général, posant le problème de l'« ekphrasis », ou : comment parler d'un tableau avec des mots ? Tout l'art du romancier sera alors de résoudre ce problème dans des passages descriptifs (tant redoutés des lycéens). Plus généralement, le roman pose le problème de la vision : personne ne voit la même chose dans un tableau, mais dans la nature non plus, d'où le recours fréquent à la focalisation interne pour montrer ce que voit chaque personnage. ● Dans le personnage de Claude il est habituel de dire qu'on trouve Cézanne, ami de Zola, mais on trouve aussi d'autres peintres, et Zola lui-même, qui n'a pas seulement investi le personnage de Sandoz, voulant raconter les affres de la création : « Je raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux », écrit-il dans ses Carnets. ● On trouve également dans ce riche roman la rivalité entre l'oeuvre et l'être aimé, explicitement posée, la création niant l'amour, et même la rivalité tout aussi malheureuse entre la création artistique et l'enfantement, et enfin la rivalité entre l'art et la vie, l'un se nourrissant de l'autre dans une sorte de pacte faustien qui ne peut que mener le vrai créateur à sa perte. ● Mais malgré toutes les qualités de ce roman, malgré sa richesse incontestable, ce n'est vraiment pas mon préféré parmi les Rougon-Macquart ; je le trouve trop réflexif, trop intellectuel ; il y a trop de personnages aussi, on s'y perd un peu.
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Il faut croire que Gervaise, égale à elle-même, a donné naissance à des enfants intelligents, passionnés, emplis de la meilleure volonté, mais à qui il manque ce petit rien, cette flamme qui en feraient des gagnants; au lieu de cela, les voilà condamnés, par péché d'idéalisme, à une chute lente et inexorable...
Claude Lantier était pourtant entouré des meilleurs alliés: un groupe d'amis artistes, comme lui, rencontrés dans sa jeunesse à Plassans et tous prêts à conquérir Paris. Une jeune fille qui tombe amoureuse de lui, prête à le materner, l'idéaliser, l'aimer. Et surtout, le génie de la peinture. Claude est le chef de file du mouvement "plein air" - alias "impressionnisme", il est novateur, créatif, profond. Et pourtant, comme ces génies avant l'heure, incompris et rejeté.
On le suit ainsi en pleine descente aux Enfers... et pourtant c'est aussi pour Christine la dévouée, l'amante, qu'on souffre, elle qui se voit rivalisée par ces portraits de femmes auxquels il consacre ses jours et ses nuits. Et pire que tout, c'est leur enfant qu'ils auront sacrifié tous les deux l'un à l'art, l'autre à l'amour et qui mourra presque abandonné, pauvre âme débile et corps malade.
On pourrait se demander comment Zola eut le courage de cumuler ces romans de la famille Macquart sombrant dans la folie ou l'alcool, et pourtant, bien qu'il se revendique de la veine naturaliste, combattant le romantisme, il y a bien, parfois, de cet idéalisme et amour qui ferait croire au lecteur, un instant, que la vie pourrait être belle, douce, qu'on pourrait y accomplir son idéal.

Enfin, l'oeuvre est un bel hommage aux théories de la peinture et à l'abnégation des purs artistes, et une magnifique description des paysages parisiens du dix-neuvième siècle.
Lien : http://pourunmot.blogspot.fr..
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Nous avions déjà vu Claude Lantier dans le ventre de Paris : il arpentait les rues de la capitale avec la volonté de tout voir pour tout peindre. Cette rage ne l'a pas lâchée et il rêve encore de produire une toile digne du Salon qui se tient tous les ans. Mais immanquablement, son tableau finit dans le Salon des refusés. « Il reconnaissait du reste l'utilité du Salon, le seul terrain de bataille où un artiste pouvait se révéler d'un coup. » (p. 238) Claude respecte les grands peintres romantiques, comme Courbet ou Delacroix, mais il critique les académiques et ne revendique que la peinture en plein air et les sujets réels, loin des décors mythologiques et des scènes légendaires.

Un soir d'orage, Claude trouve Christine sous sa porte. La jeune fille arrive de province et se trouve bien perdue à Paris. Entre eux, le coup de foudre est immédiat, mais Claude nourrit un mépris de la femme humaine. « Ces filles qu'il chassait de son atelier, il les adorait dans ses tableaux, il les caressait et les violentait, désespéré jusqu'aux larmes de ne pouvoir les faire assez belles, assez vivantes. » (p. 72) L'impuissance de Claude est double : il semble ne pas pouvoir peindre, ni posséder la femme qui s'offre à lui. Après une longue amitié, Christine conquiert finalement le coeur du jeune peintre, mais leur bonheur cède peu à peu devant la passion de Claude. Peindre lui est nécessaire et chacun de ses échecs l'enrage davantage. Incapable de reproduire sur la toile les fabuleuses inspirations qui l'habitent, Claude est un génie torturé et toujours insatisfait, un talent méconnu. Mais est-il au moins doué ?

Toute dévouée à son homme, Christine le soutient dans son art, mais au profit de la peinture qu'elle le perd. Elle croit tout d'abord pouvoir s'attacher Claude en étant son unique modèle : elle vainc sa pudeur et accepte de voir son corps exposé aux yeux de tous sous le pinceau du peintre. Peu à peu, l'amante disparaît « C'était un métier où il la ravalait, un emploi de mannequin vivant. » (p. 276) Christine en vient à haïr la peinture et toutes les femmes peintes auxquelles elle prête ses traits.

Claude a un ami dévoué en Pierre Sandoz, un auteur qui cherche également le succès. « Dès qu'ils étaient ensemble, le peintre et l'écrivain en arrivaient d'ordinaire à cette exaltation. Ils se fouettaient mutuellement, ils s'affolaient de gloire. » (p. 67) Pour les deux amis et leurs compagnons artistes, c'est par l'art qu'il faut conquérir Paris. Dans ce roman, Zola se met en scène en la personne de l'écrivain talentueux qui accède peu à peu à la gloire. Claude Lantier est une figure de Cézanne, l'ami d'enfance de l'auteur, mais Zola n'est pas tendre avec le peintre, ce qui explique pour beaucoup la brouille qui a suivi entre les deux artistes. C'est en tout cas un plaisir de découvrir le monde de l'art sous le Second Empire, le tout à grand renfort de descriptions picturales du meilleur effet. Il m'a même semblé voir des allusions au début de la photographie, surtout dans le traitement fait à la lumière.
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